Représenter le monde pour le dominer

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Le premier partage du monde

Le Yalta de 1494 ! Alors que le Portugais Bartolomeu Diaz a doublé le cap de Bonne Espérance en 1488 et que les Espagnols, grâce à Christophe Colomb et Amerigo Vespucci, ont atteint " les Indes " - en fait l’Amérique -, le traité de Tordesillas entre l’Espagne et le Portugal, homologué par une bulle papale, partage le monde découvert et à découvrir en deux. Sur cet exceptionnel portulan de 1502 - le premier à faire figurer le Brésil et la Floride, le deuxième à montrer les Antilles -, le méridien de Tordesillas est clairement tracé : la marcation entre la Castille et le Portugal, à 370 lieues à l’ouest de l’archipel du Cap-Vert, sépare Las Antillas des Rey de Castella, portant oriflamme espagnol, de toutes les terres découvertes par les Portugais, de Terrre-Neuve (Terra del Rey de Portugall) au Brésil, où le cartographe bien informé a figuré de magnifiques aras macao.

Notons aussi, au Ghana actuel, le Castello Da Mina, château fort-comptoir construit par les Portugais dès 1484. Une inscription souligne les bonnes affaires qu’on y fait : " De là, on emporte chaque année au prince Dom Manuel, roi du Portugal, douze caravelles remplies d’or, chaque caravelle emportant vingt-cinq mille pesos d’or (...) ainsi que beaucoup d’esclaves, du poivre et d’autres choses d’excellent profit. "

Si les grandes découvertes ont eu des causes multiples (religieuses, culturelles et géopolitiques), leurs objectifs et surtout leurs conséquences économiques, en particulier l’importation ultérieure d’or et d’argent d’Amérique, sont majeurs.

Cette carte conservée à la bibliothèque Estense de Modène a une histoire rocambolesque. Elle porte le nom de l’ambassadeur-espion que le Duc de Ferrare, passionné par les découvertes, envoya à Lisbonne pour se procurer une copie du Padrao Real, la carte secrète que les cartographes du roi du Portugal se devaient de mettre à jour dès qu’un bateau revenait d’expédition. Cantino réussit, on ne sait comment. Bien plus tard, les duc de Ferrare l’emmenèrent lorsque, chassés de cette ville, ils s’installèrent à Modène. Mais lors du Risorgimento, en 1859, le palais ducal fut envahi par la foule, et la carte disparut. Un collectionneur la retrouva en 1868 sur un paravent, au fond de la boutique d’un charcutier de la ville.

La fusion de la carte des navigateurs et de la carte savante

a mappemonde de Sébastien Cabot montre à quel point, vers le milieu du XVIe siècle, les Européens ont une vision du monde qui leur permet d’organiser leur domination future. Navigateur et cartographe au service du roi d’Angleterre puis du roi d’Espagne, Sébastien Cabot a excellé dans la représentation des terres récemment découvertes. L’Amazone vient d’être parcourue par Orellana (1542), et Cabot en résume le gigantisme. Il se fait aussi l’écho (en s’appuyant sur le journal de Carvajal, compagnon d’Orellana) de la prétendue présence de guerrières Amazones, en fait des Indiens aux cheveux longs, comme il s’appuie sur le journal du compagnon de Magellan, Pigafetta, pour représenter un géant Patagon au sud du continent.

Sur le plan de la représentation cartographique des terres connues, il tente ici une audacieuse superposition entre la carte des navigateurs et celle issue de la tradition ptoléméenne. Un réseau de rumbs, fondé sur des relevés à la boussole, est quadrillé par un réseau de méridiens et de parallèles, fondé sur des relevés astronomiques. Son méridien-origine est sur les îles Canaries. Le petit axe vertical de la mappemonde est considéré par le cartographe comme l’ensemble des points de déclinaison magnétique nulle. Très précise en latitude, la carte est, comme toutes les autres de cette époque, largement erronée en longitude (faute d’horloge de marine précise), comme le montre la superposition avec la carte actuelle.

Superposition de l’Amérique latine de la mappemonde de Cabot avec la carte actuelle.

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