Objectif croissance ?

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Maintenant que le rapport de la commission Attali 1 - pour " libérer la croissance française " - a été rendu, je dois avouer que j’ai poussé un énorme soupir de soulagement. De n’avoir pas été sollicité pour y siéger. Heureusement, loin de Paris, du pouvoir et des lieux où l’on brille, collaborateur d’un journal catalogué gauchiste par ceux qui ne le lisent pas, n’étant ni homme d’affaires ni homme d’influence et encore moins intellectuel de haute volée, détestant les dîners en ville et ne portant pas de talonnettes pour compenser ma petite taille, il n’y avait aucun risque que l’on me sollicite. Et j’en suis bien aise.

Pas seulement parce que cela m’a évité d’avoir à échanger des amabilités convenues avec tel ou tel membre, avec lequel je ne me sens pas d’affinités particulières, même si, parmi les 44 membres de cette commission, j’en connais plusieurs avec qui j’aurais eu plaisir à être, leurs idées et leurs analyses me paraissant stimulantes.

En réalité, si j’avais siégé dans cette commission, il m’aurait fallu assumer la philosophie implicite du rapport. Et j’aurais eu alors un énorme problème. Qu’on se comprenne bien. Une partie importante des " 300 propositions " me paraît de bon sens, qu’il s’agisse par exemple de lutter contre l’échec scolaire, de rémunérer les chômeurs en formation, de développer l’emploi des seniors, d’accroître le nombre d’ingénieurs formés dans les grandes écoles ou même d’ouvrir les professions réglementées : si les pharmaciens, les taxis ou les notaires défendent l’organisation actuelle de leur profession, c’est à leurs marges qu’ils pensent, autant qu’à l’intérêt général.

Je suis un peu plus réservé sur l’idée de réduire les cotisations sociales salariales au profit d’une augmentation de la TVA : cela équivaut en fait à dévaluer l’euro en France au détriment de nos partenaires européens 2, donc à tenter de résoudre nos difficultés sur leur dos. La suppression des départements me paraît un objectif quasi inatteignable, pour des tas de raisons qui ne sont pas toutes électoralistes ou politiciennes, mais c’est un échelon administratif qui, clairement, complexifie la décentralisation plus qu’il ne la facilite. Et il est bon que cette proposition soit lancée, même si c’est à la façon d’un pavé dans la marre, ce qui n’est pas la meilleure façon de la faire avancer. Quant à la mise sous condition des allocations familiales, mieux vaudrait les intégrer dans le revenu imposable plutôt que de créer un effet de seuil supplémentaire.

Ce qui me pose vraiment problème, c’est l’idée que la santé, le bien-être, voire le salut de la société française passent par une croissance plus forte et que libéralisation et déréglementation soient justifiées uniquement par cet objectif. Les lois qui régissent aujourd’hui l’installation et les politiques de prix des grandes surfaces sont à l’évidence génératrices de rentes assez scandaleuses. Il est possible qu’une concurrence accrue permette de réduire les prix de vente de 4 % dans la grande distribution (encore que cela me paraisse bien optimiste). Mais au prix de zones commerciales encore plus grandes ? De voitures encore plus nombreuses ? De publicité encore plus envahissante ? Ne vaudrait-il pas mieux taxer les rentes, les coûts sociaux et la surconsommation d’énergie dont ce type de distribution est responsable ? Et réduire les inégalités, génératrices d’envies et de frustrations, ressorts importants du " gaspillage consumatoire " ?

Et pourquoi, quand il est question de rentes, ne jamais aborder les rentes foncières, qui poussent le prix des logements sans cesse vers le haut et engendrent l’étalement urbain, source essentielle de gaspillage énergétique ? Parce que cela impliquerait soit de les taxer, soit de socialiser les sols, des solutions interventionnistes qui ne sont pas dans l’air du temps. Alors, on préfère parler de " villes nouvelles ". Bref, la commission Attali n’aborde pas le projet de société - on dit aujourd’hui " politique de civilisation ", c’est plus tendance - qui nous paraît souhaitable. Alors que le Président lui-même admet que croissance et bien-être ne sont plus synonymes, la commission Attali présente la croissance comme une fin en soi, qui justifie tout le reste. Est-ce bien raisonnable ? 5

  • 1. Il est de règle qu’un rapport demandé par les autorités publiques ne fasse pas l’objet de droits d’auteur quand il est publié et qu’il soit librement accessible en ligne. Ce rapport est téléchargeable depuis le 23 janvier en format PDF sur www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000041/index.shtml
  • 2. Puisque les taxes sur les importations seront relevées d’autant : si le taux de change de l’euro vis-à-vis des autres monnaies diminuait dans les mêmes proportions, cela reviendrait au même... sauf pour les échanges entre pays ayant l’euro pour monnaie.

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