La croissance peut-elle repartir ?

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La croissance devrait rester faible. Principale responsable : la politique économique du gouvernement.

L’année 2004, sans être brillante, avait été plutôt bonne pour la France : avec un taux de 2,3 %, l’économie française avait crû à un rythme analogue à celui enregistré en moyenne au cours des vingt dernières années (2,2 %) et supérieur aux résultats de la zone euro (1,7 %). Mais pour l’année en cours, les jeux sont quasiment faits : sauf miracle improbable, la croissance du produit intérieur brut (PIB) ne devrait pas dépasser 1,5 %, c’est-à-dire un rythme qui ne permet pas de créer des emplois. Pourquoi de si médiocres performances ?

De faibles contraintes extérieures

Pour une fois, la Banque centrale européenne (BCE) n’y est pour rien. Toute à son obsession de l’inflation, elle a longtemps mis des bâtons dans les roues de la croissance économique, en imposant des taux d’intérêt élevés aux banques et, à travers elles, à l’ensemble des emprunteurs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les taux d’intérêt sont historiquement bas, ce qui explique la ruée vers l’immobilier tout comme la bonne tenue de la consommation des ménages (+ 2,3 % en 2004, sans doute autant en 2005). Certes, la BCE n’a rien fait pour freiner ou inverser la hausse du taux de change de l’euro depuis 2002, hausse qui n’est pas étrangère à la montée des importations, notamment chinoises, devenues particulièrement bon marché, tandis que les exportations de la zone euro étaient freinées. Mais, la mission de s’occuper du taux de change ne lui incombe pas officiellement, et ce ne sont pas les taux d’intérêt qu’elle pratique actuellement qui attirent les capitaux, mais plutôt les anticipations de spéculateurs se défiant du dollar à cause du niveau excessif du déficit commercial et du déficit public des Etats-Unis. L’euro baisse cependant depuis quelques mois, car les opérateurs craignent un affaiblissement européen durable. Cette évolution devrait desserrer l’un des freins à la croissance pour 2006.

Ce n’est pas davantage la faute à l’Allemagne ou à l’Italie. Ces deux pays avec la France réalisent près de 70 % du PIB de la zone euro. Or, ils sont l’un et l’autre empêtrés dans des difficultés qui les plombent : en 2005, l’Italie enregistrera sans doute une croissance zéro et l’Allemagne 1 % au plus. L’interpénétration économique de ces trois pays joue à la façon d’un cercle vicieux, chaque ralentissement de l’un provoque le ralentissement des autres et réciproquement. Mais n’exagérons rien : les exportations à destination de l’Allemagne et de l’Italie ne représentent qu’un tiers du total des exportations, lesquelles pèsent pour moins d’un tiers du PIB. Le freinage issu de leur mauvaise conjoncture nous prive d’environ 0,2 point de croissance. Ce n’est pas rien, mais ce n’est qu’une explication très partielle des problèmes de l’économie française. D’autant que, en sens inverse, l’excédent commercial allemand, qui est considérable et qui s’est accru ces deux dernières années, permet à la zone euro de demeurer excédentaire, donc de financer le déficit extérieur apparu en France en 2004 et qui se creuse en 2005. A l’inverse de 1982-1983, il n’existe donc pas de " contrainte extérieure " qui obligerait les autorités françaises à freiner la consommation intérieure pour réduire la propension à importer.

L’héritage de Raffarin

Si la croissance française est faiblarde, c’est de notre faute et de personne d’autre. Deux facteurs essentiels l’expliquent, liés l’un et l’autre à la politique économique suivie. Le premier tient à la nécessité de réduire le déficit public qui, en accroissant la dette publique de 66 milliards d’euros en 2003 et encore de 60 milliards en 2004, est devenu insoutenable. Pas seulement en raison du pacte de stabilité européen qui limite le déficit à 3 % du PIB : la France s’en était affranchie en 2003 (4,2 % de déficit) et 2004 (3,6 %). Mais, même si le pacte de stabilité n’existait pas, la décrue serait indispensable : si le PIB augmente de 2 % chaque année, tandis que le déficit ajoute dans le même temps plus de 3 % du PIB au montant de la dette, celle-ci ne peut que croître et embellir et, avec elle, le montant de la charge financière qu’elle implique1.

Le ministre des Finances, Thierry Breton, ne se prive pas de souligner que, désormais, le coût de la dette publique représente la totalité des rentrées de l’impôt sur le revenu. Il a, hélas, raison.

En effet, en fidèle exécutant de la pensée chiraquienne, Jean-Pierre Raffarin avait accru la dépense publique au bénéfice des protégés du régime et réduit les recettes prélevées sur les plus favorisés, laissant ainsi filer le déficit au point de le rendre insoutenable. Dominique de Villepin se trouve aujourd’hui contraint de comprimer les dépenses sans réduire les recettes. Il lui faut réduire le déficit, donc diminuer d’autant l’activité issue de la dépense publique. Ce qui exerce forcément un effet de frein sur la croissance : les six dixièmes de point de PIB de réduction du déficit public prévus cette année vont donc se traduire par une réduction d’autant de la croissance, par rapport à ce qu’elle aurait pu être s’il n’avait pas fallu rattraper la gabegie antérieure.

Une politique de l’offre inefficace

A ce premier facteur s’en ajoute un autre. Depuis 2003, la croissance française est tirée presque exclusivement par la consommation des ménages. Tout a été fait pour pousser les consommateurs à puiser dans leur bas de laine, à emprunter ou à débloquer avant terme la participation*, pour ceux qui travaillent dans des entreprises qui en versent : réduction de l’impôt sur le revenu, prêt à taux zéro, baisse de la rémunération des livrets d’épargne, prime fiscale aux prêts à la consommation, etc. Et cela a marché, puisque la France a effectivement mieux tiré son épingle du jeu que l’ensemble de la zone euro.

Mais l’investissement des entreprises, lui, a marqué le pas. Or c’est lui qui, en modernisant le tissu productif, permet à la fois de positionner l’activité sur les créneaux les plus porteurs et d’améliorer la compétitivité des produits nationaux. Comme cela n’a pas été fait, ou en quantité insuffisante, l’industrie française souffre, et avec elle l’emploi et la croissance. Tandis que d’autres investissent dans les technologies de l’information et de la communication, la France s’est bornée à stimuler la consommation et à favoriser les emplois bas de gamme (emplois familiaux) à coup de faveurs fiscales.

Emploi total, glissement* annuel en %
Proportion des nouveaux inscrits à l’ANPE qui étaient déjà chômeurs au cours des deux trimestres précédents, en %

C’est une erreur stratégique de taille. Tout à sa foi libérale, le gouvernement Raffarin avait cru qu’une politique de l’offre était la bonne réponse à l’atonie de la croissance : réduction de l’impôt sur les entreprises et des cotisations sociales patronales. Or les entreprises ont utilisé ces ressources non pour investir en France, mais pour se redéployer à l’étranger où les perspectives de débouchés étaient nettement plus attrayantes. Dans une économie ouverte, la politique de l’offre est incapable de contrebalancer les avantages compétitifs des pays à bas salaires. Et elle est insuffisante pour inciter les entreprises à se positionner sur les nouvelles technologies.

L’emploi en France (hors DOM), en milliers, en fin d’année

Sur ce plan, Dominique de Villepin est mieux parti que Jean-Pierre Raffarin : il vient d’accroître sensiblement les crédits de l’Agence nationale de la recherche et a annoncé qu’il doterait la nouvelle Agence de l’innovation industrielle d’un milliard d’euros. En outre, la labellisation de 67 pôles de compétitivité, qui devraient recevoir 1,5 milliard d’euros entre 2006 et 2008, devrait stimuler la coopération entre acteurs (chercheurs et entreprises) et favoriser des activités innovantes. En revanche, sur le plan budgétaire, les marges de manoeuvre sont quasi inexistantes : certes, le déficit public devrait être repassé sous la barre des 3 % du PIB en 2006, donc il ne sera plus nécessaire de comprimer autant la dépense publique. Mais le gouvernement a décidé de poursuivre cette politique de rigueur qui ne dit pas son nom. De plus, la pression des parlementaires de la majorité en faveur d’une baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de la taxe professionnelle, tout comme la hausse mécanique des allégements de cotisations sociales2 et les incitations à l’innovation technologique devraient manger la quasi-totalité de la faible progression des ressources fiscales, liée à la croissance.

Une reprise différée

Dans ces conditions, autant dire que 2006 a peu de chances d’être l’année de la reprise espérée. Certes, le freinage de la dépense publique devrait être moindre qu’en 2005, mais il subsistera. Quant à la politique d’incitation à l’investissement productif innovant, elle n’aura guère d’effets sur le court terme : c’est une affaire de longue haleine, dont les fruits ne devraient se concrétiser que vers 2007 au plus tôt. Enfin, si le faible niveau des taux d’intérêt est un atout, il suscite aussi un boom de l’immobilier (et de la construction) qui tire à la hausse les prix du logement, dont les locataires (près d’un ménage sur deux) subissent les effets désastreux sous forme de hausse sensible des loyers, ce qui ponctionne d’autant le pouvoir d’achat. Au total, si les éléments d’une reprise commencent à se dessiner, ils ne se concrétiseront pas aussi rapidement qu’espéré, en raison d’une politique budgétaire qui demeure restrictive.

Quelle morale tirer de cette histoire ? On pourrait gloser sur le fait que le temps de l’action politique et de la décision publique n’est pas le même que le temps long de l’économie. Les chiffres ne suivent les annonces qu’après de longs délais. On pourrait aussi s’étonner de voir, une fois encore, le mauvais fonctionnement de la machine économique imputé aux 35 heures - bouc émissaire commode - et au droit du travail. Les premières ont en effet permis d’ajouter au moins 350 000 emplois à ceux qui existaient et le second est affaibli, au moment où la précarité n’a jamais été aussi forte.

Mais l’essentiel est ailleurs : quand l’économie patine, la non-intervention de l’Etat tourne vite à la catastrophe. Les élus libéraux de la majorité ont joué un rôle détestable, laissant croire que moins de dépense publique améliorerait la compétitivité du pays, qu’abaisser les " charges " (cotisations sociales) était plus efficace que créer des emplois aidés, que permettre à chacun de travailler plus longtemps dynamiserait l’économie et créerait des emplois, que libéraliser le marché du travail était la tâche la plus urgente pour lutter contre le chômage. Ces idées sont encore présentes dans la tête de nombre de responsables politiques, même si les faits leur ont imposé de changer certaines des orientations précédentes. Et nul doute que, si l’emploi s’améliore un peu, ils entonneront des hymnes aux vertus de la flexibilité du travail, alors qu’elle n’y sera pour rien, ou presque.

  • 1. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, car la croissance du PIB est mesurée en volume, c’est-à-dire après déduction de l’inflation, alors que le montant du déficit est mesuré en valeur, inflation comprise. L’inflation est donc une façon de réduire l’importance de la dette. Mais elle est exclue actuellement.
  • 2. Les allégements de cotisations sociales patronales concernent notamment les salaires jusqu’à 1,6 fois le Smic : la hausse de ce dernier (+ 5,5 % en juillet) augmente d’autant le montant des allégements, qui devraient progresser mécaniquement de 2,2 milliards d’euros.
* Participation

Ispositif obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés imposant le versement aux salariés d'une partie des bénéfices. Ces sommes sont cependant bloquées pendant cinq ans, sauf en cas de mariage, naissance, achat d'un logement en résidence principale ou départ de l'entreprise.

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