Entretien

" Le traité constitutionnel marque une inflexion vers l’Europe politique "

4 min
Alain LIPIETZ Porte-parole de la commission économique des Verts, dernier ouvrage paru : " Berlin, Bagdad, Rio ", éd. Quai Voltaire

Alternatives Economiques : Vous faites campagne pour le " Oui ". Quels sont vos principaux arguments en faveur de cette position ?

Alain Lipietz : J’ai voté " Non " à Maastricht, qui instituait un marché unique avec une monnaie unique, sans l’accompagner d’une Europe politique, démocratique, capable de contrôler le marché et la course au profit. J’ai voté contre Amsterdam et contre Nice, qui aggravaient encore ce désarmement du politique.Je voterai " Oui " au traité constitutionnel, parce qu’il marque, pour la première fois depuis l’Acte unique de 1986, une véritable inflexion vers l’Europe politique.

Les gains, en matière de contenu social, écologique ou féministe, sont réels : constitutionnalisation de la charte, reconnaissance des services publics et obligation de les financer (article 122)... Mais l’essentiel, c’est la généralisation de la codécision avec le Parlement européen et de la règle de la majorité au Conseil, le droit d’initiative législative des citoyens sur la base d’un million de signatures, la simplification des réformes constitutionnelles futures avec la règle des quatre cinquièmes des pays (article 443) et les deux systèmes de révision simplifiée.

D’un point de vue géostratégique, face à l’hyperpuissance américaine, c’est l’émergence d’une Union parlant d’une seule voix, avec une défense européenne, qui n’est plus désormais inscrite dans l’Otan (article 41-6, qui se substitue à l’article 17-4).

Les arguments en faveur du " Non " sont-ils totalement irrecevables ?

La réaction des couches populaires qui votent " Non " est parfaitement compréhensible. Ce n’est pas un vote " pour en rester à Nice ", c’est un vote contre l’ensemble de l’évolution européenne depuis l’Acte unique. Parmi ces ouvriers, ces paysans, ces employés, beaucoup avaient eu comme moi la conscience des dangers de Maastricht et ne voient pas l’inflexion (il est vrai encore trop discrète) que marque le traité.

D’autres avaient voté " Oui " sur la foi des serments de la social-démocratie. Ils votent cette fois " Non " pour ne plus se faire avoir ou pour exprimer leur ras-le-bol général. Ces attitudes sont compréhensibles, même si elles aboutissent à figer l’Europe dans un état dont ils sont les premières victimes.

Je suis beaucoup plus sévère pour les dirigeants politiques et les intellectuels, qui ont les moyens de mesurer l’évolution entre Nice et le traité constitutionnel. Certains, trotskistes ou communistes, sont depuis le début contre l’Union européenne et jouent la politique du pire. D’autres, qui ont rédigé, signé, voté l’Acte unique, Maastricht, Amsterdam et Nice, défendent sans le dire leur enfant : des traités sociaux-libéraux, une Europe des nations. Une dernière catégorie rêve de provoquer une crise salvatrice, qui remettrait tout à plat et permettrait de renégocier un bien meilleur traité. Je n’y crois pas un instant.

Que peut-on craindre d’une victoire du " Non " ? Et espérer d’une victoire du " Oui " ?

Si le " Non " l’emporte, le traité de Nice est formel, une petite majorité d’électeurs français aura décidé de bloquer une réforme que l’écrasante majorité du reste des Européens attendait. Le ressentiment sera tel, dans la gauche européenne, qu’il sera très difficile d’enclencher un nouveau projet. D’autant que les autres pays susceptibles de voter " Non " (le Royaume-Uni, qui préfère une zone de libre-échange, la Tchéquie et la Pologne, qui veulent Dieu dans la Constitution) avanceront des demandes contradictoires. Voter " Non ", c’est garder Nice pour au moins dix ans et peut-être bien plus. C’est l’Europe-marché qui triomphe.

Voter " Oui ", ce n’est pas ouvrir les portes du paradis. C’est déplacer significativement les règles du jeu en faveur du principe fédéraliste. Bien sûr, l’essentiel dépendra des majorités que choisiront les électeurs, et des initiatives pour s’emparer des potentialités de la Constitution. La victoire du " Oui " ne prendra son sens que si s’enclenche aussitôt un mouvement de réforme constitutionnelle faisant sauter les derniers verrous (telles la règle de l’unanimité en matière fiscale ou sociale, la réforme des objectifs de la Banque centrale). Et si les citoyens s’engagent dans des campagnes de pétitions pour s’opposer aux organismes génétiques modifiés (OGM), imposer la citoyenneté de résidence, l’abaissement de la durée du travail en Europe, etc.

Propos recueillis par Philippe Frémeaux

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !