Finance

La finance, d’Adam Smith à Hyman Minsky

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Adam Smith n’est pas toujours le libéral que l’on croît : il était en effet un partisan de la régulation des taux d’intérêt... dans le cas où ils montent trop haut. Car seuls les risque-tout voudront alors emprunter et, comme les banques leur prêteront, il s’en suivra une détérioration de la qualité du crédit qui portera préjudice à la santé du système bancaire, fragilisant l’économie. Les liens entre banques, qualité du crédit et crises financières font donc partie des préoccupations des économistes depuis longtemps. François Quesnay partageait d’ailleurs la conviction de Smith d’une nécessaire régulation de la finance, en particulier du crédit, afin de s’assurer qu’il ne sert pas l’enrichissement par la spéculation.

Turgot se chargera de contrer les arguments de Quesnay, en arguant qu’une limitation des taux d’intérêt limite l’épargne et donc l’investissement. Jeremy Bentham portera de son côté la contradiction à Adam Smith, dans son ouvrage sur la Défense de l’usure, avec les mêmes arguments que Turgot, mais sans qu’aucun des deux ne réponde à l’argument de Smith sur les risques liés à la dégradation de la qualité du crédit.

Au début du XXe siècle, Thorstein Veblen présente un mécanisme de bulle financière qui rappelle beaucoup celles survenues dans la nouvelle économie et l’immobilier : les banques prêtent contre des garanties (une maison, un portefeuille boursier) et les prêts sont utilisés pour investir en Bourse ou dans l’achat de logements, ce qui pousse leur prix à la hausse et permet d’obtenir de nouveaux crédits, etc. Veblen voyait se jouer là une bataille entre les " capitaines de la finance " et les industriels, au détriment de ces derniers, marginalisés par une course au rendement financier.

La crise de 1929 sera l’occasion de nouvelles analyses et notamment celles d’Irving Fisher, trois fois marqué par cette crise. D’abord, parce qu’il avait annoncé juste avant son déclenchement que la Bourse américaine avait atteint un haut plateau durable. Ensuite, parce qu’il y a perdu toute la fortune de sa soeur. Enfin, parce que l’épisode lui suggérera sa théorie de la déflation par la dette : un faible niveau des taux d’intérêt entraîne une montée de l’endettement, qui se termine en surendettement. C’est un parfait résumé de la situation de nombreux ménages américains d’aujourd’hui. Chacun cherche alors à vendre ses actifs pour se désendetter, ce qui entraîne une baisse du prix des actifs (actions, immobilier, etc.), qui finit par se transmettre aux prix des biens, ce qui accroît la valeur réelle (une fois l’inflation prise en compte) des dettes. Ainsi, plus on cherche à se désendetter, plus la dette réelle augmente, entraînant finalement la faillite et un coup dur pour la croissance.

De son côté, John Maynard Keynes insistera sur la psychologie des intervenants sur les marchés financiers. Plutôt que de placer l’épargne dont ils ont la charge en fonction des évolutions fondamentales des entreprises ou des pays, ils préfèrent faire comme ce qu’ils pensent être le comportement de la majorité des autres intervenants. Un tel comportement mimétique se comprend à l’échelle individuelle : le problème de celui qui opère sur les marchés financiers est de savoir comment les autres opérateurs vont réagir à un événement donné. S’il anticipe correctement cette réaction, il gagnera de l’argent car il aura deviné avant les autres les variations de prix. Et peu importe que cela se traduise pour l’ensemble du marché par la formation de bulles spéculatives ou des risques de krach.

Plutôt que le nom de Keynes, c’est celui de Hyman P. Minsky qui se retrouve le plus souvent cité en ce moment. Cet Américain d’origine russe a développé ses théories sur l’instabilité financière dans les années 60 et 70. Il la définit comme un processus par lequel se produisent des changements de plus en plus rapides des prix des actifs financiers par rapport à ceux de l’économie réelle. Les innovations financières en sont la cause et, paradoxalement, elles ont d’autant plus un rôle déstabilisateur que l’économie se porte bien, car les périodes d’euphorie encouragent le recours à de nouveaux produits et la prise de risque. Une belle description des évolutions de ces dernières années.

" La vision de Minsky est assez inquiétante, explique la chercheuse Anastasia Nesveitailova de City university à Londres. Elle suggère que laissée à elle-même, la finance est intrinsèquement instable. De plus, pour Minsky, l’instabilité ne se conforme pas à un modèle unique mais dépend des caractéristiques historique, sociale, politique des différents capitalismes. On ne peut donc la prévoir. Minsky avait une vision pessimiste de la finance : il insistait sur son instabilité et son imprévisibilité plutôt que sur l’optimalité des marchés financiers. "

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