Les trois leviers de l’emploi

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Stimuler la croissance économique et les activités " riches en emplois ", développer les emplois aidés, tels sont les principaux leviers dont disposent les pouvoirs publics pour accroître l'emploi.

1. La croissance

La croissance économique est créatrice d’emplois dès lors qu’elle dépasse le seuil des gains de productivité (1 % actuellement environ). Certes, elle n’a permis de créer quasiment aucun emploi en 2004, mais l’intensification du travail a des limites. Les employeurs accepteront cependant d’autant plus facilement de lever leurs préventions à l’embauche que les perspectives de croissance leur paraîtront assurées et fortes. Le problème est que la croissance ne se décrète pas.

La consommation a largement tiré la croissance en 2004, grâce notamment au déblocage des primes de participation décidé l’été dernier par Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était à Bercy. Mais elle s’essouffle en raison de la faiblesse des augmentations de salaire et de la stagnation du nombre de salariés. Quant aux entreprises, elles continuent de bouder l’investissement, parce qu’elles craignent que la reprise de 2004 n’ait été qu’un feu de paille conjoncturel. Les exportations de biens et de services plafonnent, plombées par la faible croissance des autres membres de la zone euro qui sont nos principaux clients (Allemagne et Italie surtout) et par la montée du taux de change de l’euro. Et la dépense publique (celle de l’Etat et des organismes sociaux) doit décélérer en 2004, selon les voeux du gouvernement pour respecter le pacte de stabilité européen, dont la France et l’Allemagne se sont " mis en congé " depuis 2003. Les perspectives sont donc plutôt sombres.

Comment éclaircir l’horizon ? En ce domaine, beaucoup dépend des entreprises : qu’elles lâchent un peu de lest sur les salaires, et la consommation repart ; qu’elles investissent davantage, et c’est l’activité tout entière qui en profite. Mais, comme chacune, isolément, a intérêt à attendre que les autres commencent, des incitations publiques sont nécessaires.

L’Etat n’a pas de pouvoir dans la fixation des salaires des entreprises privées, si ce n’est par le biais du salaire minimum (qui va augmenter de 5 % environ en juillet). D’où l’importance des négociations de branche : c’est à ce niveau surtout qu’on pourrait espérer surmonter la propension naturelle de chaque entreprise à trop serrer la vis sur les salaires. Le gouvernement aimerait bien les relancer, mais il n’a pas le pouvoir de le décider. Or, le Medef a consacré beaucoup d’efforts depuis vingt-cinq ans à vider ces négociations de branche de leur substance. Il vient d’ailleurs d’adresser au gouvernement une fin de non recevoir : pas question de négocier dans les branches, c’est l’entreprise seule qui doit décider des augmentations de salaires.

2. Les activités " riches en emplois "

Tout ministre de l’Emploi en rêve : développer des activités " riches en emplois ", c’est-à-dire à faibles gains de productivité. C’est le cas, on l’a vu, des services à la personne. Il n’est donc pas étonnant que Jean-Louis Borloo ait récemment présenté un plan destiné à stimuler ce type d’activité. Il en espère 500 000 emplois supplémentaires en quatre ans. Notamment grâce à la création d’un " chèque service universel ", ouvrant droit à un crédit d’impôt de 25 % et à des cotisations sociales réduites de 15 points.

Avec le vieillissement de la population et la généralisation du travail féminin, il existe effectivement d’énormes besoins latents : soins à domicile, portage de repas, ménage, entretien des espaces verts privés, garde des enfants, aide scolaire... Mais pour que ces besoins se transforment en emplois, le gouvernement a choisi, comme les précédents d’ailleurs, la voie de la " solvabilisation " de la demande des particuliers : on les subventionne lourdement (prestations d’accueil du jeune enfant, allocation personnalisée d’autonomie, réduction d’impôts, réduction de cotisations sociales) afin de les inciter à devenir eux-mêmes employeurs. Or, cette voie revient à aider surtout les riches (qui utilisent davantage les aides proposées) et n’engendre que des miettes d’emplois, au temps de travail faible, que les salariés ne parviennent généralement pas à " chaîner " pour les transformer en un emploi acceptable.

Une autre voie existe : les pays scandinaves ont depuis longtemps développé des " services publics municipaux ", parfois délégués à des organismes associatifs ou mutualistes. Les communes ont l’obligation de mettre en place des dispositifs pour garder les enfants (en dehors des heures de classe lorsqu’il s’agit d’enfants scolarisés), aider les personnes à domicile, etc. Les tarifs de ces services publics sont proportionnés aux capacités financières des usagers, le manque à percevoir étant compensé par les communes. Enfin, les salariés de ces services bénéficient de vrais emplois, avec une formation, des droits sociaux, des emplois stables et à temps complet ou presque. Rien à voir avec les actuels " petits boulots " qui, sous prétexte de rendre service aux personnes utilisatrices, paupérisent et fragilisent ceux qui les rendent.

Il suffirait que l’Etat bascule tout ou partie des aides à l’emploi direct octroyés aux particuliers - qui coûtent entre 20 et 30 milliards d’euros1 - sur de tels services collectifs pour que, sans qu’il en coûte plus cher à la collectivité, les besoins soient mieux satisfaits et les emplois de meilleure qualité. Mais il pèse une telle suspicion sur les emplois publics qu’évoquer cette solution, à la scandinave, est devenu politiquement incorrect. Et ceci alors que l’emploi " privé " engendré par l’essor de ces services à la personne est subventionné à plus d’un tiers par la collectivité elle-même. Mais pas au bénéfice de ceux qui en auraient le plus besoin2.

3. Les politiques d’emploi

Les politiques d’emploi se décomposent pour l’essentiel en deux volets : les réductions de cotisations sociales sur les bas salaires (jusqu’à 1,6 fois le Smic actuellement) et les emplois aidés. L’efficacité des premières n’est guère discutable en termes de nombre d’emplois créés, mais elles coûtent cher à la collectivité : environ 15 milliards d’euros (dont deux tiers au titre des 35 heures et un tiers au titre des bas salaires, avant que les deux dispositifs ne fusionnent en 2003). En outre, ces réductions s’atténuant lorsque le salaire s’éloigne du Smic, les employeurs ont tout intérêt à embaucher au Smic même pour des emplois qualifiés et à freiner toute augmentation de salaire. Avec le risque de tirer vers le bas toute la structure productive du pays, alors même que les générations qui entrent sur le marché du travail sont nettement mieux formées que celles qui le quittent.

L’autre grand volet de la politique d’emploi consiste en emplois aidés3. En 2003 et 2004, leur nombre avait été sensiblement réduit. On est ainsi passé de 964 000 postes aidés à la fin 2002 - lorsque les créations d’emplois ont commencé à fléchir fortement - à 764 000 en octobre 2004. Non seulement cela a aggravé le chômage, mais les moins bien lotis sur le marché du travail en ont été davantage fragilisés.

  • 1. 5 milliards d’euros pour l’allocation personnalisée à l’autonomie (à la charge des départements), 4 milliards d’euros pour les aides à la garde d’enfants (Etat), 2 milliards d’euros pour les réductions d’impôts liées aux emplois familiaux (Etat), 2 milliards de baisse de cotisations sociales (Etat), sans doute au moins 7 milliards pour le fonctionnement des crèches, haltes-garderies, centres aérés municipaux...
  • 2. Voir " Quand le marché joue contre la qualité ", Alternatives Economiques n°234, mars 2005.
  • 3. Exonération de cotisations sociales pour embauche d’un premier salarié, contrats initiative emploi, contrats jeunes en entreprise, contrats de qualification ou d’adaptation, contrats emploi solidarité ou emplois consolidés, contrats emplois-jeunes.

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