La fin sans les moyens

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De multiples mesures sont envisagées pour fortifier la croissance, mais l'Etat manque de moyens pour financer les réformes.

Marché du travail, régimes spéciaux de retraite, financement de l’assurance maladie, représentativité syndicale, universités, Grenelle de l’environnement..., on ne compte plus les chantiers de réformes ouverts par le gouvernement. Il veut être présent sur tous les fronts pour profiter de l’élan impulsé par l’élection présidentielle.

Zoom Les leviers de la croissance

Un récent rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) sur " Les leviers de la croissance française " en identifie quatre principaux et essaie d’en évaluer la portée. A court terme, le levier le plus efficace est la mobilisation de la population en âge de travailler. Une politique d’augmentation de l’offre de travail pourrait élever le potentiel de croissance d’un demi-point dans les cinq ans à venir. Mais pour ce faire, deux autres grands chantiers sont complémentaires : la libéralisation du marché des biens et des services, afin de créer des emplois dans les secteurs aujourd’hui protégés (grande distribution, pharmacies, taxis...) et la réforme du marché du travail, pour favoriser le rapprochement de l’offre et de la demande.

L’impact des réformes sur la croissance potentielle, selon les économistes du CAE

A long terme, un regain de croissance ne peut venir que des progrès de la productivité. A cet égard, l’effort en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche est décisif. Au total, les auteurs évaluent à un point environ l’amélioration de la croissance à attendre de ces réformes.

Sur la méthode, le Président paraît avoir étudié les déboires d’Alain Juppé en 1995 et semble décidé à éviter un hoquet de l’histoire. Nicolas Sarkozy prend bien soin de faire en sorte que le calendrier de réformes ne favorise pas une coalition des oppositions. Et le gouvernement commence par les mesures susceptibles d’engendrer de la croissance et du pouvoir d’achat à court terme. C’est le cas des baisses d’impôts et de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, ou de la libéralisation du secteur de la grande distribution proposée par la commission Attali et le Conseil de la concurrence et que le gouvernement pourrait mettre en oeuvre très rapidement. Même si les bénéfices attendus sont sans doute très surévalués, dans un pays qui compte déjà le plus grand nombre de mètres carrés de grandes surfaces par habitant, elle donnera un peu d’air à la croissance. De quoi créer un contexte favorable aux réformes plus complexes et de plus longue haleine comme celle du marché du travail.

Sur le fond, tous les dossiers identifiés comme des freins à la croissance par les rapports successifs sont sur la table. La majorité des économistes s’accordent désormais sur un diagnostic minimum : la faiblesse des taux d’emploi aux deux extrémités de la vie active traduit une mobilisation insuffisante de l’offre de travail ; la persistance du chômage, sa coexistence avec des offres d’emploi non satisfaites, la faible mobilité des travailleurs témoignent d’un fonctionnement défectueux du marché du travail ; le tissu productif manque d’entreprises de taille moyenne capables de prendre pied rapidement sur de nouveaux marchés ; l’effort d’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche est notoirement insuffisant pour un pays développé dont les sources d’activité future dépendent de ses capacités d’innovation... On pourrait sans doute encore allonger la liste.

Tout et son contraire

Si un certain consensus s’établit sur le diagnostic général, il se fissure dès que l’on aborde les mesures concrètes. Exemple : comment mobiliser la main-d’oeuvre ? Le gouvernement privilégie la durée hebdomadaire du travail, mais cet objectif n’est pas forcément cohérent avec celui, beaucoup plus déterminant, d’augmenter les taux d’emploi (voir page 66). Comment réformer le marché du travail ? Le Président paraît attaché à l’idée d’un contrat unique, mais cette idée faussement simple se heurte à nombre d’écueils 1. La mobilité suppose aussi que le salarié qui quitte un emploi soit assuré d’en retrouver aisément un autre convenable, ce qui suppose des réformes de structure bien plus profondes que la seule fusion ANPE-Unedic (voir page 36). Comment concilier défense du pouvoir d’achat et préservation de l’environnement ? Pendant que le Grenelle de l’environnement réfléchit à la manière d’intégrer le coût environnemental aux prix de nos consommations, la commission Attali préconise de supprimer toutes les régulations du secteur de la grande distribution pour faire baisser les prix, sans tenir compte de l’impact environnemental d’une multiplication des grandes surfaces... Quand le Grenelle cherche à limiter les transports, la commission Attali propose la création de dix villes nouvelles...

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Le coût des réformes

Le gouvernement devra rapidement trancher entre les options et les intérêts contradictoires, sauf à entretenir un battage d’idées qui ne serait que l’illusion de la réforme. Mais pour faire les bons arbitrages et des compromis acceptables, le volontarisme ne suffira pas. Il faudra aussi des sous, car la mise en oeuvre des réformes a un coût. Un des mérites du récent rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) sur les leviers de la croissance (voir graphique page 11) est d’en proposer un chiffrage 2. Même approximatif, l’exercice est éclairant. L’estimation des auteurs est plutôt modeste comparée, par exemple, à celle proposée par Charles Wyplosz et Jacques Delpla dans leur ouvrage La fin des privilèges. Payer pour réformer. Il faut dire que ces deux économistes partent de l’hypothèse que la France ne pourra se réformer sans " racheter les rentes ", autrement dit, sans indemniser toutes les pertes d’avantages acquis. Coût de l’opération : 7,6 % du produit intérieur brut (PIB) pour la seule réforme des retraites !

Les économistes du CAE récusent cette approche trop coûteuse à leurs yeux et porteuse d’une infinité de revendications. Leur chiffrage du coût budgétaire annuel des réformes s’élève malgré tout à 0,4 point de PIB immédiatement et 1,3 point d’ici à cinq ans (en optant pour une mise en oeuvre rapide qui se rapproche des intentions du Président). Ce coût se partage en deux parties à peu près équivalentes entre la réforme de l’enseignement supérieur et celle du marché du travail (réforme de l’assurance chômage et mise en place de la flexisécurité). Pour comprendre ce chiffre, il faut rappeler que la France affectait 2,2 % de son PIB à sa politique de l’emploi en 2005, quand le Danemark, qui compte proportionnellement deux fois moins de chômeurs, y consacrait 4,5 %.

Au bout de combien de temps peut-on espérer amortir ce coût ? Pour les auteurs, ce surcroît de dépenses publiques - à caractère permanent pour la plupart - deviendra neutre pour les finances publiques à l’horizon de cinq années. Ce n’est qu’au-delà qu’il produira des effets positifs sur l’équilibre budgétaire.

A la lumière de cette évaluation, l’hypothèse d’un retour à l’équilibre des finances publiques à l’horizon 2012 paraît bien hasardeuse. Et ce d’autant que le paquet fiscal a déjà épuisé l’essentiel des marges de manoeuvre de la politique budgétaire. A moins que l’on pense que les réformes puissent être menées sans coût et produire leurs effets instantanément. Par la seule magie du verbe présidentiel...

  • 1. Voir " Faut-il réformer le contrat de travail ", Alternatives Economiques n° 256, mars 2007, disponible dans nos archives en ligne.
  • 2. " Les leviers de la croissance française ", par Philippe Aghion, Gilles Cette, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, CAE, 2007.
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