Effet de serre : et les avions ?
Le transport aérien contribue fortement aux émissions de gaz à effet de serre. L'Europe pourrait bientôt lui imposer des quotas d'émission.
Un couple de Français qui part en vacances au Caire émet quasiment autant de dioxyde de carbone (CO2) qu’un Egyptien pendant un an. Pour chaque kilomètre parcouru en avion, un passager émet 40 % de plus de ce gaz, un des principaux responsables du changement climatique, que s’il se déplaçait en voiture1. Autre impact négatif du transport aérien : les rejets de vapeur d’eau et d’oxyde d’azote susceptibles de former de l’ozone, un puissant gaz à effet de serre. Surtout, les avions rejettent ces gaz essentiellement en altitude, une partie particulièrement sensible de l’atmosphère.
La situation est déjà préoccupante compte tenu du développement spectaculaire du transport aérien depuis quarante ans : sa croissance a frôlé les 9 % par an en moyenne, soit 2,4 fois plus que l’économie mondiale durant cette période. La consommation de kérosène des avions a certes été réduite de 70 % par kilomètre parcouru dans le même temps, mais cela n’a pas suffi à compenser la hausse du trafic : au sein de la seule Union européenne, les émissions des vols internationaux ont augmenté de 73 % entre 1990 et 20032. Et ce n’est pas fini puisque l’Organisation mondiale du tourisme prévoit que le nombre de déplacements internationaux doublera entre 2004 et 2020, passant de 760 millions de voyages chaque année à 1,6 milliard.
Cette croissance est tirée en particulier par la Chine et, dans une moindre mesure, par l’Inde, mais aussi par l’Europe de l’Est (Pologne, République tchèque), avec laquelle les liaisons aériennes se sont multipliées. Résultat : en 2000, le transport aérien était responsable de 35 millions de tonnes de CO2 sur les 900 millions de tonnes émises dans l’Europe des Quinze. En 2030, il devrait en émettre 100 millions de tonnes3 si sa croissance se poursuit au rythme actuel. Alors que dans le même temps, il faudrait ramener l’ensemble des émissions européennes à un total de 500 millions de tonnes, si on veut que le réchauffement climatique n’excède pas deux degrés à la fin du siècle. Or, pour l’instant, le développement du trafic aérien demeure encouragé par l’absence de taxes sur les carburants et par son exclusion partielle des dispositifs mis en place par l’Union européenne afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Zéro taxe sur le kérosène
Principal avantage du transport aérien sur ses concurrents : l’absence de taxe sur le kérosène4. Pour les voitures en France, les taxes représentaient l’an dernier entre 57 % et 67 % du prix des carburants à la pompe5. Et, contrairement à d’autres impôts, on n’observe guère pour l’instant de course au moins-disant fiscal dans ce domaine : les Etats européens se sont mis d’accord sur des minima obligatoires pour chaque catégorie de carburant et les pays choisissent généralement de les dépasser. A l’inverse, comme pratiquement tous les pays du monde, ils ne taxent pas le kérosène destiné à l’aviation commerciale.
Depuis 2000, la Commission européenne se déclare cependant favorable à une telle taxation. Elle avait tenté de porter en 2001 le débat au niveau de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Sans aucune chance d’aboutir dans ce cadre très influencé par les opérateurs du secteur. Quand l’Union a réformé sa propre fiscalité sur les produits énergétiques, en 2002-2003, tous les Etats membres, sauf deux, étaient prêts à accepter que les carburants soient désormais taxés au même titre que les autres moyens de transport. Mais seulement pour les vols intra-européens. Quant aux vols vers l’extérieur de l’Europe, les Etats de l’Union sont tenus par des centaines d’accords bilatéraux conclus avec les autres pays du monde, qui interdisent de taxer le carburant pour les vols entre pays signataires. Leur nombre et les difficultés prévisibles pour les renégocier sont un puissant facteur supplémentaire d’immobilisme. Mais l’absence d’unanimité, requise sur les questions fiscales, a suffi à bloquer l’introduction d’une telle taxation.
Le compromis finalement trouvé prévoit que les Etats peuvent taxer les carburants pour les vols intérieurs et pour les vols entre deux pays de l’Union si ceux-ci en conviennent par un accord bilatéral. Seuls les Pays-Bas ont utilisé cette possibilité pour l’instant pour leurs vols intérieurs (une mesure purement symbolique dans un pays de cette taille...). Sur le plan fiscal, le transport aérien bénéficie aussi, en France comme dans la plupart des pays de l’Union, d’un taux de TVA réduit : dans l’Hexagone, les billets d’avion sont ainsi taxés à 5,5 %, au lieu des 19,6 % habituels. Un avantage dont bénéficie l’ensemble des modes de transport collectif.
A l’abri des contraintes de Kyoto
Parallèlement, le transport aérien reste aussi largement exclu pour l’instant des contraintes imposées dans le cadre du protocole de Kyoto. Seuls les vols intérieurs sont intégrés aux quotas maxima d’émissions attribués à chaque pays. Les vols internationaux, qui concernent par nature plusieurs pays, ont été jugés trop complexes à prendre en compte au moment où ce protocole a été - péniblement - négocié puis adopté en 1997.
Pour atteindre les objectifs de réduction auxquels elle s’est engagée (moins 8 % par rapport aux émissions de 1990 en 2012), l’Union européenne a mis en place en son sein en 2005 un système de quotas d’émission de CO2. Ce système répartit des permis d’émissions entre 11 500 entreprises fortement consommatrices d’énergies fossiles. Celles qui dépassent leurs quotas peuvent cependant acheter des permis à celles qui n’ont pas atteint le quota auquel elles ont droit6. Bien qu’elles soient des émetteurs très importants, les compagnies aériennes ne sont pas concernées pour l’instant par ce dispositif. Ce qui fait désordre.
C’est pourquoi la Commission européenne a proposé, à l’automne dernier, d’intégrer l’aviation intra-européenne, voire l’aviation internationale au départ de l’Europe, à ce système d’échange de quotas d’émission. Cette proposition s’inscrit dans le cadre de la révision en cours du système, qui doit déterminer les règles applicables pour la période 2008-2012. Elle constituerait un moindre mal pour les transporteurs aériens, si elle écarte la perspective d’une taxe sur le kérosène. Le système des quotas serait en effet, pour les opérateurs existants, un frein puissant à l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché aérien, puisque ceux-ci devraient acheter des quotas supplémentaires " plein pot ". Ce serait donc un moyen de limiter la concurrence qui entraîne actuellement le prix des billets vers le bas et les résultats des compagnies vers le rouge.
Le casse-tête des quotas
Contrairement à ce qui se passe pour les installations industrielles, les quotas ne devraient pas être attribués par les Etats membres, mais directement au niveau européen. Le niveau global de ces quotas jouera évidemment un rôle déterminant : plus il est élevé, plus les surcoûts occasionnés pour les transporteurs aériens seront faibles et moins les quotas seront contraignants. Il faudra également choisir comment les distribuer : en fonction des émissions passées des compagnies ou en établissant une norme de pollution moyenne pour le secteur ? La première méthode, le grand-fathering, a primé lors des premières allocations pour l’industrie en 2005 parce qu’elle était plus simple, mais la seconde, le benchmarking, est plus efficace écologiquement et plus juste, car elle favorise les acteurs qui utilisent déjà les avions les moins gourmands. " C’est cette méthode qui devrait être utilisée pour l’aviation ", explique Aurélie Vieillefosse, qui suit le dossier au ministère de l’Environnement.
Il faudra aussi trouver des solutions pour articuler les quotas européens imposés aux transporteurs aériens avec le système des quotas nationaux prévus par le protocole de Kyoto, puisque celui-ci ne prend pas en compte les vols internationaux. Enfin, les Etats-Unis ont d’ores et déjà signalé qu’ils tenteraient de s’opposer à ce système, qui s’imposerait aux compagnies non européennes pour leurs vols européens, arguant que ce type de mesures ne peut être décidé qu’au niveau mondial et par l’OACI.
Même si la proposition européenne résiste aux multiples pressions des acteurs du secteur, il est peu probable que les nombreuses étapes nécessaires pour la rendre applicable dès 2008 soient franchies. Aujourd’hui, la Commission vise plutôt 2010. La bataille pour obliger le transport aérien à prendre sa part du fardeau de la lutte contre le changement climatique est encore loin d’être gagnée...
- 1. En considérant que la voiture est occupée en moyenne par 1,8 passager. Voir " Transport aérien de passagers et effet de serre ", Données de l’environnement, Ifen, novembre 2004.
- 2. Voir Mémo de la Commission européenne, Questions & Answers on Aviation & Climate Change, 2005.
- 3. Sans l’utilisation du biokérosène. Voir Growth Scenarios for EU and UK Aviation : Contradiction with Climate Policy, Tyndall Centre.
- 4. Le transport maritime international bénéficie du même type d’exemption.
- 5. La taxation baisse quand le prix du pétrole augmente. En effet, la taxe intérieure sur les produits pétroliers est calculée par tonne de carburant et non proportionnellement au prix de vente. Elle reste donc stable indépendamment de la hausse des prix et représente ainsi une part de plus en plus faible du prix de la tonne de carburant.
- 6. Voir " Où en est le marché du CO2 ", Alternatives Economiques n°247, mai 2006.