Le nouvel ordre industriel mondial : trois études de cas

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Les secteurs de l'acier, de l'automobile et de l'électronique montrent que l'envolée de la production chinoise ne s'accompagne pas automatiquement du déclin du Nord quand la demande intérieure chinoise suit.

Mais que signifie concrètement, secteur par secteur, le formidable développement industriel de l’Asie, et de la Chine en particulier ? Il faut en effet sortir des chiffres globaux pour apprécier véritablement l’ampleur du bouleversement en cours et ses conséquences pour l’industrie des pays développés. Impossible cependant de prétendre être exhaustif et de passer en revue tous les domaines d’activité. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur trois d’entre eux : la sidérurgie, l’automobile et l’industrie électronique. Parce qu’ils symbolisent les trois âges de la révolution industrielle et permettent d’illustrer des situations très différentes sur le plan des conséquences du décollage asiatique.

1 L’acier

Cet alliage de fer et de carbone est à la base de la révolution industrielle. C’est avec la maîtrise de sa production à grande échelle que tout avait véritablement démarré en Europe au XVIIIe siècle. Et c’est aussi un des domaines où la domination industrielle chinoise est devenue, en un temps record, la plus massive à l’échelle mondiale : en 2005, la Chine a produit 350 millions de tonnes d’acier, soit trois fois plus que ce qu’elle produisait en 2000 et sept fois sa production de 1990. L’Empire du milieu fabrique désormais un tiers de l’acier mondial, deux fois plus que l’Europe, 3,5 fois plus que le Japon et cinq fois plus que les Etats-Unis.

Cette explosion de la production d’acier concourt puissamment à la pression générale sur les prix de l’énergie et des matières premières exercée par la croissance chinoise. Elle a également des effets environnementaux très négatifs au niveau des émissions de gaz à effet de serre. Mais il n’en est jusqu’ici que très rarement question dans le débat public - pourtant nourri - que suscite le développement industriel de la Chine.

Production annuelle d’acier,en millions de tonnes

Pourquoi ? Parce que jusqu’à ces derniers mois, cette explosion de la production chinoise d’acier a correspondu à peu près à la hausse, tout aussi fantastique dans ce domaine, de la demande intérieure chinoise. Du fait en particulier du boom de la construction et de l’automobile. Et en dehors des Etats-Unis et de la Russie, la production d’acier a continué parallèlement de croître presque partout ailleurs. Tant que le marché intérieur suit, la croissance des uns ne fait pas forcément le malheur des autres. Depuis le début 2006, apparaît cependant un excédent important des exportations chinoises. Et le risque est grand que les investissements très importants réalisés en Chine déstabilisent aussi le marché de l’acier à l’avenir.

2 L’automobile

L’automobile a été le produit phare de la seconde révolution industrielle et le symbole des Trente Glorieuses, la période de forte croissance qu’ont connue les pays industrialisés après la Seconde Guerre mondiale. En l’espace de cinq ans, la Chine s’est propulsée au quatrième rang mondial dans ce secteur ; elle dépasse désormais la France et la Corée du Sud. Et ce n’est encore qu’un début.

Nombre de véhicules à moteurs produits chaque année, par zone, en millions

Comme pour l’acier, le boom de l’automobile chinoise est très inquiétant sur le plan écologique : il oblige désormais à revoir à très court terme les modes de transport individuel, compte tenu de la prochaine raréfaction du pétrole et des problèmes liés à l’effet de serre. Mais, comme pour l’acier, cette formidable croissance n’a pas déstabilisé, pour l’instant, la production dans les autres zones. Les exportations de voitures chinoises restent en effet limitées et c’est la demande intérieure qui absorbe l’essentiel de la production supplémentaire.

AuParavant, l’industrie automobile coréenne avait, elle aussi, connu une croissance impressionnante : partant de quasiment zéro en 1980, ce pays est devenu le cinquième producteur mondial l’an dernier. Sans pour autant que la production dans les pays industrialisés diminue. Même si les constructeurs américains sont au plus mal, les Etats-Unis ont en effet produit l’an dernier quasiment 50 % de véhicules en plus qu’il y a vingt cinq ans. Tout en délocalisant une partie de leur production chez leurs voisins immédiats. Mais davantage finalement vers le Canada, qui a produit l’an dernier 2,7 millions de véhicules, que vers le Mexique (1,7 million de véhicules en 2005)...

3 L’électronique

L’industrie électronique est à la base de la " nouvelle économie ", celle du savoir, de l’immatériel et de la communication. Contrairement aux industries étudiées précédemment, elle est née d’emblée à l’âge de la mondialisation et la plupart des produits qui ont émergé dans ce domaine sont devenus immédiatement globaux. C’est aussi l’un des secteurs où la domination asiatique et le déséquilibre entre production et consommation dans cette zone sont les plus marqués. En 2005, selon les chiffres du cabinet de conseil Décision, l’Asie avait produit 67 % de l’électronique grand public mondiale (PC, lecteurs DVD, téléviseurs, lecteurs MP3, appareils photos numériques, téléphones portables...), tout en n’en consommant que 31 %.

La Chine affiche le déséquilibre le plus important, avec 31 % de la production mondiale pour 11 % de la consommation. Contrairement au textile, par exemple, la domination asiatique dans l’électronique ne repose pas uniquement sur les faibles coûts de main-d’oeuvre. Elle est le fruit d’investissements massifs en recherche et développement et de l’accumulation depuis plusieurs décennies d’un savoir-faire technique de pointe dans la région, principalement au Japon, à Taiwan et en Corée du Sud. Avec l’organisation d’une intégration régionale poussée, où les entreprises japonaises, coréennes et taïwanaises ont investi massivement en Chine pour y faire fabriquer leurs produits.

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