Relance ou rigueur ?
Le projet de
Qui croire ? D’un côté, la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, annonçait un plan de rigueur et le Premier ministre, François Fillon, déclarait l’Etat en faillite. De l’autre, les proches conseillers du Président récusent ces termes et estiment que c’est en créant de la croissance que la France arrivera à rééquilibrer ses comptes, et non l’inverse. Nicolas Sarkozy lui-même affirme haut et fort son refus de mener une politique d’austérité et de " sacrifice " et fustige la " culture du rationnement comptable ". Il retrouve même parfois les accents de cette " autre politique " dont Henri Guaino, sa " plume ", était un des chantres dans les années 90.
A l’époque, la France s’imposait une cure d’austérité pour entrer dans le corset des critères de Maastricht, tandis qu’un groupe d’irréductibles fustigeait la " pensée unique " - comprendre l’orthodoxie budgétaire et monétaire - et invitait les gouvernements à relancer une économie française anémiée par un régime trop austère. Une politique à laquelle les gouvernements se sont refusés, car il y allait alors de la stabilité du franc et de l’entrée du pays dans l’euro.
Aujourd’hui, grâce précisément à l’euro, les libertés vis-à-vis d’une gestion rigoureuse se paient moins cher que par le passé. A présent, ce n’est " que " l’influence européenne de la France qui est en jeu quand le Président fustige la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) et fait passer ses promesses de campagne devant l’assainissement budgétaire promis à Bruxelles.
Certes, le budget 2008, tel qu’il est présenté, sauve les apparences. Le déficit prévu s’élève à 41,7 milliards d’euros, soit 2,3 % du produit intérieur brut (PIB), en léger repli par rapport au projet de loi de finances 2007. La dette publique affiche, elle aussi, une diminution symbolique de 64,2 % à 64 %. Le gouvernement peut ainsi plaider devant ses partenaires européens qu’il continue, à petits pas, sur la voie du rééquilibrage de ses finances publiques.
Mais les objectifs sont modestes au regard des promesses faites à Bruxelles en 2006 par le précédent gouvernement. Le programme de stabilité de la France s’engageait alors à réduire son déficit à 1,9 % du PIB dès 2008 (avec une hypothèse de croissance à 2,25 %) pour parvenir à l’équilibre en 2010. Dans le nouveau programme élaboré en septembre, cet objectif est repoussé à 2012.
Le budget de la France tranche aussi avec celui de ses partenaires européens. La plupart des pays de la zone euro ont profité du regain de la croissance pour revenir à l’équilibre ou s’en rapprocher. Ainsi l’Allemagne, qui enregistrait un déficit supérieur à celui de l’Hexagone en 2005, prévoit un retour à l’équilibre en 2008.
Des objectifs peu crédibles
Tout le problème est que les objectifs affichés par la France, même modestes, ne sont guère crédibles. Pour compenser les cadeaux fiscaux octroyés en juillet et estimés à 8,9 milliards pour 2008 (et à 14 milliards " en régime de croisière "), l’évolution annoncée des dépenses s’élève à 1,6 % seulement, soit le même rythme que l’inflation projetée, ce qui correspond donc à une stagnation en volume. Du jamais vu ! Presque tous les ministères sont mis au régime sec. Seul celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et celui de la Justice bénéficient d’une hausse de leurs crédits.
Or, depuis le début de la décennie, les objectifs de maîtrise de la dépense publique n’ont jamais été respectés. Nicolas Sarkozy veut-il réellement imposer une austérité aussi drastique ? Ce serait en contradiction avec ses discours contre la politique de sacrifice. C’est pourquoi un certain scepticisme entoure l’objectif d’un déficit à 2,3 % du PIB. En tablant sur une progression des dépenses de 2 %, équivalente à celle des années précédentes, l’OFCE prévoit 3,1 % de déficit public en 2008. Et ce, avec une hypothèse de croissance résolument optimiste de 2,6 %, à laquelle le budget expansionniste contribue d’ailleurs quelque peu. Mais le dérapage pourrait être aussi brutal si la croissance n’est pas au rendez-vous. L’hypothèse pessimiste présentée par le rapporteur du projet de loi de finances, Gilles Carrez, aboutit au même déficit de 3,1 % l’an prochain, avec une hypothèse de 2 % de croissance, contre 2,25 % dans le scénario central du gouvernement. Or la plupart des prévisionnistes tablent aujourd’hui sur une croissance à 2 % en 2008.
Une efficacité faible
Quelle est, au final, l’intention politique à l’oeuvre derrière ce projet de loi de finances plutôt restrictif sur le papier, mais sans doute expansionniste à l’arrivée ? L’interprétation la plus favorable est que ce budget lâche opportunément un peu de lest du côté du pouvoir d’achat avant d’engager un programme ambitieux de réformes structurelles. " Ce n’est pas très différent de ce qu’a fait l’Allemagne en 2002-2003 ", plaide Gilles Moec, économiste à la Bank of America, " et le bilan est plutôt positif cinq ans après ". Et de souligner qu’à l’époque, le gouvernement Schröder menait de douloureuses réformes structurelles, tempérées par une politique budgétaire accommodante.
Manière de rappeler que politique conjoncturelle et réformes de structure se complètent plus qu’elles ne s’opposent. Le soutien de la demande crée un contexte favorable pour la réussite d’une politique de l’offre. Reste que ce budget n’est très efficace sur aucun des deux fronts (voir notre entretien ci-dessous. Selon une lecture plus sévère, il s’agirait d’un budget pour rien, d’un coup d’épée dans l’eau qui vise simplement à enjamber les municipales. La contradiction des discours au sein même de l’exécutif ne serait finalement que le signe d’une incohérence entre les cadeaux fiscaux octroyés cet été et la nécessaire maîtrise de la dette publique. Elle se soldera alors tôt ou tard par un douloureux serrage de vis.