Éditorial

Au-delà de la rente

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Avec douze milliards d’euros de résultat net, le groupe Total, quatrième groupe pétrolier mondial, a dégagé un niveau de profit sans précédent. Comme l’explique le communiqué publié par Total à cette occasion, le haut niveau de la demande, dans un contexte de tensions sur les capacités de production, a porté le prix du brut et les marges de raffinage à un niveau élevé, croissance chinoise et ouragans américains aidant.

Alors que le consommateur moyen a vu toute cette année le prix de l’essence s’envoler à la pompe, ces profits colossaux sont difficilement acceptables. Même si le prix final des carburants dépend plus des taxes qui leur sont appliquées que du prix du brut, voir les actionnaires de Total s’enrichir sans effort - le dividende par action progresse de 35 % ! - ne peut que choquer tous ceux qui consacrent une part croissante de leurs revenus à remplir leur réservoir pour se rendre à leur travail ou leur cuve de fuel pour se chauffer. D’où la suggestion de surtaxer ces profits exceptionnels, qui résultent plus de la situation du marché que d’une performance technique ou managériale particulière. L’Etat récupérerait ainsi une partie de la rente accaparée par les firmes pétrolières du seul fait du boom des prix.

Socialiser une partie de la rente pétrolière serait d’autant plus justifié qu’elle ne semble pas prête de disparaître, compte tenu des perspectives des marchés pétroliers et gaziers. Reste que le jeu n’oppose pas seulement les compagnies et leurs actionnaires à l’Etat et aux consommateurs. L’essentiel de la rente est aujourd’hui capté par les grands pays producteurs, qui ont pour seul mérite d’avoir - encore - du pétrole dans leur sous-sol et d’en contrôler les robinets. C’est ainsi que Vladimir Poutine parvient à disposer des ressources qui lui permettent de s’acheter une popularité et que tous les Etats qui n’exportent pratiquement que du pétrole, du Venezuela à l’Arabie Saoudite, disposent des moyens d’asseoir leur autorité en redistribuant - plus ou moins - les flux de richesse que les hasards de la géographie leur apportent. Les vrais perdants sont les pays pauvres non producteurs, qui doivent consacrer une part toujours plus considérable de leurs maigres revenus à acquitter leur facture pétrolière. De quoi alimenter le débat sur ce que devrait être une gestion équitable des ressources de la planète...

Le prix élevé du pétrole et la rente qui en résulte sont d’abord le reflet de la voracité énergétique du mode de vie des pays riches et de leur dépendance à l’égard des énergies fossiles. Si demain une surtaxe devait s’appliquer aux profits dégagés par Total, on aimerait être sûr de la voir servir à financer des investissements massifs dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie. La situation présente des marchés de l’énergie est non seulement source de profits illégitimes, mais surtout lourde de menaces pour la paix du monde, dans la mesure où les pays qui consomment massivement du pétrole et du gaz n’en produisent pas ou peu. Et sont de ce fait étroitement dépendants de ressources contrôlées par d’autres Etats.

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