L’exode rural des services publics

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Les fermetures de services publics en milieu rural attisent la grogne des élus, pris en tenaille entre les économies budgétaires de l'Etat et la libéralisation du marché de La Poste.

Oui ou Non ? Beaucoup d’habitants de Haute-Saône ne se posent même pas la question. Près d’une centaine de maires menacent de ne pas organiser le référendum sur la Constitution européenne si la carte scolaire dépar tementale n’est pas revue. " Alors que le nombre d’élèves augmente, l’inspecteur d’Académie veut supprimer des classes, s’indigne René Bret, le président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) de la Haute-Saône. Après les perceptions et La Poste, c’est au tour de l’école. L’Etat accélère le déménagement des territoires ruraux. "Entre manifestations et pétitions, la France des campagnes gronde depuis plusieurs mois contre la disparition de ses services publics. Le 23 octobre 2004, 263 élus de la Creuse ont même présenté leur démission au préfet pour protester contre la fermeture " sans concertation " de cinq trésoreries cantonales.

Le 5 mars dernier, à Guéret, la manifestation pour " la défense et le développement des services publics " réunissait partis de gauche, associations et syndicats. 6 000 personnes étaient venues de toute la France pour " résister " à " la casse programmée des services publics ". Entre la préservation des infrastructures minimales dans les zones peu denses et le redéploiement des services publics vers des zones urbaines en difficulté souvent sous-équipées, les choix sont difficiles en termes de politiques publiques. Surtout dans un contexte où l’argent public est rare alors que la pression pour la libéralisation de certains marchés pousse les entreprises qui assurent nombre de ces services, comme La Poste ou la SNCF, à chercher à rationaliser leurs réseaux. Ce qui fait apparaître au grand jour le coût d’une péréquation entre les territoires, jusque-là largement masquée par l’unicité des tarifs. Et oblige à trouver les moyens de financer ces surcoûts par l’impôt si l’on veut maintenir cette forte présence en zone rurale.

Un processus toujours politiquement compliqué : les élus (et leurs électeurs) qui protestent quand on ferme des bureaux de poste ou des hôpitaux dans leur circonscription sont bien souvent les mêmes qui se plaignent de la hausse des impôts et des charges à l’Assemblée ou au Sénat (avec l’approbation de leurs électeurs). Mais cette pression fait aussi émerger des réponses originales, comme notamment les maisons de services publics. Elles sont probablement appelées à se développer à l’avenir ; on en est toutefois encore aux balbutiements dans ce domaine, faute en particulier de politiques de soutien cohérentes au niveau national.

Davantage d’arrivées que de départs

Tous les dix ans, l’Insee recense les équipements, commerces et services dans chaque commune. La dernière enquête de ce type remonte à 1998. Comparée à celle de 1980, la France des commerces avait profondément changé, mais celle des services publics beaucoup moins : même si les années 80 et 90 ont vu quelques services publics " déserter les zones rurales, et notamment les plus petites communes ", ce mouvement est resté " très limité ". A une exception près cependant, l’école primaire : en vingt ans, un tiers des communes françaises ont perdu la leur. " Ne connaissant que de rares fermetures, les services publics suivent encore la carte de la population des années 70, sans s’être totalement adaptés à celle de la décennie 90, notaient les auteurs. Les vastes territoires périurbains, situés à la frange des grandes agglomérations, en sont encore très largement dépourvus. "

Zoom Services publics : des maisons dans toute l’Europe

Aux mêmes maux, les mêmes remèdes. Les maisons de services publics fleurissent un peu partout en Europe depuis le début des années 90, bien qu’encore de manière expérimentale. " Sur les 27 pays que nous avions étudié en 2003 - qui n’ont pourtant pas des conceptions uniformes du rôle de l’Etat ni le même niveau de développement économique -, seuls l’Autriche, la Suisse et le Luxembourg, trois nations de superficie réduite, n’en avaient pas créées ", précise Agnès Sauviat, maître de conférence à l’université de droit et sciences économiques de Limoges. Ces guichets multiservices présentent certes des caractéristiques différentes - certains sont orientés vers les entreprises, etc. -, mais répondent très souvent aux mêmes objectifs. Au coeur de la démarche généralement, l’aménagement du territoire, rural ou urbain, ainsi que " la volonté de rompre avec un modèle bureaucratique d’administration. Un souci de simplification, de transparence, d’efficacité administrative ". Mêmes objectifs donc, mais aussi même problème récurrent : leur financement...

Depuis 1998, le mouvement de fermeture s’est cependant accéléré, provoquant la colère des élus locaux. Surtout que " ces disparitions se font sans aucune concertation ", précise Eric Schietse, le directeur de l’AMRF. De plus, cette accélération intervient alors que la campagne redevient attractive. Depuis 1990, et pour la première fois depuis un siècle, la population s’accroît dans la majorité des communes rurales. Y compris dans le rural isolé, où le solde migratoire est devenu positif, même s’il y a encore des zones où les départs d’habitants vers la ville l’emportent sur les arrivées.

Economies d’échelle à l’école

Même si elles s’inscrivent toutes dans un contexte de recherches d’économies, ces fermetures répondent cependant à des logiques différentes. Alors que l’adaptation à l’évolution démographique a déjà été largement menée (75 % des communes de moins de 300 habitants n’avaient plus d’école en 1998), l’Education nationale continue de favoriser les regroupements avec une seule école dans un bourg-centre ou différentes classes de niveau (CP, CE1, etc.) d’une même école répartie dans plusieurs communes. Objectif : rechercher les économies d’échelle. " Le "surcoût" en emplois d’enseignant des écoles rurales peut être estimé à 6 000, si l’on alignait leur taux d’encadrement sur celui des écoles urbaines ", notait le sénateur UMP Gérard Longuet dans son rapport sur la loi de finances 2005.

Le ministère avance également des arguments pédagogiques : rompre l’isolement des enseignants, offrir davantage d’équipements aux enfants... " Mais différentes études ont montré que les élèves sortant d’une école à classe unique * ont des acquis au moins égaux, insiste Etienne Anquetil, président de la Fédération nationale pour l’école rurale. En plus, la disparition de l’école communale oblige les élèves à faire la route et augmente le budget transport et cantine à la charge des collectivités... mais pas de l’Etat. " C’est cette même recherche d’économies d’échelle qui motive la fermeture des petits hôpitaux et maternités. Avec la même bataille d’arguments entre les partisans de la concentration, qui assurent qu’elle permet d’augmenter la qualité des prestations, et les opposants, qui insistent sur l’importance de la proximité pour favoriser l’accès aux soins.

Les files d’attente s’allongent

Dans d’autres cas, c’est l’évolution des missions des services qui rend indispensable leur réorganisation. Avec le développement des paiements par chèque, par carte ou par virement, la Banque de France s’est ainsi vue délestée d’une partie de ses missions de proximité. D’ici à fin 2006, elle devrait donc réduire de moitié de son réseau. " La restructuration qui est engagée doit n’être qu’une première étape ", insiste la Cour des comptes dans son rapport publié fin mars. Les syndicats et les élus locaux s’étaient en effet opposés au projet initial, plus radical, arguant que les succursales assurent aussi des services de proximité, dont l’accueil des ménages surendettés ou le conseil aux entreprises. Réorganisation également dans le réseau du Trésor public, qui compte près de 3 800 trésoreries où les particuliers se rendent de moins en moins. Mais difficile à mener, car leurs agents contrôlent et exécutent les recettes des collectivités, assurent une mission de conseil prisée des maires, etc.

Enfin, p our les services publics marchands, c’est l’ouverture à la concurrence qui joue le rôle d’aiguillon. Pour La Poste notamment : la distribution du courrier devrait être libéralisée dans tous les pays de l’Union d’ici au 1er janvier 2009. Or, ses 17 000 points de contacts - un pour 3 500 habitants, contre 1 pour 6 500 en Allemagne - pèsent sur ses résultats et sa capacité d’investissement. Et cet énorme réseau ne s’est pas suffisamment adapté aux évolutions démographiques. " Un bureau sur cinq a moins de 2 heures d’activité par jour, alors que les files d’attente s’allongent au guichet dans les aires urbaines ", notait Gérard Larcher dans son rapport d’information au Sénat en 2003. L’ex-parlementaire UMP estimait alors à 500 millions d’euros le surcoût brut pour La Poste de " l’animation d’un réseau non économiquement rentable ". Le gouvernement s’étant engagé à maintenir ces 17 000 points de contacts, l’opérateur public devrait accélérer le remplacement de ses bureaux les moins actifs (14 000) par des agences postales cofinancées par les collectivités et par des points postes confiés à des commerçants.

" Les services publics constituent l’armature du territoire, insiste Eric Schietse. Certes, leur présence dans des zones moins peuplées peut entraîner un surcoût, mais sa prise en charge est une question de volonté politique. " Le problème, c’est que l’Etat dispose de marges de manoeuvre financières limitées. Dans le cas de La Poste, plus de 6 200 communes rurales avaient adopté une motion demandant la création d’un fonds postal national de péréquation territoriale pour financer sa mission d’" aménagement du territoire ", autrement dit le surcoût de 500 millions. Le Parlement, qui doit adopter le projet début mai, en a accepté le principe, mais ne l’a doté que des 150 millions d’abattement de taxe professionnelle... dont La Poste bénéficiait déjà.

Guichets multiservices

Alors, ici et là, des alternatives se mettent en place. Il existe notamment aujourd’hui quelque 350 maisons de services publics, d’appellations et de formes très diverses, aussi bien en milieu rural - les points publics et les Espace ruraux emplois formations (Eref) - que dans les quartiers urbains " sensibles " - les plates-formes de services publics. Des représentants des services de l’Etat, mais aussi des caisses de Sécurité sociale, de l’ANPE, d’associations, etc. viennent y tenir des permanences. " Ces maisons permettent non seulement d’assurer la continuité de certains services, mais aussi l’intervention d’autres qui n’avaient jamais été présents ", se félicite Jean Horgues-Debat, le directeur de l’association régionale Paca des Eref et des points publics. Les usagers sont accueillis par des agents polyvalents chargés de les aider dans leurs démarches " Ils ont un rôle de médiation entre la demande globale de la personne et les nombreux services qui sont à même de lui apporter, chacun, un élément de réponse, insiste Jean Horgues-Debat. Les maisons de services publics sont au coeur de la réforme de l’administration. "

Une réforme à moindre frais pour l’Etat : s’il accorde des aides à la création, il participe peu au fonctionnement. Les administrations qui interviennent rechignent également à apporter leur écot. Résultat : les collectivités assurent le gros du financement. Ce qui freine leur développement. Leur création reste dépendante de l’initiative d’acteurs locaux volontaristes et de leur capacité à mobiliser de nombreux partenaires autour de ce projet innovant, mais encore trop souvent considérés comme un service public au rabais par certains élus.

La multiplication de ces maisons devrait cependant être l’une des propositions de la Conférence nationale des services publics en milieu rural, installée en février par Jean-Pierre Raffarin. Confronté à la grogne de la " France des terroirs ", celui qui se posait en chantre de " la République des proximités " a créé ce groupe de travail " chargé notamment de proposer de nouvelles formes d’organisation du service public dans les territoires ruraux en développant la polyvalence ". Et en attendant la mise en oeuvre de ses propositions, qui " ne devrait pas débuter avant le 1er janvier 2006 ", le Premier ministre a demandé que l’on renonce " à toute réorganisation entraînant une suppression ou une réduction significative du service au public en milieu rural. "

* Ecole à classe unique

Tous les élèves (CP, CE1, etc.) sont regroupés dans une seule classe dirigée par un seul instituteur.

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