Développement

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Plus d'un milliard d'hommes vivent aujourd'hui dans la misère la plus absolue

Le Sud de la planète va mal. Très mal. La misère y fait des ravages, l’espérance de vie y décline, la scolarisation n’y progresse plus, voire régresse, les conflits s’y multiplient, avec un lot grandissant de victimes innocentes. Certes, ce tableau dramatique ne concerne pas tous les pays du Sud, et moins encore tous leurs habitants. Mais le nombre de ceux qui doivent vivre avec moins d’un dollar par jour - un seuil en dessous duquel il n’est pas possible de vivre humainement et de satisfaire ses besoins élémentaires - est si élevé que, manifestement, quelque chose ne tourne pas rond dans notre planète.

Comparant les données 2000 et 2004 publiées par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) dans ses rapports sur le développement dans le monde, j’ai en effet constaté que le nombre de personnes devant vivre avec moins d’un dollar par jour avait, entre ces deux dates, sensiblement progressé, passant de 839 millions de personnes à 971 millions. Signe d’une dégradation de la situation ? A vrai dire, non. Car, dans l’annuaire 2000, 56 pays s’étaient prêtés à l’exercice. N’y figuraient ni la Chine, ni le Vietnam, ni six autres pays : soit au total près de 1,5 milliard d’habitants. Si on les retirait des chiffres de 2004, pour comparer des ensembles comparables, le nombre de misérables n’était plus " que " de 589 millions de personnes. Ce qui permet aux optimistes de claironner que la mondialisation est bénéfique.

De fait, sur les 56 pays concernés, 11 seulement (421 millions d’habitants) voient leur situation empirer, tandis que 30 (2 milliards d’habitants) la voient s’améliorer, et qu’elle demeure inchangée dans 15 autres Etats (250 millions d’habitants). D’autant qu’on peut supposer que la décision de procéder à l’enquête demandée par les Nations unies est prise par un pays plutôt lorsqu’il estime que sa situation s’améliore et qu’il peut donc se prêter à l’exercice de comparaison internationale sans trop de honte. Il est donc vraisemblable que les huit pays manquant à l’appel en 2000, mais présents en 2004, sont sans doute sur la bonne pente.

Les optimistes auraient donc raison. Hélas non. Car, en 2004 comme en 2000, il y a encore pas mal de pays absents de la statistique internationale. Les plus pauvres en général : Angola, Haïti, les deux Congo, Guinée, Myanmar (Birmanie) et sa junte démocratophobe, Ouganda, Soudan, Bhoutan... Au total ils représentent près de 500 millions de personnes, dont un grand nombre sans doute vit dans des conditions infra-humaines. Et, parmi les pays " stables ", la majorité le sont parce qu’ils n’ont aucun intérêt à renouveler une enquête qui risquerait de montrer une aggravation de la situation. Sans vouloir médire, des pays comme le Zimbabwe, le Nigeria, la République centrafricaine, le Mali, le Niger ou la Sierra Leone, dont la proportion affichée de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour est comprise entre un tiers et deux tiers de leur population, n’ont vraisemblablement pas vu leur situation s’améliorer. En tout cas, ce n’est pas ce que montre l’évolution de leur espérance de vie ou de leur taux de scolarisation.

Si bien que, sans que l’on puisse avancer de chiffre avec certitude, il y a vraisemblablement plus d’un milliard d’hommes qui, aujourd’hui, vivent quotidiennement dans la misère la plus absolue. C’est cet échec que dénonce Serge Latouche, qui propose de " sortir du développement ", parce que, écrit-il, " le traitement économique, le seul efficace, passe par un changement du système qui engendre la pauvreté "1. S’il voulait dire que les règles de la répartition doivent favoriser davantage les plus pauvres, il n’aurait pas tort. Mais le système qu’il dénonce est le développement, un mot toxique dit-il, et il plaide donc pour une " décroissance conviviale ".

Une mauvaise réponse pour un vrai problème. Car il y a deux sortes de pays où la pauvreté absolue s’est aggravée, ou vraisemblablement aggravée. D’abord, un certain nombre de pays d’Amérique latine (Venezuela, Brésil, Pérou, Nicaragua, Bolivie...), étranglés par la dette et victimes des plans d’ajustement du FMI. La montée de la pauvreté est, pour eux, le résultat d’une gouvernance mondiale plus soucieuse du paiement des dettes que du sort des habitants. Ensuite, des pays victimes de guerres civiles ou de cliques ayant confisqué l’Etat à leur profit. Le problème, là, est celui de la démocratie et de l’aide internationale, dramatiquement insuffisantes.

Pour vaincre la misère, ce n’est pas le " système " qu’il faut mettre en cause, mais la façon dont il est gouverné ou confisqué. Notre problème n’est pas le " développement ", mais son insuffisance et l’iniquité de sa répartition. Ce n’est pas exactement la même chose.

  • 1. Survivre au développement, éd. Mille et une nuits, 2004.

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