Opinion

Le retour de la Russie

3 min
Jean-François Bayart Professeur d'anthropologie et de sociologie à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID)

Après une éclipse, la Russie est de retour dans la cour des grands. Il n’est pas sûr qu’elle ait beaucoup appris en matière de démocratie et d’économie de marché. Mais la hausse des cours des matières premières lui a redonné les moyens de peser sur la marche du monde. La configuration du système international lui fournit une superbe opportunité de reprendre son rang.

Sa première arme est le gaz. L’Union européenne dépend d’elle à hauteur de 50 % de ses besoins. Le bras de fer entre Moscou et Kiev, en janvier, le lui a rappelé avec cruauté. Il s’agissait certes, pour Vladimir Poutine, de donner une correction à l’Ukraine, coupable d’émancipation, et plus généralement de rappeler à l’ordre son " étranger proche ". Les attentats malheureux qui endommagèrent le gazoduc desservant la Géorgie complétèrent le message. Mais le destinataire final de celui-ci était bien l’Europe. Les pays baltes, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie achètent à la Russie leur gaz à hauteur de 80 % à 100 % de leurs besoins, selon les cas. L’Allemagne, l’Italie et la France en sont également tributaires pour un quart à un tiers de leur approvisionnement.

D’une part, Moscou fait comprendre que ses anciens satellites, pour être entrés dans l’Otan et l’Europe, n’en ont pas fini avec elle. Le projet de gazoduc sous-marin qui reliera directement la Russie à l’Allemagne en contournant la Pologne accentuera à terme cette vulnérabilité des pays de l’est de l’Europe. L’émotion qu’il soulève à Varsovie montre l’ampleur de l’enjeu. Simultanément, Gazprom cherche à s’emparer, avec le soutien du Kremlin, du réseau de distribution du gaz en Biélorussie, en République tchèque et en Hongrie, où le groupe multiplie les investissements.

D’autre part, la Russie se lance à l’assaut de l’Europe occidentale. Gazprom, qui s’est acheté un VRP de choix en la personne de Gerhard Schröder, entend être présent dans la distribution du gaz en Belgique, en France et au Royaume-Uni. Fort de la lune de miel entre Vladimir Poutine et le gouvernement turc, le géant veut également s’implanter en Anatolie pour contrer le projet de gazoduc Caspienne-Balkans et contrôler cette voie d’approvisionnement de l’Europe, mais aussi d’Israël. Il a enfin effectué un rapprochement spectaculaire avec la Sonatrach algérienne et pourrait créer avec elle un cartel informel du gaz à destination de l’Union européenne qui prendrait celle-ci en tenailles.

Ces grandes manoeuvres énergétiques sont le soubassement d’un projet plus global. Gazprom courtise aussi la Chine. En vendant 3,5 milliards de dollars d’armes à l’Algérie, la Russie a modifié l’équilibre stratégique du Maghreb. Elle joue la carte du Hamas au Proche-Orient et s’oppose aux sanctions contre l’Iran. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’incapacité de l’Europe à gérer l’adhésion de la Turquie, son illusion de pouvoir bloquer l’option nucléaire de Téhéran, l’inanité de son partenariat avec les pays du sud de la Méditerranée. Les friches finissent toujours par susciter la convoitise des prédateurs.

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