Les méandres de la pauvreté

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Europe : il n'existe pas une seule mesure objective de la pauvreté. Une étude de l'Insee vient le confirmer.

" La recherche d’une mesure unique de la pauvreté s’apparente à une infructueuse quête du Graal : un seul concept, une seule évaluation ne sauraient suffire. " Comme le note Daniel Verger dans la revue de l’Insee Economie et statistique, dans un numéro tout entier consacré à la pauvreté en Europe1, il n’existe pas une mesure objective unique de la pauvreté. Si l’on définit comme pauvre la personne ou le ménage qui touche moins de la moitié du revenu médian (celui qui partage l’effectif en deux), on compte 6,3 % de pauvres en France, d’après les données 2003 qui viennent d’être publiées sur le site de l’Insee. Mais si l’on prend comme seuil 60 % du revenu médian, on obtient deux fois plus (12 %) de pauvres (voir notre dossier page 56) !

Des définitions multiples

D’où le très grand intérêt de cette publication de l’Insee, qui dissèque les définitions et les formes de la pauvreté et tente d’appliquer une même méthode dans une perspective internationale (Espagne, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Madagascar, Russie et Roumanie). D’emblée, les auteurs écartent une définition purement monétaire, au profit de celle définie par le Conseil de l’Europe en 1984 : sont considérées comme pauvres " les personnes dont les ressources (matérielles, culturelles ou sociales) sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l’Etat membre où elles vivent ". A l’approche monétaire s’ajoute une mesure de la pauvreté par les conditions de vie, mais aussi suivant l’appréciation que les ménages font de leur niveau de vie (approche subjective).

Pour chacune de ces définitions, les critères ne peuvent pourtant être exactement les mêmes dans tous les pays. Les critères de pauvreté monétaire, même corrigés du prix des différents biens et services, ne peuvent s’appliquer de façon uniforme. En effet, la pauvreté définie comme une proportion du revenu médian est en réalité un indicateur d’inégalité : comme les revenus du bas de l’échelle sociale sont regroupés autour de la médiane dans les anciens pays de l’Est, le taux de pauvreté défini de cette façon y est très inférieur à la France !

En ce qui concerne les conditions de vie, on ne peut pas mesurer les privations de la même façon dans un pays comme la Roumanie, où 45 % des ménages n’ont ni baignoire ni douche dans leur logement, et l’Hexagone, où cette proportion se limite à 2 %. Quant à la définition subjective de la pauvreté, elle dépend du contexte culturel : 90 % des Portugais estiment qu’il leur faut davantage pour vivre, contre un tiers des Polonais, alors que le revenu moyen par tête des premiers est supérieur de 70 % à celui des seconds.

L’Insee étudie, enfin, une dimension trop souvent oubliée des recherches sur la pauvreté : la dynamique du phénomène. En France, entre 10 % et 15 % des ménages sortiraient de la pauvreté chaque année et 40 % sur trois ans. Sur une période d’observation de huit ans (1993-2001), l’Insee estime que 83 % des ménages n’ont jamais été pauvres, au seuil de pauvreté équivalent à la moitié du revenu médian. A l’opposé, 3 % le sont toujours restés. 5,1 % étaient pauvres au début de la période et ne le sont plus, et autant sont dans la situation inverse, alors que 4 % sont en situation fluctuante (en situation de pauvreté certaines années).

  • 1. Numéro 383-384-385, décembre 2005. Disponible en ligne sur www.insee.fr Voir aussi " La privation matérielle dans l’Union européenne ", Eurostat, Statistiques en bref n°21/2005.

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