Éditorial

Une histoire française

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Le modèle danois est à la mode. Il allie, comme chacun le sait désormais, un haut niveau de solidarité envers les chômeurs et une facilité non moins grande pour les employeurs de licencier quand la conjoncture ou les mutations technologiques les y contraignent. A examiner la version " à la française " que vient de nous concocter Dominique de Villepin, notre nouveau Premier ministre, c’est pourtant une vieille histoire belge qui vient d’abord à l’esprit (que nos lecteurs d’outre-Quiévrain n’en prennent pas ombrage). Commençons donc par l’histoire belge : les Belges viennent de décider que, désormais, on roulera à gauche dans leur pays, comme au Royaume-Uni, et non plus à droite. Mais comme ce sont des gens prudents, toujours soucieux d’agir progressivement, ils décident de commencer par les camions, sachant que si ça marche, ils généraliseront la mesure aux voitures la semaine suivante...

La flexsécurité danoise " à la française " s’inscrit dans la même logique. Comme nous n’allons pas tout d’un coup bouleverser le modèle social français, en réduisant les inégalités, en développant massivement la formation, voire - horreur ! - en augmentant les prélèvements obligatoires, Dominique de Villepin a donc décidé de commencer par la flexibilité, sachant que si ça marche...

Le plan emploi du nouveau gouvernement est en effet dans la lignée des politiques suivies depuis trois ans, avec les résultats que l’on sait. Les mesures annoncées vont avoir pour principale conséquence d’accroître encore la segmentation du marché du travail et les inégalités salariales. Aucune décision forte n’a été prise qui puisse redonner confiance en l’avenir aux chômeurs ou à ceux qui redoutent de perdre leur emploi.

Le gouvernement demeure prisonnier d’une vision du marché du travail qui voit dans le chômage la conséquence des trop hauts salaires exigés par les chômeurs (d’où de nouvelles baisses de charges), de garanties sociales excessives (d’où des contrats de travail au rabais) ou de la générosité excessive de l’assurance chômage et des minima sociaux (d’où un contrôle plus strict des chômeurs et la création d’une prime pour ceux qui acceptent les boulots dont personne ne veut). Comme si ces mesures pouvaient relancer l’emploi, en l’absence de reprise de l’activité.

L’autisme du pouvoir face à la détresse sociale exprimée lors du référendum du 29 mai est non seulement politiquement dangereux, mais économiquement stupide. Face à la crise que connaît aujourd’hui notre pays, toute reprise de l’emploi, de la croissance ou de l’innovation passe par un retour de la confiance. Non pas seulement la confiance des investisseurs, mais aussi la confiance de l’ensemble de la population dans l’avenir. Le modèle danois, en ce sens, c’est d’abord faire société ensemble ; c’est affirmer concrètement qu’il nous faut gagner tous ensemble, sans laisser personne sur le bord de la route.

Dominique de Villepin demeure enfermé dans une logique clientéliste. Il a choisi de répondre d’abord aux attentes supposées des patrons de PME. Ce choix reflète l’absence de vision de celui qui l’a nommé, aussi bien pour l’avenir de notre pays que pour celui de l’Europe. Et croire que la pilule du néolibéralisme en interne passera mieux en pratiquant un néosouverainisme à Bruxelles est une façon affligeante de comprendre le message du 29 mai.