Mirage : le jeu, une affaire d’Etat

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Les Français s'entichent des jeux d'argent. Une manne pour la Française des jeux et l'Etat.

Officiellement, le jeu d’argent est interdit en France. Et pourtant, si l’on déduit les gains de leurs dépenses en jeu, les Français y ont perdu 7,8 milliards d’euros en 2003, révèle une enquête de l’Insee1. Leurs mises dépassent les 32 milliards d’euros. Le marché est en plein boom : de 1976 à 2003, la part des jeux dans l’ensemble du budget des ménages a quasiment doublé, passant de 0,5 % à 0,9 % de leurs dépenses totales. L’équivalent des sommes déboursées en livres, journaux et périodiques. Les montants consacrés aux jeux d’argent ont crû en moyenne de 3 % par an (après inflation), contre 2 % pour les dépenses de consommation.

L’essor du jeu - pas seulement d’argent - s’intègre dans le développement des loisirs au sein d’une société où le niveau de vie moyen s’élève, ainsi que le temps libre. En même temps, il se nourrit des angoisses quant à la précarité et au ralentissement de la mobilité sociale, liés au chômage persistant. Pour beaucoup, le jeu permet de maintenir l’espoir de lendemains meilleurs : " Tous les rêves ont leur chance ", dit le slogan de la Française des jeux.

Ce second phénomène demeure occulté par les acteurs du jeu et les études précises sur les joueurs restent confidentielles. " Leur profil sociologique reflète, à quelques nuances près, la diversité sociale du pays ", écrit la Française des jeux sur son site Internet (www.fdesjeux.com). Certes, toutes les catégories sociales jouent, mais ni dans la même proportion, ni pour les mêmes montants. Si l’on considère l’ensemble des jeux, 14 % des cadres jouent, mais c’est le cas pour 31 % des ouvriers. En moyenne, les ouvriers ont joué 131 euros, contre 44 euros pour les cadres, dont les salaires sont 2,8 fois supérieurs...

Rapido, un jeu dangereux

Le jeu se développe aussi car ses promoteurs investissent massivement en marketing. L’Etat, censé contrôler le secteur, leur laisse libre cours pour développer tous azimuts cette activité qui rapporte chaque année 3 milliards de recettes fiscales2. " Là où on a le moins innové, les dépenses n’ont progressé qu’au rythme de l’inflation (cour ses de chevaux) ", écrit l’Insee. Au cours des trente dernières années, l’essor du jeu est d’abord celui des machines à sous, qui fleurissent depuis quelques années, et des tirages et autres grattages de la Française des jeux. Une innovation tellement débridée que la société a dû calmer ses propres ardeurs.

Ainsi Rapido3, système de tirage toutes les cinq minutes entre 6 heures et minuit installé dans les cafés, a transformé plus d’un de ces commerces en salles de jeux. Le phénomène est allé si loin que l’entreprise a fini par réduire le montant des mises en mars dernier : " C’est pour nous le produit qui présente le plus de risque d’entraîner des personnes fragiles, mais on le savait depuis le début ", indique le directeur marketing de la Française des jeux au quotidien Libération4...

  • 1. " En 25 ans, les Français ont doublé leur mise ", Insee Première n°1016, mai 2005. Disponible sur www.inegalites.fr
  • 2. Davantage en réalité, car ce chiffre n’inclut que les prélèvements sur l’activité spécifique du jeu, entrant dans le budget de l’Etat (www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1863-t1-02.asp#P2588_58731).
  • 3. Dont le succès était prévisible. Voir " Jeux : les Français accros ", Alternatives Economiques n°179, mars 2000.
  • 4. " Le Rapido a trop d’accros qui banquent illico ", Libération, 20 juin 2005.

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