" Reconsidering expectations of economic growth after world war ii from the perspective of 2004 "

par Robert W. Fogel NBER Working Paper 11125, février 2005.

L’économiste historien Robert W. Fogel s’est prêté à un petit jeu qui fait toujours mal : regarder ce que les anciens économistes, ceux des années 40-50, prédisaient pour notre monde actuel. Entre les erreurs complètes et les événements non prévus, le résultat est tout bonnement catastrophique.

La première erreur a porté sur le rythme de la croissance et des créations d’emplois. Les économistes étaient persuadés qu’au sortir de la guerre, l’économie mondiale connaîtrait une faible croissance et un niveau élevé de chômage. Ils avaient des raisons objectives à cela. Keynes avait montré quelques années plus tôt qu’un équilibre macroéconomique était compatible avec l’absence de plein-emploi. Aux Etats-Unis, 11 millions de soldats démobilisés et 9 millions de travailleurs dans les industries de défense allaient bientôt rejoindre un marché du travail de 60 millions de personnes. Difficile d’être optimiste dans ses prévisions d’emploi. Pourtant, l’économie américaine allait connaître deux récessions très courtes en 1945 et en 1949-1950, le taux de chômage s’établissant à moins de 3 % au début des années 50. Il est toutefois plus incompréhensible que le débat sur les risques d’une stagnation de long terme ait longtemps perduré dans les années 50 et 60, celles qui seront bientôt baptisées des " Trente Glorieuses ".

Une autre grande erreur est liée à l’appréciation du potentiel de développement des pays du Sud. Dans les années 60, les économistes soulignaient volontiers que l’arrivée d’investissements étrangers dans les pays en développement ne changerait rien tant que les " barrières culturelles " profondes qui les empêchaient de connaître une croissance dynamique ne seraient pas levées. De même, le principe d’une croissance tirée par les exportations était plutôt mal vu : un pays pauvre envoyant ses matières premières ou des produits à fort contenu en main-d’oeuvre dans les pays riches était un pays exploité par les puissances impériales du Nord.

La démographie fut une autre source de mauvaise prévision. Pas tant de la part des spécialistes, nous dit Fogel : contrairement aux analyses du Club de Rome qui concluaient que la croissance de la population allait épuiser rapidement la planète, les démographes pensaient en effet que l’augmentation rapide de la population dans les pays du Sud n’était due qu’à un retard dans la baisse de la fécondité par rapport à celle de la mortalité. Cette transition mettant du temps à survenir, les démographes ont commencé à dire qu’il ne fallait plus y croire... juste au moment où elle démarrait. Il était aussi prévu que les Chinois, trop nombreux, mourraient de faim, alors que l’offre de produits alimentaires par habitant a progressé en Chine de 70 % dans les quarante dernières années.

Reste les grands événements non prévus. Le décollage du Japon, d’abord. Celui des pays émergents asiatiques, ensuite, et, enfin, la montée en puissance de la Chine. Durant les années 50-60, les économistes s’amusaient à calculer le moment où le produit intérieur brut (PIB) de l’URSS allait dépasser celui des Etats-Unis. Dans les années 80, ils cherchaient le moment où ce serait au tour du Japon. Aujourd’hui, les calculs portent sur la Chine. En dépit de ces expériences malheureuses, Fogel nous dit qu’il maintient son pari : c’est en 2030 que le PIB de la Chine et des pays du Sud-Est asiatique dépassera celui des Etats-Unis et des cinq plus grands pays européens.

Les erreurs de prévisions des économistes ne sont pas particulièrement l’apanage des cinquante dernières années. Au milieu du XVIIIe siècle, les économistes pensaient que le progrès de la dernière décennie avait été si important que la fin de l’histoire était arrivée. A la fin du XIXe siècle, ils pensaient que la croissance du dernier demi-siècle avait été si fabuleuse qu’il serait impossible de retrouver une telle dynamique. Constatant ces erreurs à répétition, l’économiste américain Simon Kuznets avait rendu son verdict : si vous voulez connaître l’avenir du monde, laissez tomber l’économie et lisez des romans de science fiction !

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