Emploi : la sécurité favorise la productivité

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Une étude du BIT bat en brèche l'idée selon laquelle la flexibilité avantage l'économie.

C’est une sacrée pierre dans le jardin de l’orthodoxie libérale que trois économistes du Bureau international du travail (BIT) viennent, mine de rien, de balancer. Plus la flexibilité de l’emploi est grande, mieux cela vaut pour l’économie, affirment les tenants de cette orthodoxie. Témoin : le Fonds monétaire international (FMI), dans l’édition 2003 de ses Perspectives de l’économie mondiale, écrivant que la transposition du marché du travail américain en Europe permettrait à cette dernière d’accroître son niveau de production de 5 % et de baisser son taux de chômage de 3 %. Nos trois économistes ont donc décidé d’aller voir de plus près, sur le terrain en quelque sorte.

Oui, reconnaissent-ils, la flexibilité favorise l’emploi : ce dernier est certes plus précaire, mais les opportunités d’emploi sont plus nombreuses, ce qui favorise l’embauche des nouveaux venus. En revanche, cela défavorise l’efficacité : ainsi, dans l’ensemble de l’Union européenne, la proportion des travailleurs ayant au moins dix ans de présence dans la même entreprise atteint 41,5 % du total des travailleurs en 2002 (44,2 % en France, où cette proportion a augmenté de plus d’un point en dix ans), contre 26,2 % aux Etats-Unis. A l’inverse, la proportion de travailleurs présents depuis moins d’un an dans leur entreprise est de 14,8 % dans l’Union (15,3 % en France), alors qu’elle est élevée aux Etats-Unis (24,5 %).

Or, on constate que, sur la période 1992-2002, plus l’ancienneté moyenne au travail a augmenté, plus la productivité du travail a progressé : " Employeurs et travailleurs trouvent leur intérêt dans une relation de travail stable. " Les premiers peuvent investir dans la formation, surtout si elle est spécifique, c’est-à-dire difficilement monnayable dans d’autres entreprises ; les seconds n’hésitent pas à le faire, car davantage de productivité se traduit en général par des salaires plus élevés. Ce n’est qu’au-delà de seize ans d’ancienneté - on en est loin en Europe - que la productivité commence à régresser. Moralité : les entreprises ont intérêt à garder leurs salariés longtemps.

L’évolution de l’ancienneté moyenne et croissance de la productivité* du travail de 1992 à 2002

D’où le problème. La flexibilité favorise l’accès à l’emploi en offrant des opportunités d’embauche. La sécurité favorise la productivité, en améliorant les compétences des travailleurs grâce à l’expérience et à la formation. Comment concilier les deux ? La protection de l’emploi par la loi ne suffit pas : en France, où cette protection est relativement forte, le sentiment d’insécurité exprimé par les salariés - la crainte de perdre son emploi - est également relativement plus élevé que dans la plupart des autres pays. Car les conséquences d’une perte d’emploi y sont lourdes : perte de revenu, crainte de ne pas retrouver un autre poste, ou seulement au prix d’un déclassement. La conciliation sécurité-flexibilité passe donc, au niveau microéconomique, par des accords entre employeurs et salariés pour garantir l’emploi en échange de flexibilité fonctionnelle (polyvalence) ; au niveau macroéconomique, elle nécessite une assurance chômage de qualité et un service public de l’emploi garantissant à chacun qu’il pourra " rebondir " et valoriser l’expérience acquise.

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