Opinion

Pour un PIB durable

3 min
Pierre-Alain Muet Economiste, ancien député

L’activité humaine a toujours entraîné une destruction de ressources non renouvelables et un développement de la pollution, mais jusqu’à une certaine période, cet effet était circonscrit dans l’espace. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité apparaît, notamment avec l’effet de serre, un impact massif de l’activité humaine sur la biosphère, qui imposera à terme un changement profond de notre modèle de croissance.

Dans le meilleur des cas, nous agissons a posteriori en corrigeant les effets nocifs du développement économique alors qu’il faudrait au contraire que le modèle de développement corrige de lui-même ses effets négatifs sur l’environnement. Pour cela, il faut que le prix des biens échangés sur les marchés reflète le vrai coût pour l’humanité de la consommation de ressources non renouvelables et de la pollution, afin que les choix des agents privés incorporent ces effets externes. Ceci suppose une taxation écologique significative sans commune mesure avec les taxes actuellement existantes.

Mais il faut également que nous changions notre conception du progrès. Depuis la révolution industrielle, le progrès technique a été essentiellement orienté vers l’augmentation continue de la productivité du travail - on produit en une heure de travail vingt fois plus de biens qu’il y a un siècle -, comme si le facteur rare était le travail, alors qu’en réalité les facteurs rares sont l’environnement et les ressources non renouvelables. Si nous faisons dans le siècle à venir des progrès comparables, en réduisant dans les mêmes proportions la pollution et la production de déchets, alors nous pouvons espérer rendre notre modèle de croissance vraiment soutenable.

Il faut pour cela que nous cessions de mesurer les performances économiques (et implicitement le bien-être) à l’aide d’un indicateur - le produit intérieur brut (PIB) - qui ignore tout des prélèvements sur l’environnement. Cette réflexion, lancée dans les années 70 à l’époque du Club de Rome, avait déjà conduit William Nordhaus et James Tobin à construire un indicateur de bien-être monétaire inspiré du PIB. Oubliées pendant des décennies en raison de la montée du chômage, ces réflexions ont été remises au goût du jour par les inquiétudes sur l’environnement. Elles mobilisent deux approches complémentaires : la construction d’indicateurs de bien-être, comme l’indice de développement humain (IDH) popularisé par le Pnud, ou celle d’un PIB corrigé des effets négatifs (les deux plus connus étant l’indice de bien-être durable, IBED, et l’indicateur de progrès véritable, IPV, construit par des chercheurs américains).

La première approche, l’IDH, combine en un seul indicateur plusieurs indicateurs sociaux (par exemple l’espérance de vie, le niveau d’instruction, le PIB par habitant). La seconde approche corrige le PIB du coût de la pollution et de la destruction des ressources non renouvelables, mais aussi des inégalités de revenus, du coût de la congestion urbaine et des déplacements quotidiens, du coût du chômage et de la diminution du temps de loisir ; elle ajoute le travail domestique. L’avantage de cette deuxième approche est d’être une évaluation monétaire comparable au PIB et qui pourrait s’y substituer.

La France est en retard dans ce domaine. Les recherches sont très actives en Europe du Nord, aux Etats-Unis et au Canada. Si nous voulons changer de modèle de croissance, il nous faut aussi en changer la mesure.

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