Treize pilotes dans l’avion

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L'absence d'autorité politique commune et la pression de règles trop uniformes entravent les capacités de réaction de la zone euro.

Pourquoi la zone euro s’est-elle montrée à ce point incapable de protéger son économie des aléas de la conjoncture ? C’est qu’elle n’a pas une politique économique, mais treize. C’est-à-dire aucune. La régulation macroéconomique est divisée entre une banque centrale fédérale qui exerce sans partage le pouvoir monétaire et douze budgets nationaux qui restent chacun sous la coupe des Etats membres. Faute d’autorité politique commune, l’organisation de l’union économique et monétaire repose sur une cohabitation entre pouvoirs encadrée par un ensemble de règles. Comme si on pouvait conduire la politique économique en pilotage automatique... On constate, à l’usage, que ces règles ont considérablement entravé la capacité de réaction de la zone. Elles se sont révélées d’autant plus nocives qu’elles sont uniformes, alors que les économies sont loin de marcher d’un même pas.

Le solo monétaire de la BCE

Le statut de la Banque centrale européenne (BCE) pousse à l’extrême le principe de la séparation des pouvoirs appliqué à l’économie. Les banques centrales américaine (Fed) et britannique sont certes elles aussi indépendantes, mais il s’agit d’une indépendance technique, non politique. Aux Etats-Unis, " le pouvoir monétaire appartient, selon la Constitution, au Congrès, il le confie à la banque centrale, mais celle-ci doit lui rendre régulièrement des comptes. Il dispose surtout d’une arme de dissuasion massive, c’est qu’il peut changer les statuts de la Fed ", explique Eloi Laurent, économiste à l’OFCE. En Europe, en revanche, les comptes rendus de la BCE se cantonnent à son devoir d’information ; les critiques, d’où qu’elles viennent, n’ont pas de prise sur elle. Ainsi, le désaveu de sa politique par une majorité de parlementaires européens le 5 juillet dernier n’a-t-il eu aucune conséquence...

Cette autorité monétaire est aussi dotée d’une mission très spécifique : la BCE veille d’abord et avant tout sur la stabilité des prix. Le soutien de la croissance ne vient qu’en seconde position, quand il ne contredit pas le premier objectif. Là encore, le contraste avec la Fed est flagrant, puisque la banque centrale américaine doit se soucier au moins autant de la croissance et du plein-emploi que de la stabilité des prix. Une mission qui ne peut aboutir sans une coordination avec l’exécutif.

Zoom A la recherche d’une zone monétaire optimale

Dans une zone monétaire, par définition, " one size must fit all ", pour reprendre l’expression d’Otmar Issing, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE). Autrement dit, la même politique monétaire doit aller à tout le monde. L’unification monétaire prive en effet les économies de l’ajustement par les variations de change et d’une politique monétaire différenciée. Cela pose d’autant moins de problème que la zone qui partage la même monnaie est mieux intégrée. Elle correspond alors à ce que les économistes appellent une " zone monétaire optimale ". La zone euro en est-elle une ?

La réponse est oui, si l’on considère l’intégration commerciale très poussée entre pays européens. Celle-ci s’accompagne en outre d’une spécialisation intra-zone plutôt favorable à la synchronisation des cycles : les pays échangent avant tout des produits de même type, ce qui réduit les risques d’un choc spécifique affectant l’un et épargnant les autres.

Par ailleurs, la gravité des divergences de conjoncture qui subsistent dans la zone euro ne doit pas être exagérée. Toutes les nations connaissent des écarts entre régions, sans que cela les empêche d’utiliser une seule monnaie. Ainsi, la conjoncture entre les différents Etats américains n’est guère plus harmonieuse que celle des membres de l’Euroland. Mais les différentiels de croissance y sont compensés par deux mécanismes d’ajustement fondamentaux dont la zone euro est dépourvue. Le premier est la mobilité de la main-d’oeuvre. Aux Etats-Unis, 5 % de la population change d’Etat chaque année, contre 0,1 % dans la zone euro. Cependant, ce critère n’est pas forcément le plus pertinent : dans la zone euro, une augmentation sensible de la mobilité ne paraît ni possible, du fait de la fragmentation linguistique, ni même souhaitable. Des flux de main-d’oeuvre transfrontaliers trop importants pourraient être un facteur d’aggravation des déséquilibres :ils accentueraient encore le déclin des pays en difficulté, en les privant d’une partie de leur main-d’oeuvre (à commencer par la plus qualifiée) et de leur base fiscale.

Le plus important des mécanismes d’ajustement est donc plutôt l’existence d’un budget fédéral suffisant pour jouer un rôle rééquilibrant. Aux Etats-Unis, 66 % des impôts sont des taxes fédérales. Dès lors, un Etat dont l’économie est à la traîne voit automatiquement sa contribution aux recettes fédérales baisser, tandis qu’il reçoit dans le même temps davantage de transferts. Ce puissant facteur de rééquilibrage fait défaut dans la zone euro, puisqu’il n’existe aucun impôt européen et que le budget de l’Union représente à peine plus de 1 % de son produit intérieur brut (PIB).

Les rapports entre la Banque centrale européenne et les Etats membres sont en revanche loin d’être coopératifs. Privés de toute influence sur la conduite d’une politique monétaire qu’ils jugent trop restrictive, les gouvernements sont incités à accentuer le caractère expansionniste de leur politique budgétaire, d’autant qu’ils ne risquent plus la sanction des marchés financiers. Ce qui tend à renforcer un peu plus le biais restrictif de la banque centrale.

Il faut dire qu’en définissant la stabilité des prix par un taux d’inflation inférieur à 2 %, la BCE se laisse peu de latitude pour le soutien de la croissance. Ce plafond est en effet si bas qu’il est fréquemment dépassé. On peut y voir le signe que " la BCE n’a pas interprété son objectif d’une manière trop étroite ", note Jean Pisani-Ferry. Il témoigne pourtant du poids d’un héritage historique qui retient la BCE d’adapter pleinement sa doctrine à l’environnement économique et financier d’aujourd’hui. Le cadre dans lequel s’exerce la politique économique a en effet changé : la menace de l’inflation s’est éloignée, mais la globalisation financière en a fait naître d’autres, en amplifiant les variations de prix d’actifs (cours de Bourse, prix de l’immobilier ou taux de change).

Ce nouveau contexte, caractérisé par la transmission des turbulences de la finance vers l’économie réelle, implique des réactions rapides des politiques monétaires. Or " la BCE continue d’être marquée par une conception très monétariste, selon laquelle garantir la stabilité des prix implique de bouger le moins possible les taux d’intérêt, déplore le député européen Alain Lipietz, d’où sa politique extrêmement inerte comparée à celle des Etats-Unis ".

C’est encore l’étroitesse de sa mission qui conduit la Banque centrale européenne à se désintéresser de l’évolution du change. " Cette variable est pourtant décisive, en particulier quand la spécialisation industrielle s’affaiblit ", explique Michel Aglietta, car la compétitivité repose alors davantage sur les prix. Il ne faut donc pas s’étonner que la production industrielle stagne dans la zone euro et que, à l’exception de l’Allemagne, les grands pays de la zone perdent des parts de marché. " Tout un pan du système productif, et donc de l’emploi, est très sensible aux fluctuations du change, alors que celui-ci n’est pratiquement pas géré. "

Le malheur des lents

Il faut cependant reconnaître que la tâche de la BCE est singulièrement compliquée par les écarts de conjoncture qui subsistent entre les pays. Le pari économique sur lequel reposait le bon fonctionnement de l’euro était celui de la convergence entre les économies de la zone, qui devaient ainsi se soumettre plus facilement à des politiques uniformes. L’entrée dans l’euro avait d’ailleurs été conditionnée au respect, par les pays candidats, des critères de Maastricht (ou critères de convergence). Mais le rapprochement des taux d’inflation ou des déficits publics masquait des différences réelles qui n’ont pas tardé à resurgir. " C’est en 1997 que les économies ont le plus convergé, explique Jean Pisani-Ferry. Depuis, les divergences se sont accentuées : le caractère unificateur de l’adhésion à la monnaie unique n’a pas fonctionné. "

Ces divergences posent de redoutables problèmes à la politique monétaire. C’est en effet le même taux d’intérêt à court terme qui s’applique à l’Allemagne, dont l’inflation n’a pas dépassé 1,4 % par an en moyenne entre 2002 et 2004, et à l’Irlande où les prix ont progressé de 3,7 % par an. Ce différentiel d’inflation se double d’un écart de croissance encore plus béant (0,3 % de croissance annuelle pour l’Allemagne, contre 4,9 % pour l’Irlande entre ces mêmes dates). Dans ces conditions, l’application de conditions monétaires uniformes a tendance à accentuer les différentiels de conjoncture plutôt qu’à les résorber : les économies qui progressent le plus vite sont aussi celles qui bénéficient des taux d’intérêt réels les plus bas, et les pays dont la croissance est à la traîne subissent des taux d’intérêt réels plus élevés que les autres et une politique monétaire indûment restrictive.

La gestion de ces écarts de conjoncture est d’autant plus délicate que l’objectif d’inflation de la Banque centrale européenne est très bas. Dès lors que l’inflation dépasse systématiquement 2 % dans les pays en rattrapage économique comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, il faudrait que les autres pays connaissent une inflation inférieure à 2 % pour que l’objectif soit respecté. La BCE se trouve ainsi devant un constant dilemme : ou bien accepter de laisser l’inflation dépasser son plafond de 2%, au risque d’écorner sa crédibilité, ou bien infliger à un certain nombre de pays de la zone une politique potentiellement déflationniste.

Difficulté supplémentaire, les canaux de transmission de la politique monétaire varient considérablement selon les pays. Une baisse des taux directeurs n’a donc pas du tout le même impact selon les caractéristiques nationales des systèmes de financement. Ces divergences sont frappantes en ce qui concerne l’immobilier. Dans les pays où les prêts sont renégociables ou à taux variable, comme en Espagne (et dans une moindre mesure en France), une baisse significative du taux directeur de la banque centrale se traduit directement en capacité de crédit supplémentaire pour les ménages. D’où une forte relance de l’investissement logement ces dernières années, à la faveur de l’assouplissement monétaire. En Allemagne, en revanche, les possibilités de renégociation ou de révisions des taux sont limitées. Résultat : " c’est en Espagne que la baisse des taux a eu le plus d’impact ", souligne Anton Brender, alors que ce pays est en surchauffe, tandis que c’est l’Allemagne qui en aurait le plus besoin.

Il est d’autant plus difficile pour la BCE d’arbitrer entre ces intérêts contradictoires que le mode de décision fait la part belle aux " petits " pays. Le conseil des gouverneurs, qui définit la politique monétaire de la zone, comprend, outre les six membres du directoire, les douze gouverneurs des banques centrales nationales. Chacun y dispose d’une voix, sans aucune pondération selon la taille de son économie. L’Allemagne n’y pèse pas plus lourd que le Portugal, ni la France que la Grèce. Ainsi, les taux d’intérêt sont dictés par une majorité de petits pays qui connaissent le plus souvent une inflation plus forte que la France et l’Allemagne, bien que ces deux pays représentent la moitié du PIB de la zone.

Des conjonctures très hétérogènes
Trois " grands " face à neuf " petits "
Le pacte de stabilité disqualifié

L’élargissement de l’euro aux nouveaux membres entrés dans l’Union en mai 2004 ne fera qu’aggraver ce problème, en augmentant le nombre des petits pays plus inflationnistes. Et même si le traité de Nice a prévu de limiter à quinze le nombre de gouverneurs dotés d’un droit de vote au conseil, " il est probable que les conditions monétaires de la zone euro seront systématiquement trop restrictives pour les grands pays moins inflationnistes que la moyenne ", estime Jacques Le Cacheux, directeur des études à l’OFCE.

La cacophonie budgétaire des Douze

Privés de l’instrument du taux de change et de la possibilité de conduire une politique monétaire adaptée à leurs besoins, sur quels mécanismes les pays de la zone euro peuvent-ils alors compter pour résorber leurs écarts de conjoncture ? C’est le budget qui joue principalement ce rôle dans une zone monétaire (voir encadré page 54). En l’absence de budget fédéral européen conséquent, ce sont donc les politiques budgétaires nationales qui peuvent seules l’assumer, dans les limites du pacte de stabilité.

L’objectif de ce pacte est d’assurer le maintien de la discipline budgétaire. Celle-ci ne va en effet pas de soi dans une union monétaire où les mêmes taux d’intérêt sont acquittés par tous les Etats membres, quelle que soit la santé de leurs finances publiques. La tentation de laisser filer les déficits est d’autant plus forte que l’Etat prodigue ne supporte pas seul le prix de ses dérapages, qui sont amortis par toute la zone. Pour écarter cette tentation, le pacte institue un double plafond : 60 % du PIB pour la dette publique et 3 % pour le déficit public annuel ; il reprend ainsi les critères définis lors de la phase de convergence. Le pacte impose également aux Etats de présenter chaque année un " programme de stabilité ", qui trace l’évolution de leurs finances publiques à moyen terme, l’objectif étant de parvenir progressivement à un budget " proche de l’équilibre ou en surplus ". Dans les faits, c’est surtout le critère de déficit qui s’imposera, car son dépassement est assorti de sanctions financières.

Zoom L’abandon de l’euro, la fin d’un tabou

" L’euro est un mariage à l’ancienne, de ceux qui se faisaient quand le divorce n’existait pas ", déclarait début juin le commissaire européen Joaquín Almunia. Une forme de réponse aux propos de Roberto Maroni, ministre italien membre de la Ligue du Nord, qui envisageait début juinune réintroduction de la lire.Au même moment, le ministre allemand Wolfgang Clement faisait lui aussi part de ses doutes sur les bienfaits de la monnaie unique en Allemagne.

Il est significatif que ces propos nous parviennent de deux grands pays de la zone, tous deux économiquement très malen point. L’Allemagne est sans doute celui où le biais restrictif de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) s’est fait le plus durement sentir. L’Italie, quant à elle, doit faire face à la dégringolade de sa compétitivité et à la persistance d’une dette publique supérieure à 100 % du PIB, faute de s’être astreinte à des régimes salariaux et budgétaires suffisamment sévères. Or, depuis la monnaie unique, elle a perdu la possibilité de chasser ses vieux démons à coups de dévaluations compétitives et de monétisation de la dette publique.

Bien que l’éventualité d’une sortie de l’euro ne soit pas prévue par les textes, " techniquement, c’est parfaitement possible ", affirme Agnès Benassy-Quéré. Reste à savoir si les bénéfices à espérer d’une sortie de l’euro valent la peine d’en supporter les inconvénients. Au-delà des frais matériels liés à la réintroduction d’une monnaie nationale, " les coûts d’une sortie de l’euro dépendent avant tout de la crédibilité monétaire du pays, estime Jean Pisani-Ferry. Si elle est faible, la monnaie nationale se dépréciera fortement, ce qui alourdira le poids de la dette. Car il ne faut pas oublier que les dettes publiques sont libellées en euros d’une manière irrévocable. " Dans le cas d’un pays très endetté et peu crédible comme l’Italie, une sortie de l’euro pourrait donc coûter très cher.

En revanche, si l’on suit Jean Pisani-Ferry, " il serait plus facile de sortir par le haut, pour un pays dont la crédibilité monétaire est bien établie ". Mais la probabilité qu’un tel processus parvienne à son terme est très faible. Ce qui n’empêchera pas les pays membres de l’envisager. " Dans douze pays démocratiques, il est inévitable que la solidité de l’euro soit à un moment donné testée. "

Ce critère a le mérite de la simplicité, mais il en a aussi les défauts, maintes fois soulignés par les économistes1. Toutes les critiques déclinent une même idée : le pacte ne fait aucune discrimination entre les causes des déficits publics, selon qu’ils sont liés à un ralentissement temporaire de l’activité, à un effort d’investissement ou à une mauvaise utilisation des fonds publics. Alors que dans le premier cas le déficit joue son rôle de stabilisateur conjoncturel, et qu’il prépare la croissance à long terme dans le second, il ne traduit dans le troisième cas que l’inefficacité de l’Etat. En mettant toutes ces causes sur le même plan, le pacte ne crée aucune incitation pour les Etats à redéployer leurs dépenses publiques au profit des dépenses en capital porteuses de croissance à long terme. Il risque en revanche de les laisser s’enliser dans un ralentissement conjoncturel.

La misère des grands

Mais la règle des 3 % a un autre défaut : derrière son apparente uniformité, elle s’applique en réalité plus durement aux " grands " pays qu’aux " petits ". Elle a ainsi encore accentué les divergences creusées par la politique monétaire unique. En effet, les grands pays qui subissaient déjà des taux d’intérêt réels relativement plus élevés que les autres, du fait d’une moindre inflation, ont été les premiers à se heurter aux contraintes du pacte : la France et l’Allemagne ont dépassé dès 2002 le plafond de 3 % de déficit public. Dans ces pays, en effet, la croissance est principalement tirée par la demande intérieure, et la politique budgétaire constitue un instrument essentiel de régulation conjoncturelle. C’est pourquoi la contrainte du pacte de stabilité sest vite révélée restrictive en période de ralentissement.

Mais que faire pour sortir de l’ornière de la récession quand on ne peut plus jouer ni sur le taux de change, ni sur les taux d’intérêt, ni sur le budget ? Reste les salaires. L’Allemagne a résolument fait le choix de la déflation salariale. Les coûts salariaux unitaires y sont stables depuis 1999, alors qu’ils ont augmenté de 10 % en France et dans la moyenne de la zone euro, et de 20 % en Italie (voir graphique page 57). L’objectif outre-Rhin était de regagner des parts de marché, fût-ce au détriment de ses voisins. Cette stratégie a eu un coût énorme en déprimant la demande intérieure, mais elle a atteint son but : le commerce extérieur allemand est florissant, malgré l’appréciation de l’euro, tandis que les échanges extérieurs de la France et de l’Italie se dégradent à vue d’oeil.

La règle du pacte de stabilité pèse d’un poids plus léger sur les épaules des petits pays, très ouverts aux flux commerciaux et financiers. Pour eux, en effet, la politique budgétaire ne constitue pas un instrument de régulation conjoncturelle très efficace. Les budgets expansionnistes n’ont que peu d’effet sur la demande intérieure, ils contribuent surtout à la croissance des importations. C’est pourquoi la plupart des petits pays apparaissent beaucoup plus vertueux en matière budgétaire et respectent plus facilement les règles du pacte de stabilité. D’autant plus qu’ils peuvent compter sur le soutien de la demande assuré par les grands pays. Autrement dit, " les petits pays peuvent être vertueux parce qu’ils comptent sur le fait que les grands ne peuvent pas l’être ", résume Alain Lipietz.

Pour ces pays, la stratégie économique la plus rationnelle consiste plutôt à pousser leur avantage dans la concurrence internationale. En utilisant, au besoin, l’arme de la concurrence fiscale. L’exemple de l’Irlande montre que cette stratégie peut même sérer très payante : les rentrées fiscales peuvent rester abondantes, dès lors que la baisse des taux d’imposition réussit à attirer une masse suffisante de capitaux.

Face à la faiblesse des mécanismes de coordination prévus par les traités, les pays ont ainsi réagi en ordre dispersé. L’euro a certes fait disparaître les dévaluations compétitives, mais on peut se demander si l’Union économique et monétaire n’a pas déclenché une cascade de comportements encore plus délétères que ceux que la monnaie unique avait abolis. Car une dévaluation du change a au moins le mérite de frapper tout le monde de la même façon. L’allégement des impôts et la pression à la baisse des salaires ont en revanche des effets nettement inégalitaires au sein de chaque société.

Dans ces conditions, comment s’étonner de la désaffection dont souffre l’euro auprès des opinions publiques et de la tentation du retour en arrière qui pointe dans certains discours politiques ? Un éclatement de la zone euro serait pourtant le pire des scénarios. " Aucun pays n’y a intérêt ", estime Eloi Laurent. Mais qu’une éventualité aussi extrême soit envisagée en dit long sur la gravité du malaise et l’urgence d’y répondre.

  • 1. Leurs arguments ont d’ailleurs porté, puisqu’ils ont inspiré la récente réforme du pacte de stabilité décidée le 25 mars dernier.

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