Une gouvernance spécifique

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La gouvernance des associations d'aide à domicile est assurée par les bénévoles et leur directeur. Les salariés et les bénéficiaires y sont encore trop rarement associés.

Les associations d’aide à domicile, comme toutes les associations employeuses qui opèrent dans le champ social et médico-social, ont un modèle de gouvernance spécifique. Celui-ci est lié à la séparation des rôles entre les adhérents-bénévoles, qui portent le projet de la structure, et les salariés, qui assurent au quotidien les services rendus aux bénéficiaires de l’activité de l’association.

Conseil d’administration, président et directeur

Cette division des rôles se décline de manière diverse selon la taille des associations. Les bénévoles n’assurent la gestion administrative que dans les plus petites structures. En règle générale, un salarié va se voir déléguer la gestion des feuilles de paie, du planning, etc., bref de tout ce que requiert le pilotage de l’association. Et dès que la structure dépasse une certaine taille, elle emploie un directeur salarié à qui le président et son conseil d’administration (CA) peuvent déléguer de nombreuses tâches.

La gouvernance de la structure se partage alors entre le CA et son président d’une part et le directeur d’autre part. S’il revient aux premiers de recruter le second, et de conserver la haute main sur la stratégie de l’association, le directeur n’est pas un simple exécutant. Il a aussi un devoir d’initiative et doit veiller au bon fonctionnement de l’association, notamment à son équilibre économique.

En pratique, l’équilibre trouvé dépend beaucoup des personnalités des uns et des autres et de leur niveau d’implication. Face à des directeurs désormais tenus d’avoir une formation de bon niveau, les bénévoles, même s’ils disposent de la légitimité politique, n’ont pas toujours une parfaite connaissance de dossiers qui peuvent se révéler très techniques. D’autant que les associations d’aide à domicile ont pour la plupart une base d’adhérents réduite, se limitant souvent au seul conseil d’administration, qui peut compter de 5 à 15 membres.

Le pouvoir de l’expertise

Ceux-ci sont cooptés sur une base territoriale ou liée au champ d’activité couvert, afin que toutes les communes où l’association intervient soient représentées et que le CA compte en son sein un ou plusieurs bénévoles qui s’intéressent aux différents types d’intervention de l’association. Ce qui ne dispense pas de suivre les formations proposées par les fédérations. "Je me suis souvent interrogée sur ma légitimité à assumer mes responsabilités de présidente", confie Christiane Martel, présidente d’UNA Saint-Omer et Pas-de-Calais, et ancienne présidente nationale du mouvement, qui avoue avoir été rassurée par la reconnaissance officielle apportée par l’autorisation délivrée par le conseil départemental.

Dans de nombreux services, le directeur, bien qu’invité au CA sans voix délibérative, dispose d’une expertise qui tend à réduire le rôle des administrateurs à celui d’une simple chambre d’enregistrement d’une stratégie définie en dehors d’eux. "C’est pourquoi nous avons choisi de fonctionner en réseau avec des associations dédiées à chaque type de publics - personnes âgées dépendantes, en situation de handicap, aide aux familles... -, ce qui permet une spécialisation des administrateurs. Ils peuvent ainsi s’approprier les sujets les plus techniques et éviter toute prise de pouvoir par la technostructure", explique Pierre Kammerer, directeur général du réseau APA du Haut-Rhin.

Ne pas oublier le projet d’origine

Conserver le contrôle politique de l’association est une exigence d’autant plus aiguë pour les bénévoles quand celle-ci se trouve confrontée aux restrictions des budgets publics et à la concurrence d’acteurs privés à but lucratif sur tout ou partie de leurs activités, ce qui oblige à des choix difficiles. Car la tentation peut se faire jour, afin d’assurer la pérennité de la structure, de développer les activités les plus "rentables", quitte à oublier au passage tout ou partie du projet associatif et les valeurs qui lui sont associées.

Les directeurs, très majoritairement, résistent à cette tentation et aimeraient plutôt voir les bénévoles s’impliquer davantage et partager un peu plus les responsabilités qui sont les leurs. Sauf qu’en face, les présidents et administrateurs les plus impliqués n’ont pas la tâche facile : il leur faut être à la fois chefs d’entreprise, employeurs, gestionnaires de fonds publics, porter et transmettre les valeurs qui fondent l’association... et tout cela à titre bénévole ! On comprend que les candidats ne se bousculent pas au portillon, surtout pour assumer la fonction de président. Les profils des bénévoles sont pourtant assez variés : certaines personnes ont acquis une connaissance du secteur dans leur vie professionnelle antérieure, d’autres sont motivées par une expérience personnelle, d’autres, encore, élus, militants associatifs, vivent cet engagement comme la poursuite de leur investissement dans la vie sociale ou politique de leur commune. Soyons justes cependant, la difficulté à renouveler les CA tient aussi au fait que les derniers arrivés, quand ils ont des idées et un peu d’ambition, ont parfois du mal à trouver leur place...

Des conseils de la vie sociale

Reste un point essentiel, qui marque la limite du fameux principe démocratique "une personne, une voix" dont se prévalent les associations, et plus généralement toutes les organisations de l’économie sociale et solidaire. En effet, hormis les bénévoles, les autres parties prenantes à la vie de l’association - salariés et bénéficiaires de ses activités - ne sont pas, en règle générale, associées à sa gouvernance.

Zoom La délicate évaluation de la qualité des services rendus

Si peu d’associations font participer les bénéficiaires de l’aide à leur gouvernance, elles s’efforcent en revanche toutes d’évaluer la qualité de leurs prestations. Cette évaluation ne va cependant pas de soi. Pour des raisons de méthode tout d’abord : soit le questionnaire ou l’entretien proposé a un caractère anonyme, ce qui incite peu le bénéficiaire à le remplir, soit il ne l’est pas et le bénéficiaire peut craindre qu’un jugement négatif ne se répercute sur sa relation avec la personne qui intervient à son domicile.

Au-delà de ces questions, à quoi s’intéresse-t-on quand on évalue la qualité ? Pour l’association, la qualité, c’est d’abord le respect des procédures, le fait que la prestation délivrée soit conforme au cahier des charges défini avec le bénéficiaire. En revanche, pour le bénéficiaire, une aide à domicile de qualité, c’est d’abord une aide qui le satisfait. Or la satisfaction des personnes aidées, et des aidants familiaux, ne se résume pas à la seule conformité à un cahier des charges technique. Elle suppose aussi, le plus souvent, de prendre certains arrangements avec celui-ci. Au final, une intervention qui satisfait le bénéficiaire résulte toujours d’une négociation informelle entre celui-ci et l’intervenante, et suppose que chacun trouve son compte dans la relation qui se noue.

Quelques associations proposent aux bénéficiaires et à leur famille, s’ils le souhaitent, de devenir adhérents et de participer à la vie de la structure, mais elles demeurent peu nombreuses sachant qu’en aucun cas cette adhésion ne peut être requise pour accéder aux prestations de l’association. Reste qu’il est toujours souhaitable de donner aux bénéficiaires et à leurs proches la possibilité de participer à la vie de l’association au-delà de leur contribution au processus d’évaluation des prestations (voir encadré). La loi n° 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale a institué un conseil de la vie sociale dans les établissements sociaux, mais sa création n’est pas obligatoire dans les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad). "Pour notre part, nous avons choisi de constituer des conseils de la vie sociale qui désignent des délégués qui siègent avec voix délibérative au sein des CA de nos associations", raconte Pierre Kammerer.

L’Association d’aide et de garde à domicile de l’Aisne (Aagda), à Soissons, est partie du même constat. Un club des aidants a vu le jour en 2010. Il leur a permis de se retrouver, d’échanger sur tous les sujets les concernant. Mais c’était aussi une manière d’affirmer la reconnaissance de leur rôle et de les intégrer au fonctionnement du service afin d’améliorer leurs relations avec les intervenants. Dans un second temps, en 2012, il a été décidé de modifier les statuts de l’association. "Nous avons mis en place un "comité des aidants et des bénéficiaires" qui délègue deux personnes au CA", décrit Dominique Villa, le directeur général de l’association. Les aidants sont au final bien représentés au CA puisque parmi les douze membres, au-delà des deux délégués du comité, on compte des personnes qui ont eu ou ont encore des proches bénéficiant des services de l’association.

Des professionnels qui osent dire

Les salariés ne sont pas non plus associés à la gouvernance dans la plupart des services, alors qu’on peut tout à fait leur donner une place sans trahir le principe de non-lucrativité. Il est au fond assez étonnant qu’on leur refuse ainsi toute influence sur l’orientation de la structure, alors qu’ils en assurent le fonctionnement au quotidien. Dans la pratique, quand le président est à l’écoute de son directeur, et que le directeur est à l’écoute des salariés, beaucoup de choses remontent. Reste qu’à côté des institutions représentatives du personnel, dont la fonction est de défendre les cas individuels (pour les délégués du personnel) ou d’exercer un droit d’information-consultation sur la vie de la structure (pour le comité d’entreprise), il est toujours utile d’associer des représentants du personnel à la gouvernance. En effet, les salariés des services d’aide, au-delà du lien de subordination lié à leur statut, sont aussi des professionnels qui ont des choses à dire sur la façon dont ils exercent leur métier, sur ce qu’il faudrait changer, ou faire évoluer, afin que l’association remplisse au mieux ses missions.

"Nous avons accordé deux sièges au CA aux salariés dans nos nouveaux statuts", indique Dominique Villa d’Aagda. A l’APA du Haut-Rhin, des représentants des salariés siègent également dans les CA, mais sans voix délibérative. "Leur présence est très utile, car ils ont une vraie expérience du terrain, et donc des avis qui différent parfois de ceux des directeurs, ce qui n’est pas simple à gérer, mais toujours enrichissant. Et puis, ils osent dire aux représentants des financeurs des choses qu’il nous est plus difficile d’exprimer...", sourit Pierre Kammerer.

Associer les salariés à la gouvernance de la structure pour lui donner une dimension plus coopérative demeure cependant l’exception. Les salariés, plongés dans leur travail et, souvent, dans leurs propres problèmes de fin de mois, ne sont d’ailleurs pas toujours demandeurs face à des patrons-bénévoles qui ont généralement un niveau de formation qui les distingue de leurs salariés. Un écart qui se double d’une différence de genre : les hommes sont nombreux au sein des CA alors que les salariés sont en quasi-totalité des femmes. Enfin, l’encadrement de l’activité par les pouvoirs publics à travers la tarification des services limite fortement les marges de manoeuvre des dirigeants, bénévoles et directeurs, en partie réduits au rôle de sous-traitants d’une politique sociale dont le financement et l’organisation sont largement décidés en dehors d’eux.

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