Suicide, l'envers de notre monde

Le suicide est une sorte de Graal de la sociologie. Analyser les causes sociologiques du phénomène est au fondement de la discipline depuis l’ouvrage d’Emile Durkheim sur le sujet en 1897. Ce livre se lit comme un périple historico-géographique particulièrement documenté sur le sujet. Tous les facteurs sont passés au crible de l’analyse, pour de très nombreux pays. Le suicide est plus fréquent dans les pays riches, mais ce ne sont pas les riches qui se tuent le plus de cette façon. Dans ces pays, plus que le chômage ou les inégalités, le suicide marque les populations frappées par l’incertitude, l’absence de reconnaissance : l’exclusion au sens large. Mais le phénomène n’est pas une fatalité dans les sociétés modernes qui, en même temps, ouvrent des horizons à chacun.

L’intérêt du livre va au-delà du sujet qu’il traite. La méthode, tout d’abord : comme ils l’avaient fait pour Le niveau monte (éd. du Seuil, 1989) et Allez les filles (éd. du Seuil, 1992), les auteurs ont un véritable souci de mettre à la disposition d’un large public des ressources scientifiques. La force de l’ouvrage est aussi de relativiser la portée de leurs trouvailles. Ils délimitent ainsi de façon rarement aussi bien posée le champ de leur analyse, un phénomène d’exception. " Le suicide demeure une exception individuelle : la compréhension ou l’interprétation du suicide relèvent d’abord de la psychologie individuelle ".

Cette limite posée, la description des facteurs sociologiques agit comme un révélateur de la question sociale : " ce n’est pas la société qui éclaire le suicide, c’est le suicide qui éclaire la société ", écrivent-ils. Ce n’est pas le Graal, mais on ressort de la lecture en ayant le sentiment de mieux comprendre le monde qui nous entoure, en ayant entrevu son envers.