Éditorial

Divergence d’analyse

3 min

Le débat référendaire est maintenant bien engagé. A droite, chacun joue à contre-emploi : les partisans du " Non ", de Jean-Marie Le Pen à Philippe de Villiers, donnent envie de voter " Oui ". Inversement, les partisans du " Oui " semblent faire campagne pour le " Non " : faute d’assumer leurs responsabilités dans la situation économique et sociale du pays, ils laissent la voie libre à ceux qui font de l’Europe la cause de nos malheurs, et se contentent de nous promettre une Europe " à la française " comme seul argument en faveur du traité. Affligeant !

A gauche, le souverainisme est moins assumé et prend parfois curieusement la forme d’un maximalisme fédéraliste hors de propos. Nombre de partisans du " Non " se veulent néanmoins sincèrement pro-européens et récusent une Europe jugée trop libérale. Nous partageons largement ce diagnostic : l’Europe donne aujourd’hui trop de place au marché, pas assez au collectif et à la redistribution, et se révèle incapable de conduire une politique économique favorable à la croissance et à l’emploi.

Mais être en accord sur le diagnostic n’implique pas de partager l’analyse de ses causes et les modalités de son traitement. Sur la base d’une vision du monde d’inspiration marxisante, les partisans du " Non " de gauche considèrent qu’Etats et gouvernements ne sont que des agents dociles aux services des multinationales et de la finance. Le traité constitutionnel réaliserait ainsi le programme que ces forces appelleraient de leurs voeux.

Cette analyse passe à côté de l’essentiel parce qu’elle sous-estime le poids du politique, des rivalités de puissance. Si l’Europe est aujourd’hui structurellement libérale, c’est d’abord en raison du refus des Etats de renoncer à leurs prérogatives. Là est la vraie menace pour cette aventure historique sans précédent qu’est la construction européenne. Ce sont les gouvernements, bien plus que les entreprises, qui refusent à l’Union les moyens de politiques communes fortes, nécessaires pour contrebalancer la logique concurrentielle du marché unique. La meilleure preuve en est fournie par le niveau respectif des budgets nationaux et européen. Alors que les prélèvements s’élèvent en moyenne à 40 % au sein de chaque nation (et sont parfois en hausse, comme au Royaume-Uni), ils atteignent à peine 1,1 % du produit intérieur brut au niveau européen !

Une victoire du " Non " serait à coup sûr perçue par les gouvernements comme un refus de l’Europe telle qu’elle est. Peut-on pour autant s’attendre à les voir s’engager tous ensemble dans la rédaction d’un nouveau texte renforçant l’Union aux dépens de leurs propres prérogatives ? Alors que, pas plus tard qu’hier, ils rognaient allègrement les avancées institutionnelles issues des travaux de la Convention ! Il faut avoir une confiance bien grande dans les vertus des crises pour l’espérer. A l’inverse, dire " Oui ", c’est engranger le renforcement des institutions apporté par le traité, et notamment l’accroissement des pouvoirs du Parlement européen, plus sensible à la demande sociale. Le libéralisme de l’Europe est d’abord le fait des gouvernements et de leurs rivalités ; tout ce qui peut amener à limiter leur pouvoir au profit du niveau européen est bon à prendre.

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