Violences conjugales : des réponses insuffisantes

6 min

Une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups. Contre les violences conjugales, des lois et des dispositifs existent, mais les moyens manquent.

Virginie1, 19 ans, a quitté sa famille pour s’installer avec son amoureux chez les parents de celui-ci, à Paris. Très vite, il l’insulte et la frappe. Elle tombe enceinte, les coups redoublent. Ils ne cesseront pas après l’accouchement. Elle part une première fois avec son enfant pour trouver refuge dans un hôtel social. Mais le lieu ne propose pas d’accompagnement professionnel ni social. A son retour chez ses beaux-parents, les violences reprennent. Virginie s’enfuit alors, sans sa fille, et trouve les coordonnées de l’association Une femme un toit (FIT) sur Internet. Celle-ci héberge, dans un immeuble parisien, des jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans victimes de violences et les accompagne vers l’autonomie.

Virginie y reste dix-sept mois. Elle en partira après avoir trouvé un emploi (elle a intégré l’atelier recherche d’emploi de FIT et a bénéficié de son réseau de partenaires) et un logement. La jeune femme refuse toutefois de porter plainte dans l’espoir de recouvrer la garde de son enfant qui vit avec les parents de son ex-conjoint.

Un cumul de violences

La création, en 1969, d’Une femme un toit est venue répondre à une situation que la loi ne prend pas en compte. "La loi définit les violences conjugales comme étant commises entre personnes vivant en concubinage, mariées ou pacsées, sans tenir compte des relations amoureuses en général, explique Marie Cervetti, directrice de l’association. Résultat : rien n’est prévu pour les jeunes femmes, notamment celles de 18 à 20 ans, qui peuvent être victimes de violences conjugales sans être pour autant en concubinage, mariées ou pacsées. Par ailleurs, les 18-25 ans ne bénéficient que très rarement des minima sociaux. Nombre de ces femmes n’ont alors pas d’autre solution que de dormir dans la rue ou d’appeler le 115."

Cette association, financée par le ministère du Logement, compte 60 lits et accueille en moyenne une centaine de femmes par an accompagnées par treize salariés (dont des éducatrices, des personnes en charge de la gestion et de la logistique, et une directrice). Un quart seulement des 400 femmes qui en font la demande peuvent être hébergées.

Evolution du nombre de décès dans le cadre de violences conjugales

"Malgré les lois, les chiffres sur les violences conjugales ne baissent pas, mais le nombre de plaintes déposées stagne. Par manque de moyens, nous sommes encore et toujours dans le bricolage", déplore Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, une association qui recherche des financements pour des projets féministes. Le programme gouvernemental "Egalité entre les hommes et les femmes" n’est ainsi doté que de 27 millions d’euros pour traiter des thématiques aussi vastes que l’emploi et l’égalité professionnelle, la parité dans les sphères politique, économique et sociale, la lutte contre la précarité et contre les violences faites aux femmes.

Chaque année, 223 000 femmes déclarent subir des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint, selon les enquêtes menées par l’Insee et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Dans 70 % des cas, ces violences ont été répétées. Et seules 14 % des femmes concernées disent avoir porté plainte. Par ailleurs, les données recueillies en 2014 par le 3919 (la ligne d’écoute de Violences Femmes Info) montrent que les différentes formes de violence se cumulent souvent : psychologiques (dans 86 % des cas), verbales (75 %), physiques (70 %), économiques (23 %), sexuelles (6 %) et administratives (2 %).

Les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes se sont mises en place dans la foulée des mobilisations féministes des années 1970. Depuis 1987, la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) regroupe 64 associations qui suivent chaque année 30 000 femmes victimes de violences. Toutes ou presque dépendent de subventions publiques. Beaucoup sont spécialisées dans un public particulier, un mode d’intervention (hébergement, accueil de jour, écoute et soutien psychologique...) ou une thématique (actions contre les mariages forcés, contre le sexisme, contre les mutilations sexuelles...).

Des actions publiques récentes

L’arsenal législatif est récent. La première campagne d’information sur les violences conjugales date de 1989. La première loi définissant un délit spécifique de violences et des peines aggravées dès lors que ces actes sont commis par le conjoint ou le concubin est promulguée en 1992 ; la même année, un service téléphonique national d’écoute, Violences conjugales-Femmes Infos Services, est mis en place, il deviendra le 3919 en 2007. Depuis, l’arsenal juridique s’étoffe : il comprend notamment une ordonnance de 2010, qui vise à mieux protéger les victimes, et la loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, qui a entraîné notamment la mise en place d’un téléphone grave danger (TGD) permettant aux femmes de faire appel aux secours très rapidement.

Démarches entreprises par les 152 000 femmes victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint cohabitant au moment de l’enquête, en %

Champ : femmes âgées de 18 à 75 ans, vivant en ménage ordinaire en métropole.

N. B. : lorsque la victime a connu plusieurs faits de violences durant l’année précédant l’enquête, les résultats concernant les démarches entreprises portent sur la description d’un seul de ces événements.

Démarches entreprises par les 152 000 femmes victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint cohabitant au moment de l’enquête, en %

Champ : femmes âgées de 18 à 75 ans, vivant en ménage ordinaire en métropole.

N. B. : lorsque la victime a connu plusieurs faits de violences durant l’année précédant l’enquête, les résultats concernant les démarches entreprises portent sur la description d’un seul de ces événements.

Enfin, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), créée en 2012, a notamment pour but de collecter de nouvelles données statistiques et de les améliorer en mêlant différentes sources d’information. Une enquête appelée Virage, menée par une équipe de chercheurs de l’Ined, sera ainsi rendue publique en novembre 2016 ; la précédente étude complète sur le sujet datait de 2001.

Répartition des faits déclarés de viols et de tentatives de viol subis par les femmes, selon leur lien avec l’agresseur, en %

Champ : femmes âgées de 18 à 75 ans, vivant en ménage ordinaire en métropole.

La Miprof est chargée d’un plan de formation de tous les professionnels en contact avec le public (médecins, travailleurs sociaux, sages-femmes, magistrats, policiers...). Ainsi, 200 000 médecins ont utilisé un kit pédagogique conçu spécifiquement pour eux. "Un des médecins que je connais a réalisé une enquête auprès de ses patientes en leur demandant si elles étaient victimes de violences conjugales. Beaucoup lui ont répondu qu’elles attendaient qu’il leur pose la question. Repérer les femmes concernées et les accompagner, ça s’apprend et ça répond à un vrai besoin", rappelle Marie Cervetti.

Agir à tous les niveaux

"Il manque environ 6 000 places d’hébergement en France pour les femmes victimes de violences, selon les associations du secteur, déclare Marie Cervetti. En 2012, François Hollande avait pris l’engagement d’ouvrir 1 650 places d’urgence d’ici à 2017 pour ce type de public. Mais personne ne peut évaluer aujourd’hui combien d’entre elles ont effectivement été créées dans des lieux d’hébergement d’urgence." De plus, ces places ne sont souvent pas pérennes. Les centres, submergés par les demandes, ne peuvent pas les réserver et les laisser vacantes au cas où des femmes violentées en aient besoin.

Le problème principal rencontré aujourd’hui par les acteurs de terrain est financier : "Aucun moyen supplémentaire n’a été donné aux associations, toutes nos demandes d’augmentation de places ont été refusées. Et pour certaines d’entre elles, les soutiens ont tellement baissé qu’elles risquent de disparaître", poursuit la directrice d’Une femme un toit.

D’où la revendication d’une loi-cadre qui, sur le modèle de la loi espagnole de 2005, proposerait une approche globale de la prévention et du traitement des violences de genre. Education, aide aux victimes, amélioration de l’efficacité de la justice..., "c’est en agissant à tous les niveaux que nous serons efficaces", estime Bérénice Sylvain, vice-présidente d’Elle’s imagine’nt. Cette association créée en 2009 intervient dans les collèges pour sensibiliser les filles et les garçons à ces sujets.

  • 1. Le prénom a été changé.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet