Opinion

Ne pas sacrifier l’épargne longue

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Patrick Artus Directeur de la recherche et des études de Natixis

Certaines sources d’épargne longue en France semblent menacées : la participation et l’intéressement, dont une partie pourrait être versée immédiatement aux salariés ; le Fonds de réserve des retraites, censé préparer le financement des retraites de demain, dont on évoque la suppression... Il y a certes une logique à ces mesures initiées par le gouvernement : le souci de soutien des salaires et de la demande explique la proposition de déblocage immédiat de l’intéressement et de la participation. Et il peut paraître choquant de demander à l’Etat de mettre une partie de ses ressources dans l’accumulation d’actifs par le Fonds de réserves des retraites au moment où la faiblesse de la croissance creuse le déficit public et oblige dans le même temps la France à s’endetter.

Mais ces propositions arrivent à un moment où les investisseurs institutionnels (sociétés d’assurances, caisses de retraite...), normalement préoccupés par le long terme, sont mal en point. La pression de la concurrence les force à rechercher des rendements élevés dans le court terme pour éviter de perdre des parts de marché. Ils ne peuvent plus avoir l’objectif des investisseurs à long terme qui est d’assurer une valeur forte, en tous cas suffisante, à leur richesse avec un horizon long (dix ans, vingt ans...). Ce biais est renforcé par les normes comptables, qui leur imposent de valoriser leurs actifs au prix du marché à tout moment, et celles de contrôle des risques, qui pèsent sur des actifs mis en portefeuille en fonction de la variabilité de leurs prix à court terme (à un an). Cette " disparition " des investisseurs à long terme a lieu alors que la taille des hedge funds (les fonds spéculatifs), qui ne conservent les actifs que de trois à cinq mois en portefeuille, devient très grande.

Or, la France a besoin d’épargne de long terme pour l’avenir de sa croissance et de l’emploi. Nous sommes un des pays où l’insuffisance du financement par actions (c’est-à-dire en capital, par opposition au financement par la dette) est un obstacle à la croissance des PME, donc à l’apparition d’entreprises exportatrices, développant de nouveaux produits. De son côté, l’Etat a également intérêt à raisonner à long terme : le Fonds de réserve des retraites gérant ses actifs dans une logique de long terme, ses placements présentent, en moyenne sur la longue période, un rendement supérieur par rapport aux placements sans risque (sur la dette publique), une manière de desserrer à terme les contraintes budgétaires.

Enfin, la crise financière qui a débuté en 2007, implique une hausse du besoin de fonds propres des banques, mais aussi des entreprises non financières confrontées à un crédit plus rare et plus cher. La crise a également montré que la stabilisation des marchés financiers exige la présence d’investisseurs et de gérants d’épargne à long terme. Les contraintes de rendement rapide auxquelles les autres investisseurs (fonds d’investissement...) sont confrontés les forcent à devenir vendeurs d’actifs risqués dès que le prix de ces actifs recule. Dans un monde sans investisseurs à long terme et lorsque les prix d’actifs baissent, il n’y a donc que des vendeurs, ce qui est violement déstabilisant pour la finance et pour la croissance.

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