Entretien

" Le modèle allemand a encore de la ressource "

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Henrik UTERWEDDE Directeur de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg

Alternatives Economiques : Que pèse la réunification dans les difficultés actuelles de l’Allemagne ?

Henrik Uterwedde : Elle continue de peser lourd sur les finances publiques : 4 % du produit intérieur brut (PIB) sont transférés chaque année de l’Ouest vers l’Est. Quand on voit les problèmes politiques que pose le budget européen, qui ne représente pourtant que 1 % du PIB de l’Union, on peut mesurer la difficulté à dégager les compromis nécessaires pour financer de tels transferts au sein de l’Allemagne... Mais les difficultés liées à la réunification sont aussi qualitatives : elle a fait perdre son homogénéité à un pays jusque-là relativement cohérent et égalitaire. Du coup, elle a déstabilisé ses modes traditionnels de régulation, qui reposaient sur cette homogénéité.

Ceci dit, la réunification n’est pas non plus l’échec massif qu’on décrit souvent. Certaines zones, autour de Dresde ou de Leipzig en particulier, sont économiquement dynamiques. Et ce n’est pas tant à l’ouest de l’Allemagne qu’il faut comparer l’est qu’à la Pologne ou à la Tchéquie. Vue ainsi, la situation de l’ex-RDA est bien meilleure.

Pourquoi est-il aussi difficile de relancer la demande intérieure allemande alors que les excédents extérieurs explosent ?

L’Allemagne est redevenue en effet Exportweltmeister, championne du monde de l’exportation. La preuve d’ailleurs que le pays n’est pas plongé dans une crise si profonde qu’il faudrait tout changer, comme le disent souvent les néolibéraux. Mais le chômage, la stagnation du pouvoir d’achat des salariés et les menaces sur l’avenir de la protection sociale incitent à l’épargne plus qu’à la consommation. A cela s’ajoute probablement également un effet déjà sensible d’un vieillissement particulièrement marqué. Mais c’est aussi un phénomène culturel : contrairement aux Anglo-Saxons, les Allemands rechignent profondément à s’endetter pour consommer, à vivre à crédit.

L’austérité en matière de dépenses publiques ne menace-t-elle pas à terme les fondements de l’économie allemande ?

En effet. Les investissements publics sont en baisse constante depuis dix ans et on constate une dégradation sensible des infrastructures : piscines, bibliothèques, bâtiments, voirie... De plus, l’Allemagne est à la peine tant en matière d’éducation primaire et secondaire que dans l’enseignement supérieur ou la recherche. Nous sommes enfermés depuis quinze ans dans un cercle vicieux : faible croissance, dégradation des comptes publics, réduction des dépenses, dégradation des infrastructures, faible croissance... Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’il suffirait d’ouvrir les vannes de la dépense publique pour résoudre tous les problèmes de l’Allemagne. Il faut continuer à dépenser mieux et plus efficacement, et on n’échappera pas à certains choix difficiles. Mais il devient aussi urgent maintenant de sortir de ce cercle vicieux : l’approche comptable de la réduction des déficits publics conduit dans le mur.

Le modèle allemand peut-il encore survivre ?

Le capitalisme allemand a toujours été un capitalisme organisé, fondé sur le compromis, où les corps intermédiaires jouent un rôle important. Ce modèle est très secoué, mais il a encore de la ressource car il reste un facteur clé de la compétitivité allemande. La balance penche certes du côté du capital actuellement, mais les entreprises continuent à rechercher des accords avec les syndicats quand elles veulent modifier les conditions d’emploi de leurs salariés. Les grands partis, tant la CDU que le SPD, et la grande majorité de la population restent très attachés à cette recherche de solutions négociées. Je ne crois pas qu’on assistera à une " thatchérisation " de l’Allemagne, même si la droite l’emporte le 18 septembre prochain.

Propos recueillis par Guillaume Duval

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