Derrière l’affaire UIMM

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Le scandale des retraits inexpliqués de Denis Gautier-Sauvagnac souligne l'urgence de modifier les règles qui régissent le financement et la représentativité des syndicats.

Le 24 septembre dernier, la cellule Tracfin* transférait au parquet de Paris un dossier concernant des mouvements suspects sur différents comptes en banque détenus par l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), principale fédération patronale de l’industrie. En ligne de mire, Denis Gautier-Sauvagnac, son président désormais démissionnaire, accusé d’avoir multiplié des retraits en liquide entre 2000 et 2007 pour un montant global approchant les 24 millions d’euros, sans que la destination de cet argent ne soit connue. Or, le code monétaire et financier oblige les banques à déclarer à Tracfin ce type de mouvement de fonds.

L’ex-président de l’UIMM a dans un premier temps refusé de répondre de l’usage des fonds disponibles sur les comptes de son organisation, puisque l’UIMM, comme toute organisation syndicale, qu’elle rassemble des patrons ou des salariés, est régie par la loi de 1884. Un texte qui exonère ces organisations de toute contrainte en matière de reddition des comptes, contrairement aux sociétés ou aux associations. L’UIMM n’a donc pas à justifier publiquement l’usage des fonds qu’elle collecte auprès de ses adhérents, aussi longtemps que ceux-ci font confiance aux dirigeants qu’ils se sont librement donnés.

Reste qu’il est surprenant de découvrir que cet ancien énarque, membre de l’éminent corps de l’inspection des Finances, ayant exercé de hautes responsabilités à Paris et à Bruxelles et dirigé d’importantes entreprises, pouvait ainsi jongler en permanence avec des valises de " fraîche ", comme on dit dans le milieu ! Soyons clairs, nul ne soupçonne Denis Gautier-Sauvagnac de s’être enrichi personnellement sur le dos de ses adhérents ou de financer le terrorisme ! Son prédécesseur, Daniel Dewavrin, a d’ailleurs témoigné en sa faveur, confirmant que ces pratiques étaient anciennes et faisaient partie du quotidien de l’institution. Au vu des sommes évoquées, elles seraient même selon lui plutôt en régression...

Caisse antigrève

A en croire le quotidien Les Echos en date du 19-20 octobre dernier, une partie du trésor de guerre de l’UIMM, évalué à plus de 290 millions d’euros plus-values non comprises, constitue une caisse de solidarité antigrève, mise en place en 1947 et réactivée après les événements de mai 1968. L’objectif était alors d’aider les entreprises confrontées à une grève dure à résister aux demandes syndicales. Les sommes retirées par Denis Gautier-Sauvagnac auraient eu également, selon ce dernier, une autre destination : elles auraient servi à " fluidifier les relations sociales ". Un terme élégant pour dire que le patronat aiderait ainsi certains syndicats de salariés à boucler leurs fins de mois. L’accusation ne manquera pas d’alimenter le soupçon de " tous pourris " déjà répandu dans la population. Comment un syndicat peut-il défendre de manière crédible les salariés si, parallèlement, il reçoit des financements occultes de la partie adverse ?

Bien entendu, toutes les organisations syndicales ont protesté de leur vertu et il n’est pas sûr qu’on ait un jour le fin mot de l’affaire. Ce scandale souligne cependant l’urgence de remettre à plat les règles qui régissent le financement des organisations syndicales, mais aussi leur représentativité. Le syndicalisme français se caractérise en effet depuis toujours par le faible nombre de ses cotisants, ce qui l’incite à chercher ailleurs une grande partie de ses moyens de fonctionnement.

Cette difficulté structurelle pourrait être compensée de manière transparente par des modes de financement analogues au régime mis en place pour les partis politiques après les affaires qui fleurirent durant les années 80 et 90. L’Etat ou les entreprises verseraient une somme forfaitaire à chaque organisation en fonction des résultats obtenus lors des scrutins professionnels, élections des représentants du personnel ou élections prud’homales. Une jurisprudence récente de la cour de Cassation vient d’ailleurs d’avaliser un mécanisme de ce type dans le secteur de l’artisanat du bâtiment.

Règles d’un autre âge

Il faut aussi parallèlement modifier les règles qui définissent la représentativité des organisations. Aujourd’hui, en vertu de règles héritées d’un autre âge, destinées notamment à éviter l’émergence de syndicats " bidons ", un syndicat n’est représentatif que s’il est reconnu comme tel par les pouvoirs publics. Une fois acquise, cette reconnaissance lui confère cependant la capacité de conclure des accords engageant tous les salariés, indépendamment de son nombre d’adhérents ou des résultats électoraux qu’il obtient. Jusqu’à récemment, la signature d’un seul syndicat reconnu comme représentatif suffisait en effet à valider un accord d’entreprise ou de branche ou un accord interprofessionnel, même si ce syndicat était très minoritaire dans le champ concerné. Cette règle conférait à certaines organisations - la CFTC, la CGC et, dans une moindre mesure, FO -, une importance dans le jeu contractuel qui dépassait largement leur poids réel. Ces petites organisations peuvent ainsi faire la courte échelle au patronat ou servir de force d’appoint pour constituer des majorités de circonstances, une situation qui ne peut manquer de faire naître des soupçons sur d’éventuelles contreparties.

Les élections aux comités d’entreprise

Depuis longtemps, les deux principales confédérations syndicales, la CGT et la CFDT, réclament que seuls les accords signés par des organisations représentant une majorité des salariés concernés soient considérés comme valables. En 2004, une loi avait institué un droit d’opposition : si trois des cinq organisations considérées comme représentatives au plan national s’opposaient à un accord signé par une ou deux autres, celui-ci perdait sa validité. Mais cette procédure lourde et difficile à mettre en pratique ne réglait pas la question de fond : l’illégitimité fondamentale d’accords signés par des organisations minoritaires.

Depuis janvier 2007, la loi impose que toute réforme concernant le droit du travail soit d’abord négociée entre les partenaires sociaux. Le gouvernement ne peut légiférer qu’après une telle négociation. Denis Gautier-Sauvagnac était précisément le chef de file du patronat dans les négociations en cours dans ce cadre sur les questions du marché du travail. Une telle règle, qui rappelle les normes en vigueur en Allemagne ou dans les pays scandinaves, n’a cependant de sens que si elle est mise en oeuvre par des interlocuteurs dont la légitimité et l’indépendance sont incontestables. Ce changement institutionnel majeur ne fait que renforcer l’urgence de modifier les règles qui régissent le financement et la représentativité syndicale.

Zoom Pourquoi maintenant ?

Pourquoi cette affaire sort-elle aujourd’hui alors que les faits reprochés à Denis Gautier-Sauvagnac sont connus depuis des années ? Il avait fallu attendre 2004 pour que BNP Paribas signale à Tracfin les mouvements observés sur le compte de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), une démarche dont Michel Pébereau, le président de la banque, a très probablement eu connaissance compte tenu de la nature du client. Mais c’est seulement trois ans plus tard que l’affaire éclate, à l’initiative de Christine Lagarde, nouvelle ministre de l’Economie. En fait, la domination de l’UIMM est de plus en plus contestée au sein du monde patronal, comme en témoigne l’élection de Laurence Parisot à la tête du Medef, avec le soutien des fédérations des services. Et le hasard fait bien les choses, puisque nombreux sont ceux, au sein de l’Etat, qui veulent tourner la page du patronat de papa. Car ce que traduisent les enveloppes de billets de l’UIMM, c’est ce sentiment de toute puissance et d’impunité qui a longtemps habité le patronat français. Un patronat qui pense que le pouvoir de l’argent lui permet d’acheter les syndicats, les partis ou les parlementaires. Une démocratie sociale moderne suppose que chacun soit à sa place, en toute indépendance, même si tout compromis entre dominants et dominés se fait toujours sur le terrain choisi par les premiers.

* Tracfin

Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, organe de Bercy qui surveille le blanchiment d'argent sale.

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