Mauvais calcul sur le chômage

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L'Insee a décidé de reporter à l'automne 2007 la publication des résultats 2006 du chômage, du fait d'anomalies de mesure. Une erreur politique.

Comment y voir clair dans les statistiques du chômage ? Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE a spectaculairement diminué depuis le point haut de mai 2005, passant de 3,9 millions de personnes à un peu moins de 3,4 en décembre 2006, toutes catégories confondues1.

Poudre aux yeux, avance le collectif ACDC (Autres chiffres du chômage) : la fonte des effectifs depuis deux ans " résulte non pas du retour à l’emploi des chômeurs, mais des pressions de plus en plus fortes qui aboutissent à les exclure des listes de l’ANPE ", estime-t-il2. C’est le résultat des radiations administratives, des arrêts de recherche ou des défauts d’actualisation. Les radiations administratives sont effectuées lorsqu’un demandeur d’emploi ne se présente pas à une convocation sans motif valable (maladie, par exemple) ou à titre de sanction (refus non motivé d’une proposition d’emploi, par exemple). Or, depuis 2006, l’ANPE a mis en place un suivi mensuel des demandeurs d’emploi, ce qui se traduit par des convocations beaucoup plus fréquentes, donc par des absences - puis des radiations - également plus fréquentes.

Les défauts d’actualisation correspondent à des personnes qui n’ont pas signalé leur situation à la fin du mois dans les délais requis : oubli, indisponibilité... ; les causes en sont multiples. Une partie se réinscrivent le mois suivant, mais une autre partie abandonne, estimant que le jeu n’en vaut pas la chandelle : ce sont les arrêts de recherche, qui peuvent d’ailleurs être temporaires (congés maladie, entrées en stage de formation...).

27 000 sortants

Or, de fait, entre la période juin 2003-septembre 2004 (six trimestres de montée du chômage) et la période juin 2005-septembre 2006 (six trimestres de baisse du chômage), l’enquête trimestrielle qu’effectue l’ANPE sur " les sortants des listes "3 montre que, si le nombre mensuel moyen de sorties a progressé de 27 000, celui des reprises d’emploi n’a progressé que de 15 000 (180 000 par an). Pour près de moitié, les sorties sont liées à un accroissement des radiations, des défauts d’actualisation ou des arrêts temporaires de recherche. Le contrôle plus strict et, sans doute, la mauvaise qualité de certaines propositions d’emploi faites aux demandeurs ont indéniablement découragé nombre de personnes. ACDC a donc partiellement raison, même s’il y a bien une reprise de l’emploi confirmée par les chiffres publiés par le ministère de l’Emploi le 19 février dernier (+ 142 000 emplois marchands).

Traditionnellement, l’enquête emploi de l’Insee, effectuée chaque trimestre auprès de 75 000 ménages, jouait les juges de paix. Car elle mesure le nombre des chômeurs à partir non pas des listes de l’ANPE, mais de la définition préconisée par le Bureau international du travail (BIT) : être sans emploi, à la recherche effective d’un emploi et disponible dans les quinze jours pour occuper celui qui pourrait se présenter. Même radiée par l’ANPE, une personne qui cherche un emploi est donc prise en compte au titre des chômeurs par l’Insee.

Chercher l’erreur

A partir des résultats de ces enquêtes trimestrielles, l’Insee calcule les coefficients de passage qui permettront, chaque mois, de déterminer le taux de chômage au sens du BIT à partir du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie 1, 2 et 3 n’ayant pas effectué d’activité réduite, et sans attendre les résultats annuels de l’enquête. Ainsi, depuis avril 2006, les taux de chômage publiés chaque mois par le ministère de l’Emploi (8,6 % en décembre 2006) sont des chiffres provisoires issus des coefficients de passage calculés l’an dernier à partir des enquêtes emploi 2005. Les résultats de 2006 devaient donc servir à les corriger et à calculer les nouveaux coefficients qui seront appliqués à partir d’avril 2007.

Or l’Insee vient d’annoncer que les résultats 2006 (donc les corrections des taux de chômage provisoires depuis avril 2006) seraient repoussés à l’automne prochain, en raison d’un taux qui serait anormalement élevé de non-réponses à l’enquête, particulièrement en Ile-de-France, réduisant la fiabilité des résultats. Le taux de chômage du troisième trimestre mesuré par l’enquête atteint 9,2 %, contre 8,9 % annoncés par le ministère de l’Emploi à partir des coefficients de passage provisoires pour chacun des mois de 2006. Ce qui serait logique : les sorties de liste ANPE non dues au retour à l’emploi s’étant gonflées, le coefficient de passage calculé à partir des enquêtes emploi de 2005 tend à accentuer la baisse du taux de chômage. Avec des scrupules scientifiques qui l’honorent, l’Insee a estimé que, avant de relever les coefficients de passage, donc le taux de chômage " officiel ", il fallait vérifier si cela ne provenait pas de l’accroissement du taux de non-réponses à l’enquête, car celles-ci proviennent plutôt de personnes en emploi, plus difficiles à joindre par téléphone : l’accroissement du taux de chômage pourrait donc n’être qu’apparent. D’où la nécessité d’attendre les résultats des enquêtes du premier et deuxième trimestres 2007, pour lesquelles un effort particulier de relance sera fait pour réduire le taux de non-réponse.

Les sorties des listes de l’ANPE selon les motifs

Sage sur le plan scientifique, cette décision ne l’est pas sur le plan politique. Elle donne le sentiment que l’Institut a cédé aux injonctions gouvernementales, qu’une réévaluation à la hausse du taux de chômage ne peut évidemment pas réjouir. Le juge de paix serait-il en réalité sous la botte du pouvoir, s’interroge-t-on à gauche ? Aussi la position d’ACDC qui, dans une lettre ouverte au directeur de l’Insee, demande " de publier sans tarder le taux de chômage mesuré par l’enquête emploi de 2006, en l’assortissant éventuellement de fourchettes (...) éventuellement plus larges pour 2006 que pour les années précédentes (...) " serait, sans l’ombre d’un doute, un bon compromis. A défaut, le soupçon risque de grandir.

  • 1. Il existe six catégories de demandeurs d’emploi, selon la nature de l’emploi recherché (en CDI ou en CDD, à temps plein ou à temps partiel) et le nombre d’heures éventuellement travaillées durant le mois (moins ou plus de 78 heures). Les catégories 4 (demandeurs en formation) et 5 (personnes en emploi recherchant un autre emploi) ne sont pas prises en compte ici. La catégorie 1 (recherche d’un CDI à temps plein par des demandeurs d’emploi ayant travaillé moins de 78 heures dans le mois) est la plus fréquemment commentée. Durant la période qui nous intéresse, elle a également diminué, passant de 2,5 à 2,1 millions.
  • 2. Dans sa note n°2, en ligne sur http://acdc2007.free.fr
  • 3. La dernière publiée date de septembre 2006.

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