Opinion

L’Afrique dans la campagne électorale

3 min
Jean-François Bayart Professeur d'anthropologie et de sociologie à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID)

Le Sommet Afrique-France de Cannes a célébré les adieux diplomatiques de Chirac à un continent dont il a essayé d’être le tribun dans l’arène internationale. Mais comment celui-ci a-t-il pu faire une aussi mauvaise politique avec autant de bons sentiments ? L’interrogation s’adresse d’abord à Ségolène Royal, qui a su trouver des mots justes et chaleureux en voyant dans l’Afrique l’une de ses priorités étrangères : " Nous regarderons d’abord devant notre porte, et je vais vous surprendre : notre porte, c’est l’Afrique. " Il n’empêche, élue, Ségolène se heurterait à la même difficulté que son prédécesseur : le mauvais vouloir du ministère des Finances, qui fait mine de se plier aux injonctions de l’Elysée en haussant les épaules et en comptabilisant dans l’aide publique au développement la remise des dettes commerciales sur l’Irak et le Nigeria, les frais de scolarité des étudiants en France, l’aide aux réfugiés, divers frais administratifs, une part de la coopération culturelle, différents transferts financiers vers l’outre-mer, tout cela pour faire mine d’approcher le seuil symbolique des 0,7 % de notre produit intérieur brut (PIB) que nous avons promis de consacrer à l’aide au développement.

La moitié de cette aide serait fictive et correspondrait à de purs jeux d’écriture. De 1996 à 2001, l’aide réelle bilatérale aurait diminué de moitié et stagnerait depuis autour de 1,7 milliard d’euros. Comment la candidate socialiste entend-elle s’imposer à une administration rétive pour faire mieux que Chirac et surtout que Jospin, et redonner à la France un minimum de visibilité, ne serait-ce que par rapport au Royaume-Uni, dont l’aide s’élève à 3 milliards d’euros ?

Ce problème de gros sous ne saurait occulter d’autres incertitudes. Il est aussi un essoufflement conceptuel de l’aide française, qui a trait à son modus operandi. S’appuyer sur la société civile africaine ? L’exemple des organisations paysannes au Mali montre que cette dernière devient vite une machine de pouvoir et d’accumulation. Renoncer aux interventions militaires ? Il faut alors accepter que le conflit du Darfour emporte dans sa tourmente le Tchad et la Centrafrique. Et défendre ce choix face à l’opinion, en ne la berçant pas d’illusions sur le " renforcement des capacités africaines de maintien de la paix ".

" Tourner la page des complaisances, des officines, des secrets et des ambiguïtés ", comme nous y invite Nicolas Sarkozy ? Le propos ferait moins sourire s’il n’était pas d’abord dirigé contre les chiraquiens et s’il ne venait pas d’un homme qui a hérité de l’empire de Charles Pasqua dans les Hauts-de-Seine, et dont Martin Bouygues et Vincent Bolloré sont des proches. Il manque à la France une vraie vision politique qui assume son passé, sans pour autant se dissimuler les impératifs de la globalisation. Comme l’a mieux compris Royal que Sarkozy, la question de l’immigration est l’une de ses clefs d’accès. Pas facile à " vendre " électoralement...

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