La reconstruction : modernité et modernisation

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Après 1945, célébrer la modernisation du pays convient bien aux affichistes issus du mouvement moderniste des années 30. Leur inventivité côtoie un réalisme plat à la soviétique ou à l'américaine.

Après la Seconde Guerre mondiale, les grands affichistes d’avant-guerre rencontrent la forte volonté d’un pays qui inscrit la reconstruction sous le signe d’une modernisation économique et sociale résolue. Le modèle français se construit autour d’un service public qui fait la fierté de la nation et s’identifie à lui, comme le souligne l’affiche de Paul Colin pour la SNCF. Une nouvelle période s’ouvre, porteuse d’espoir et de progrès : progrès technique, progrès économique et progrès social.

Très vite, la croissance est au rendez-vous et le secteur nationalisé - toujours lui - montre la voie. On ne s’étonnera pas de voir ici une affiche d’Air France, de Jean Carlu. Cette entreprise, depuis sa création en 1933, a voulu célébrer la modernité et la fonctionnalité en toutes choses : après sa transformation en compagnie nationale après-guerre, l’entreprise travaille avec des architectes, des designers, de grands couturiers et fait appel, pour sa publicité, aux plus grands affichistes. En 1956, sous la direction de Jean Carlu, une nouvelle campagne et un concours publicitaire sont lancés sur le thème : " N’en rêvez plus, allez-y ". C’est le début de la démocratisation du transport aérien, avec le Boeing 707 et, bien sûr, la Caravelle, qui fait la fierté de la France.

Jean Carlu comme Paul Colin, tous deux rompus à l’affiche publicitaire pendant l’entre-deux-guerres, vont aussi illustrer de grandes idées et s’essayer à l’affiche politique : une des plus célèbres affiches de Carlu pendant la guerre, qu’il passe aux Etats-Unis, America’s Answer, montre un gant de protection armé d’une clé serrant comme un boulon le premier " o " du mot " production ". Aux Etats-Unis, en réponse à l’agression japonaise et nazie, l’heure était à la formidable mobilisation industrielle. Quant à Paul Colin, il est l’auteur d’une affiche particulièrement forte de la Libération : une Marianne efflanquée cache ses yeux de la main, éblouie par le jour qui se lève au sortir des années noires.

Déjà majeures avant guerre, aux côtés de celles de Cassandre et de Loupot, les oeuvres de Colin et Carlu frappent encore par leur diversité, notamment stylistique. Nous avons vu le graphiste que pouvait être Colin dans les dessins du Bal nègre. Pendant les Trente Glorieuses, beaucoup de ses affiches, dans des styles variés, sont consacrées à de grandes causes, mais aussi au tourisme. Quant à Carlu, président de 1945 à 1956 de l’Alliance graphique internationale, conseiller artistique chez Air France et Larousse, il travaille dans les années 50-60 pour ces deux entreprises. Il réalise aussi des affiches pour les stylos Waterman et différentes boissons où figurent des silhouettes géométriques (affiches Pernod, années 50), des collages et des photomontages (clowns Pschitt, 1955), burlesque surréaliste (zèbre Cinzano, 1956).

Arts ménagers et habitat

Membre, comme Carlu, de l’Union des artistes modernes avant guerre, formé aux Beaux-Arts à Paris, illustrateur de livres dans les années 30, Francis Bernard allie graphisme rigoureux et inventivité. Il crée en 1930 un personnage qui fait carrière : la Marie mécanique, pour l’affiche du Salon des arts ménagers. Sa silhouette de ménagère mue par des engrenages représente le travail domestique libéré par les machines. Son affiche pour le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, sous son air bon enfant, touche une question cruciale : celle de l’insuffisance du nombre de logements dans ces années d’après-guerre. Cette pénurie, due aux destructions causées par la guerre et alimentée par le baby-boom et l’exode rural massif, aboutira au cri d’alarme de l’abbé Pierre en 1954 et à la construction industrialisée des grandes cités d’habitat social dans les deux décennies suivantes.

Devenez mineur, 1947, 80 x 55 cm. Anonyme

" Premier ouvrier de France ", le mineur l’est en cette période de reconstruction : il symbolise l’effort de la classe ouvrière au service du pays. Le métier est exalté par la contre-plongée, le mineur dominant son sujet grâce à un éclairage puissant et un marteau-piqueur performant. Une image de héros du travail, au réalisme schématisé, qui ne déparerait pas dans une galerie du " réalisme socialiste ".

Devenez mineur, 1947, 80 x 55 cm. Anonyme

" Premier ouvrier de France ", le mineur l’est en cette période de reconstruction : il symbolise l’effort de la classe ouvrière au service du pays. Le métier est exalté par la contre-plongée, le mineur dominant son sujet grâce à un éclairage puissant et un marteau-piqueur performant. Une image de héros du travail, au réalisme schématisé, qui ne déparerait pas dans une galerie du " réalisme socialiste ".

Les deux autres affiches anonymes présentées ici rappellent deux fortes réalités d’après-1945. D’une part, celle du charbon, qui reste à cette époque et pendant encore une décennie la principale source d’énergie du pays : les houillères nationalisées réclament de la main-d’oeuvre. Cette demande insuffisamment entendue, nécessitera de faire appel à des mineurs immigrés. D’autre part, celle de la montée, encore lente mais réelle, de l’emploi tertiaire féminin. Non plus un emploi occasionnel, mais " une bonne situation ", un emploi stable, correctement payé, avec possibilité de promotion... qui offre les moyens financiers de consommer les produits proposés par la publicité.

Cours Pigier, années 50, 125 x 90 cm. Anonyme

Cette jeune secrétaire de direction souriante et en bonne santé est en pleine activité. Elle peut affirmer qu’elle a " une belle situation " : belle, car stable et considérée, et ceci grâce à sa formation chez Pigier. On retrouve ici un dessin qui veut reproduire la réalité, comme sur les affiches américaines, et la starlette des publicités de vêtements : une femme mignonne, au visage un peu enfantin mais, secrétariat de direction oblige, soigneusement coiffée et strictement habillée.

Cours Pigier, années 50, 125 x 90 cm. Anonyme

Cette jeune secrétaire de direction souriante et en bonne santé est en pleine activité. Elle peut affirmer qu’elle a " une belle situation " : belle, car stable et considérée, et ceci grâce à sa formation chez Pigier. On retrouve ici un dessin qui veut reproduire la réalité, comme sur les affiches américaines, et la starlette des publicités de vêtements : une femme mignonne, au visage un peu enfantin mais, secrétariat de direction oblige, soigneusement coiffée et strictement habillée.

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