La terre et le ciel

5 min

Carte du monde connu...

Ses cartes ont disparu, mais son texte est resté. Claude Ptolémée, mathématicien, astronome et géographe vivant à Alexandrie au IIe siècle après J.-C., est l’auteur d’une volumineuse Géographie, illustrée par une carte générale et vingt-sept cartes de détail. Celles-ci ont pu être reconstituées grâce aux 8 000 coordonnées en latitude et en longitude calculées par Ptolémée. Sa Géographie, bien connue du monde musulman et byzantin, ne s’est répandue en Occident qu’à partir du XVe siècle. Son impact est immense et donne lieu a de nombreux manuscrits puis à une quarantaine d’éditions imprimées. L’oeuvre manuscrite du cosmographe allemand Nicolaus Germanus, a servi de modèle à de nombreuses éditions, en particulier sa mappemonde.

Dans sa Géographie, Ptolémée a condensé sept siècles de pensée grecque sur le monde. Une pensée au carrefour de la philosophie, de la théorie de l’univers, de l’abstraction mathématique, de l’observation astronomique et des connaissances de terrain.

La Terre de Ptolémée, comme celle d’Anaximandre (vers 610-540 avant J.-C.) puis celle d’Erathostène au IIe siècle avant J.-C., est une sphère - forme idéale des philosophes - autour de laquelle les astres décrivent des cercles. Ce système ptoléméen, géocentrique, théorisé par l’astronome alexandrin dans son Almageste, a une influence directe sur la représentation du globe terrestre : " La Géographie partage la Terre selon les cercles du ciel ". Et ces cercles parallèles définissent, selon Ptolémée, sept " climats ". Ptolémée cherche à représenter sur sa carte la seule partie de la Terre jugée habitée, l’oecumène. Mais " comment la Terre habitée peut-elle être représentée sur un plan, en telle sorte que ses mesures soient en accord avec sa forme sphérique ? ", se demande-t-il. Il invente un système de projection sur un cône imaginaire qui tangente la Terre. Avec force calculs géométriques, il quadrille son cône de méridiens et de parallèles. Mais cette carte, à laquelle son quadrillage donne son caractère scientifique et moderne, est aussi fondée sur des récits de voyages imprécis et sur des hypothèses erronées : des observations astronomiques handicapées par une vision géocentrique, le choix arbitraire d’une circonférence terrestre de 180 000 stades (32 000 kilomètres environ). Si Ptolémée a quelques idées de l’espace méditerranéen, s’il évoque les sources du Nil, il ne reproduit au-delà que des ouï-dire approximatifs : pas de péninsule indienne, mais une île de Ceylan hypertrophiée, un océan Indien fermé par un curieux continent africain.

... et carte religieuse

Non, le Moyen Age européen n’a pas nié le caractère sphérique de la Terre, désignée dès le VIIe siècle sous les termes de globus ou de sphera. Non, les leçons des auteurs anciens n’ont pas été toutes perdues. Mais elles sont passées au filtre de l’interprétation chrétienne de l’époque. La Bible s’inscrivant dans l’histoire et dans la géographie du monde connu, Saint-Augustin propose, dans De Doctrina Christiana (au début du Ve siècle), de rechercher dans l’oekumène des Anciens la localisation des principaux épisodes des Ecritures.

Le fond de la carte médiévale est dit " T en O ", où l’Orbis Terrarum circulaire des Romains est divisé par le T formé par la Méditerranée, le Nil et le Don, séparant les trois continents peuplés par les fils de Noé après le Déluge : l’Asie par Sem, l’Afrique par Cham et l’Europe par Japhet.

On retrouve ce schéma initial, mais considérablement modifié et enrichi sur cette carte du XIe siècle. L’Est, Oriens, est en haut ; une large Méditerranée parsemée d’îles et un Don imposant séparent les continents ; le Nil, qui coule en Afrique, est plus discret. La forme ovale suggère qu’il ne s’agit de représenter qu’une partie de la Terre. Au Levant, d’où vient la lumière divine, est placé le Paradis terrestre : Eve, aux côtés d’Adam, cueille la pomme de l’arbre de la connaissance sur lequel s’enroule le serpent. De cet Eden inaccessible, entouré par des montagnes en dents de scie, s’écoulent quatre fleuves qui fécondent la terre : le Gange, l’Indus, le Tigre et l’Euphrate, entre lesquels on peut lire Mesopotamia. Proche du centre de la carte, Jérusalem et son temple, en Judea. Au-delà de la Mer Rouge, le texte signale les limites des terres habitées : un continent inconnu, " soumis à l’ardeur du soleil, où habitent les antipodes fabuleux ".

Les légendes païennes se mêlent à la carte chrétienne. S’y joignent aussi des informations économiques : en Indi, au sud de l’Eden (à droite donc), une inscription indique pêle-mêle la présence de pierres précieuses, d’éléphants, d’or, d’argent et de poivre. Plus à l’est, en limite de carte, Gens Seres, le peuple de la soie. L’Asie n’est donc pas totalement inconnue. Mais l’influence culturelle vient de l’Espagne musulmane : le figuré des montagnes, de l’océan, des rivières, des bateaux, des poissons, des villes et des monuments est typique de l’art mozarabe, celui des chrétiens restés dans la péninsule ibérique islamisée.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !