Opinion

En route pour le bourbier afghan !

3 min
Jean-François Bayart Professeur d'anthropologie et de sociologie à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID)

Jacques Chirac, qui s’était englué en Côte d’Ivoire, avait su ne s’embourber ni dans la tragédie irakienne ni dans l’impasse afghane. Dans ce dernier cas, il avait fait le minimum syndical au lendemain du 11 septembre en témoignant de sa solidarité avec les Etats-Unis au seul prix de quelques avions opérant depuis l’Asie centrale et de l’engagement sur le terrain de nos forces spéciales. Nicolas Sarkozy, faute de mettre en oeuvre ses pulsions de " rupture " dans le domaine des droits de l’homme, opère un retournement complet de la politique étrangère de ses prédécesseurs au Moyen-Orient et dans les relations transatlantiques. Vis-à-vis de la Syrie, il a tenté un rapprochement qui a tourné court, faute de professionnalisme dans l’exécution de la manoeuvre. Face à l’Iran, il se montre plus " américain " que les Américains, au risque soit de laisser ceux-ci tirer les marrons du feu lorsque sonnera l’heure du grand marchandage entre Washington et Téhéran, soit, au contraire, d’entraîner la France dans une conflagration majeure si George Bush sort de l’histoire comme il y est entré : en déclenchant une guerre sans issue.

En Afghanistan, Nicolas Sarkozy envoie des troupes pour épauler l’Otan en difficulté, afin de réintégrer cette dernière. Que le président de la République en ait fait l’annonce aux Communes plutôt qu’à l’Assemblée nationale française indique qu’il n’entend pas soumettre ses choix à un vrai débat public. Il a fallu que l’opposition dépose une motion de censure pour que celui-ci s’amorce. Quelques heures de méditation parlementaire sans autre perspective que la ratification de la volonté présidentielle ne pouvaient suffire à peser des décisions aussi lourdes de conséquences.

L’Otan a le mérite d’interdire à la Russie de réoccuper son " étranger proche ". Le retour de la France au bercail y changera-t-il quelque chose ? Est-ce son intérêt que d’assumer la nouvelle vocation de l’Organisation, la lutte contre le terrorisme international ? Quel avantage Nicolas Sarkozy obtiendra-t-il, que n’avait pu arracher Jacques Chirac lorsqu’il avait lui-même caressé l’idée d’un rapprochement avec le commandement unifié en 1995 ? Or, le prix à payer pour un objectif aussi hasardeux laisse perplexe : une défaite militaire déjà inscrite dans les faits. En 2001, les Américains ont lâché la proie, Ben Laden, pour l’ombre, Saddam Hussein. Al Qaida s’est reconstituée et prospère au Pakistan. Les talibans afghans, quant à eux, ont conservé leur base sociale et politique, au moins dans le sud du pays où ils portent de rudes coups aux forces occidentales. La culture du pavot, qu’ils avaient commencé de juguler, a refleuri. La construction de l’Etat s’est perdue dans les sables de la concussion et du factionnalisme. Et l’on s’interdit de travailler avec l’Iran qui, lui, bon an mal an, est parvenu à stabiliser l’ouest de l’Afghanistan. La France se jette tête baissée dans un pari perdu d’avance.

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