Métaux en fusion

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Contrairement au pétrole, la hausse fantastique du prix de nombreux métaux ces dernières années ne semble pas inquiéter les pouvoirs publics.

L’humanité est-elle en train d’épuiser toutes les ressources non renouvelables de la planète ? Le pétrole focalise l’attention aujourd’hui, mais la question est loin de se poser seulement pour cette matière première. Comme pour l’or noir et parfois même bien davantage, le prix de nombre de métaux a bondi ces dernières années. Le cuivre, en particulier, vaut cinq fois plus cher qu’il y a cinq ans, même si son prix a un peu baissé ces dernières semaines, corrigeant l’extraordinaire envolée spéculative du début de l’année. On peut citer également le platine, métal indispensable pour fabriquer les pots catalytiques des automobiles, dont le prix est passé de 350 dollars l’once en 1999 à plus de 1 100 dollars aujourd’hui. Les prix du zinc ou du nickel ont connu, eux aussi, des évolutions impressionnantes.

Production totale mondiale de cuivre, en millions de tonnes par an

Cette envolée de nombreux métaux est certes le signe de la rareté croissante des ressources minières. Mais elle est aussi le contrecoup de la vigueur de la demande chinoise et du retard à l’allumage dans la mise en place de nouvelles capacités d’extraction et de traitement, phénomène classique dans les phases d’accélération de la croissance mondiale. Un retard qui pourrait donc se résorber en partie dans le futur, aboutissant même pour certains métaux à une chute brutale des cours si, pendant un temps, les capacités excédent de nouveau la demande. Il n’empêche : la hausse vertigineuse des prix des métaux de ces dernières années pose une fois de plus la question de la capacité des mécanismes marchands à donner à temps aux autres acteurs économiques les signaux qui permettent d’éviter sinon des pénuries, du moins la déstabilisation de nombreuses activités. Comme c’est déjà le cas pour les énergies fossiles, il est temps d’adopter des politiques publiques plus actives, afin de limiter les besoins en ressources minières de manière à se préparer à leur raréfaction inévitable.

Cuivre et zinc bientôt épuisés

Actuellement, les situations sont très diverses selon les métaux. Le fer, par exemple, demeure relativement abondant : les réserves connues permettent de " tenir " encore cent dix-huit ans au rythme actuel de production. Mais cette durée passe à trente et un ans seulement pour le cuivre, avec des réserves évaluées à 470 millions de tonnes pour une production de 15 millions de tonnes en 2005. Quant au zinc, avec 220 millions de tonnes de réserves, il n’en reste que pour vingt-deux ans au rythme actuel.

Comme on a pu le constater aussi pour le pétrole, ces chiffres sont cependant restés relativement stables depuis dix ans, grâce à la découverte chaque année de nouvelles réserves. Mais pour plusieurs métaux, les signes indubitables d’une rareté croissante se multiplient. Au Chili, premier producteur de cuivre avec 35 % de la production mondiale (devant les Etats-Unis, l’Indonésie et le Pérou), la fin de l’exploitation à ciel ouvert, la forme d’extraction de loin la moins coûteuse, est pour demain : dans la gigantesque mine de Chuquicamata, il ne devrait plus rester, vers 2014, que des ressources souterraines à exploiter.

" Au cours des cinquante dernières années, le taux d’extraction de beaucoup de métaux rares a augmenté de plus de 3 % par an ", constate l’Américain Thomas Graedel1, professeur d’écologie industrielle à l’université de Yale. Et il se livre à un petit exercice : quels seraient les besoins en cuivre si, en 2100, le monde entier bénéficiait du même niveau de vie et des mêmes technologies que les pays riches actuellement ? Aujourd’hui, chaque Américain du Nord mobilise en moyenne en permanence 170 kg de cuivre. Si tous les pays rattrapaient d’ici à 2100 les pays développés, on utiliserait sept à huit fois plus de cuivre qu’aujourd’hui en Chine ou en Afrique du Sud. La population mondiale devrait augmenter jusqu’aux environs de 10 milliards d’individus à la fin du siècle. Au total, on aurait donc besoin de 1,7 milliard de tonnes de cuivre dans le monde. Or les réserves connues actuellement ne sont que de 1,6 milliard de tonnes. Et seule une partie de ce potentiel est exploitable en l’état actuel des technologies. La même situation prévaudrait pour le zinc et le platine (mais pas encore pour l’étain, l’argent ou le nickel). " Si, durant les vingt ou trente prochaines années, nous continuons à utiliser ces métaux comme nous le faisons aujourd’hui, nous devrions connaître des pénuries avant un siècle ", prévient Thomas Graedel. Koji Tokimatsu, chercheur à l’Institut national japonais en sciences et techniques industrielles avancées, aboutit à des résultats similaires : " Le rapport entre offre et demande de cuivre est une menace potentielle pour un développement durable, au même titre que le réchauffement climatique. "

Zoom Et l’uranium ?

Le nucléaire est souvent présenté comme une alternative énergétique évidente face à la raréfaction du pétrole et au changement climatique. Mais, en l’état actuel des techniques, il repose lui-même sur la consommation de ressources non renouvelables. Le regain d’intérêt récent pour cette filière a déjà entraîné une envolée spectaculaire du prix de l’uranium : il a été multiplié par sept en cinq ans. Selon l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN), liée à l’OCDE, les réserves connues d’uranium ne représentent que 4,7 millions de tonnes, soit quatre-vingt-cinq ans de production au rythme actuel. Mais beaucoup moins si on assistait à une relance rapide de cette filière à l’échelle mondiale. L’AEN estime cependant que, moyennant un effort de prospection supplémentaire et l’exploitation de l’uranium présent dans les phosphates, on pourrait porter les réserves exploitables à 35 millions de tonnes.

Prix de l’uranium en dollars/livre

Nouvelles technologies, nouveaux gisements

Certes, " nous utilisons moins de cuivre que par le passé. Les technologies sans fil se développent très rapidement, en Chine notamment. Autre exemple : les tubes des systèmes de climatisation sont beaucoup plus fins qu’avant, relativise Daniel Edelstein du US Geological Survey, l’organisme officiel qui, aux Etats-Unis, suit cette question pour le compte de l’Etat fédéral. On peut donc supposer que les pays en développement ne feront jamais un usage aussi intensif que nous du cuivre. " Mais Thomas Graedel lui oppose un autre constat : " La quantité de cuivre en circulation par personne n’a cessé de croître aux Etats-Unis tout au long du XXe siècle et aucune fin à cette expansion n’est en vue. " En effet, les nouvelles applications du cuivre, comme dans les systèmes d’air conditionné ou l’électronique pour les automobiles, font plus que compenser les économies réalisées par ailleurs. C’est ce que les spécialistes appellent " l’effet rebond ".

L’envolée fantastique des prix des métaux

La demande à long terme de tel ou tel métal reste cependant très hypothétique. Et l’offre ne l’est pas moins : les réserves prouvées évoluent constamment. La décision de rechercher ou non de nouvelles réserves puis de les exploiter dépend de Paramètres économiques et techniques : teneur en minerai du gisement, prix de vente, coût d’extraction, coût de production. Sans oublier le facteur technologique. En effet, de meilleures techniques minières, comme le recours aux biotechnologies, ont permis l’augmentation continue des réserves considérées comme exploitables. Aussi vite souvent que le rythme d’extraction. Pour le cuivre, le chiffre de 1,6 milliard de tonnes avancé par Thomas Graedel date des années 80 et " avec la technologie actuelle, nous trouverions plutôt 3 milliards de tonnes ", estime Daniel Edelstein. On mise en particulier beaucoup, dans les milieux spécialisés, sur l’exploitation future des nodules polymétalliques présents au fond des mers. De plus, rares sont les métaux qui ont des propriétés uniques. Pour un usage donné, la substitution par un autre est souvent possible. L’aluminium, par exemple, remplace déjà le plus souvent le cuivre, devenu trop cher, pour fabriquer les radiateurs des automobiles.

Débat autour du recyclage

Devant de telles incertitudes, les logiques de court terme continuent de dominer chez la plupart des acteurs. Une attitude qui ne Paraît pas forcément irrationnelle à Philippe Chalmin, qui dirige le Cyclope, ouvrage de référence en France sur les matières premières : " La variable importante, c’est le cycle de l’investissement. Il faut dix ans pour qu’un projet minier devienne réalité. On sous-estime la réaction des capacités de production et le progrès technologique. Je ne crois pas à des pénuries, les hausses de prix sont en particulier une incitation très forte à recycler. "

Il s’agit là en effet d’une différence importante avec la problématique du pétrole : les métaux ont en général un potentiel élevé de récupération et de recyclage. En France, par exemple, ce dernier fournit déjà environ 20 % de l’offre de cuivre et 24 % de celle du zinc. Il n’empêche : la situation est encore loin d’être optimale également sur ce front. " Aujourd’hui, les recycleurs ont du mal à collecter les déchets dont ils ont besoin, explique Christian Hocquard, ingénieur économiste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ils restent limités par la faible rentabilité de la filière et les durées importantes d’immobilisation du métal avant qu’il puisse être recyclé. Pour le cuivre, par exemple, ces durées sont de l’ordre de dix ans dans une automobile, cinquante ans dans une ligne électrique et plus d’un siècle dans une habitation. " Il faudra donc changer beaucoup d’habitudes et de processus pour augmenter significativement le taux de recyclage des métaux. Et pour cela, il faudrait pouvoir compter non seulement sur les signaux de prix envoyés par les marchés, mais aussi sur des politiques publiques nettement plus actives : normes plus contraignantes, taxes, obligations de recyclage...

Zoom Les coûts sociaux et environnementaux de l’exploitation minière

Les interrogations sur la disponibilité future des métaux soulèvent aussi la question des coûts sociaux et environnementaux colossaux liés à leur extraction. Actuellement, 40 % des cours d’eau sont pollués à cause des mines dans l’ouest des Etats-Unis, selon l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA). " Sous la mine de cuivre et d’or de Bingham Canyon, à proximité de Salt Lake City, on trouve même la plus grande pollution recensée au monde d’une nappe phréatique, soit entre 65 et 130 km ", dénonce Alan Septoff, directeur de recherche à Earthworks, association américaine de protection de l’environnement spécialisée sur la question. Autour des mines, les conflits entre compagnies minières et riverains sont souvent violents. Pour sécuriser l’exploitation de sa mine de Grasberg en Indonésie (Papouasie-Nouvelle-Guinée), la plus grande au monde, la compagnie américaine Freeport Mac-Moran n’a pas hésité à payer les militaires pendant plusieurs années, selon le New York Times. En contrebas de cette mine, environ 80 kilomètres carrés d’une zone humide à la biodiversité des plus riches ont été entièrement recouverts par les déchets miniers avec des niveaux toxiques tels que presque tous les poissons ont disparu. Le caractère de plus en plus insupportable de ce type de pratiques devrait contribuer à renchérir le coût d’extraction des métaux à l’avenir. Du moins, il faut l’espérer.

Les marchés comme solution...

Or pour l’instant, quel que soit le pays, la problématique des métaux ne préoccupe guère les pouvoirs publics, contrairement à celle du pétrole. Partout, à quelques exceptions près, ils font exclusivement confiance au jeu des marchés pour régler la question. Aux Etats-Unis, les derniers stocks stratégiques, héritage de la guerre froide, sont en passe d’être vendus (sauf pour le béryllium). En France, il n’en existe plus depuis 1996. " Les métaux étaient alors très disponibles ", rappelle Yveline Clain, spécialiste de la sécurité des approvisionnements en métaux au ministère de l’Economie. Mais, ajoute-t-elle, " si cette question était réexaminée aujourd’hui, elle ne recevrait pas forcément la même réponse... ". Rien ne garantit en effet que, dans ce domaine plus que dans celui des énergies fossiles, le libre jeu des forces du marché suffise à éviter que l’épuisement progressif des ressources minières ne précipite l’économie mondiale dans une crise aux conséquences redoutables.

  • 1. Pour en savoir plus, voir Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), R. B. Gordon, M. Bertram et T. E. Graedel, 31 janvier 2006, vol. 103, n°5, " Metal stocks and sustainability ", www.pnas.org

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