Le flop du CNE

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Une étude du ministère de l'Emploi montre les faibles résultats du CNE en matière de créations nettes d'emplois et de pérennité de ces postes

Une étude ne fait pas le printemps, pas plus qu’une hirondelle. " La métaphore est audacieuse. Je suggèrerais volontiers à Dominique de Villepin, son auteur, de poursuivre ses variations sur l’adage populaire en remplaçant " une étude " par - au choix - " un gouvernement ", " un Premier ministre " ou " un contrat de travail ". Car c’est à propos du contrat " nouvelle embauche ", plus connu sous le sigle CNE, que notre Premier ministre a fait cette forte déclaration. La Dares, la direction du ministère de l’Emploi qui s’occupe des recherches, des études et des statistiques, vient en effet de publier les résultats d’une évaluation de ce contrat, instauré en août dernier. Elle a été effectuée auprès de 3 000 chefs d’entreprise de moins de vingt salariés ayant recruté des salariés en CNE en octobre 2005. Les résultats sont instructifs, notamment dans deux domaines.

Le premier est que, six mois après, 30 % des salariés concernés par ce type d’embauche ne sont plus dans l’entreprise. Virés ? Oui, pour deux cinquièmes d’entre eux. Les autres sont partis d’eux-mêmes ou d’un commun accord avec leur employeur. Ils ont voté avec leurs pieds : partir à la première occasion plutôt que de rester sur un siège éjectable. Les procès aux Prud’hommes sont en effet en train de se multiplier sur des cas d’atteintes flagrantes au droit du travail : licenciement de femmes enceintes, refus de paiement d’heures supplémentaires, etc. Il ne s’agit pas ici de soutenir que les chefs d’entreprise sont des truands : ce n’est pas vrai pour l’immense majorité d’entre eux. Mais entre la précarité du contrat - puisque le CNE peut être rompu à tout moment sans motif - et le risque d’arbitraire patronal qu’il recèle, un nombre important de salariés ne l’acceptent qu’en dernier recours et partent à la première occasion. C’est plutôt une bonne nouvelle : patrons, si vous voulez des salariés impliqués, motivés et prêts à s’engager dans la durée, embauchez-les en CDI, c’est plus sûr.

Le deuxième résultat, abondamment commenté, est que le CNE est un bide du point de vue des créations nettes d’emplois. Certes, 440 000 embauches ont eu lieu avec ce type de contrats au cours des six mois observés, mais, outre ceux qui sont partis, contraints ou volontairement, une bonne part des embauchés l’auraient été de toute manière. La Dares estime donc à 10 % le nombre d’emplois nets créés : de l’ordre de 40 0001. Dans une autre étude, l’Agence centrale des organisations de Sécurité sociale (Acoss), qui encaisse les cotisations sociales, est encore plus sévère : elle penche pour 27 000 emplois supplémentaires en 20052. Et le porte-parole du gouvernement, l’ineffable Copé, de cocoriquer de belle manière - " la moitié des nouveaux emplois créés proviennent des CNE " -, tandis que Renaud Dutreil, le ministre des PME, avance que cette estimation " prouve le succès du CNE ". On pense irrésistiblement à ces communiqués d’Etat-major de juin 1940 annonçant que tel régiment avait victorieusement repoussé une attaque ennemie dans les Ardennes, mais ne disant mot de la débâcle partout ailleurs. Ou encore à ces discussions de soir d’élections, quand les vaincus nient leur défaite en avançant qu’il ne s’agit que d’estimations et en exhibant un chiffre sorti de leur chapeau. Copé et Dutreil seraient-ils en train de préparer leur reconversion dans un cabinet de com ?

Car enfin, il faut être sérieux. D’abord parce que le rythme des embauches en CNE s’est fortement ralenti depuis quelques mois, et pas seulement pour des raisons saisonnières : les entreprises intéressées se sont ruées sur le dispositif au cours des premiers mois, mais, désormais, elles sont plus réticentes ou moins enthousiastes. En phase de lancement, 40 000 emplois nets créés en un semestre de lancement, cela laisse prévoir un résultat annuel inférieur à ce chiffre en phase de maturité. D’ailleurs l’Insee, qui anticipait entre 10 000 et 20 000 créations nettes chaque trimestre au titre du CNE, indique qu’il lui faudra " réviser ses estimations dès 2007 ". A la baisse bien sûr.

Fallait-il prendre le risque de déstabiliser le droit du travail et d’accentuer la précarité de l’emploi pour si peu ? " Le CNE, ça marche ", vient de déclarer le patron de la Confédération des PME. Puisque les adages sont à la mode en haut lieu, on peut lui en suggérer un autre : " Ne pas prendre des vessies pour des lanternes ".

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