Opinion

Une logique malthusienne

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Hervé Le Crosnier enseignant à l'université de Caen, fondateur de C&F éditions

La loi sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) a été soumise en urgence à l’Assemblée nationale en décembre dernier. Cette loi était présentée par le gouvernement comme une simple transposition en droit français de la directive européenne dite EUCD, qui vise à renforcer le pouvoir des industries culturelles vis-à-vis des usagers. Cette directive prévoyait cependant des exceptions d’usage pour permettre des copies privées par les individus et le prêt des documents protégés en bibliothèque. Mais le gouvernement français a choisi de ne pas faire usage de ces possibilités. Du coup, la loi française accentue encore le suivi et la répression contre les usagers, s’immisçant dans leurs pratiques privées et limitant les usages collectifs dans les bibliothèques.

Avec cette loi, la propriété intellectuelle quitte la zone d’équilibre entre les légitimes compensations versées aux auteurs et l’intérêt de la société à la diffusion la plus large des connaissances et des émotions. Il n’est plus question que de niveau de protection élevé et de " reconnaître la propriété intellectuelle comme faisant partie intégrante de la propriété ". Or, si culture il peut y avoir, c’est justement parce que les oeuvres culturelles ne répondent pas entièrement aux critères classiques de la propriété matérielle. La culture est aussi coproduite par les lecteurs, les auditeurs et les spectateurs, par leurs actions de diffusion, de promotion, d’échange, de partage et de commentaire. Ce sont les oeuvres " dont on parle " qui circulent, que l’on offre ou que l’on prête, que l’on écoute entre amis, que l’on visionne ensemble ou que l’on remixe dans de nouvelles créations. Pour tous, leur diffusion dépend notamment de la lecture socialisée, dans les bibliothèques, les écoles, les universités. Chacun sait combien son savoir actuel est tributaire de toutes ces lectures, ces écoutes et ces regards portés sur des oeuvres qu’il n’aura pas achetées. En retour, la notoriété obtenue par les auteurs sur la scène du partage renforce aussi la valeur économique de leurs productions.

Avec la loi DADVSI, c’est ce modèle de fonctionnement de la culture que l’on veut abandonner. Les mesures techniques de protection qu’elle promeut conduisent à une économie malthusienne, soumise aux seules volontés des producteurs culturels. La transformation de la culture en économie de rente s’accompagne d’un discours dévalorisant et méprisant envers les usagers : une rhétorique économique à courte vue et une morale de Père Fouettard !

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