Inflation, le retour ?

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La hausse des prix de l'énergie et des produits alimentaires ne signifie pas nécessairement un retour de l'inflation.

Avec 3,2 % d’inflation en mars sur un an, la France connaît une accélération de la hausse des prix. Même chose dans la zone euro (+ 3,6 % en mars) et dans le reste du monde : l’inflation mondiale pourrait s’approcher des 5 % en moyenne en 2008, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Sommes-nous en train de vivre le retour d’un emballement inflationniste ? Les experts sont partagés tant les prix sont désormais tirés à la fois vers le haut et vers le bas, dans un double mouvement dont il est difficile de prévoir l’issue à moyen terme.

Les excitants

La folle montée des prix de l’énergie et des produits alimentaires est aujourd’hui le premier moteur de l’inflation. Si l’on enlève ces deux composantes, les prix à la consommation français progressent de moins de 1,5 %. Plusieurs forces importantes sont susceptibles d’entretenir des tensions sur l’énergie et les produits alimentaires. Il y a d’abord la croissance des pays émergents. Leurs économies sont gourmandes en énergie et l’enrichissement croissant d’une partie de leur vaste population se traduit à la fois par un développement des transports individuels (l’automobile) et par le souhait de passer à des repas plus riches en viande, dont la production est forte consommatrice de céréales, à un moment où les stocks mondiaux sont au plus bas.

A cette tendance de long terme s’ajoute ces derniers mois une demande de court terme plus spéculative de la part d’investisseurs financiers. Après avoir été échaudés par la crise des subprime et avoir encaissé de lourdes pertes, ils sont en quête de placements rapidement rémunérateurs pour se refaire : du porc aux terres arables en Pologne en passant par le pétrole et la nourriture, ces éléments sont devenus des placements financiers, qui subissent les phénomènes de bulle réservés à ce genre d’actifs. Dans ce contexte, toute tension géopolitique ou climatique - et ces dernières sont plutôt en hausse - soutient encore plus l’envolée des prix.

Du côté des biens industriels, la tendance est désormais également à la hausse, y compris pour les produits importés des pays émergents. Les coûts salariaux unitaires (salaires moins productivité) commencent à grimper dans ces pays (un peu plus de 2 % en Chine et en Corée du Sud, 3 % en République tchèque, près de 8 % en Pologne), ce qui augmente les coûts de production et le prix de leurs exportations. Chinois, Indiens, mais aussi Polonais ou Roumains, comme l’a montré la récente grève des usines Dacia, réclament de meilleures conditions de travail et veulent bénéficier d’un partage plus équitable des fruits de la croissance. Ce qui est une bonne nouvelle ! De plus, la tendance à l’appréciation des devises des pays émergents (du yuan chinois au zloty polonais) renchérit également le prix des importations pour les pays du Nord.

Si les prix de l’énergie, des produits agricoles et des biens manufacturés se mettent tous à monter en même temps, on voit mal comment nous pourrions échapper à une poussée de fièvre inflationniste dans les prochaines années ! Pourtant, d’autres forces, puissantes également, jouent dans le sens d’une modération des hausses de prix.

Les calmants

L’économie américaine est aujourd’hui la première force anti-inflationniste mondiale. Déjà en petite forme l’an dernier, elle a encore été affaiblie par la crise financière, qui est venue accroître la possibilité d’une récession marquée et peut être longue dans la première économie mondiale. Ni l’Europe ni les pays émergents ne seront épargnés par ce ralentissement d’activité (voir page 10) qui, en se généralisant, contribuera à apaiser les tensions inflationnistes.

Du côté des matières premières, les bulles finiront par éclater : on voit déjà en avril les prix du riz, du soja et du sucre orientés à la baisse. En tenant compte du poids des produits alimentaires dans les indices des prix à la consommation, une simple stabilisation de leur prix ramènerait l’inflation dans un an vers 1,7 % aux Etats-Unis et 1,5 % dans la zone euro, selon Patrick Artus, responsable du service de la recherche à Natixis. Quant aux biens industriels, même si les prix des exportations des pays émergents sont plutôt orientés à la hausse, leur niveau reste encore bien moins élevé et sur une gamme considérable et croissante de produits.

Evolution du salaire réel et de la productivité par tête au niveau mondial, en %

Surtout, rien, pour l’instant, ne permet de supposer que des " effets de second tour ", comme disent les économistes, commencent à se mettre en oeuvre : une hausse des prix provoquant des demandes de hausse des salaires, qui nourrirait à nouveau la hausse des prix. Certaines négociations salariales récentes en Allemagne ont débouché sur des progressions de salaires conséquentes (5,1 % par exemple pour les fonctionnaires), mais celles-ci correspondent plus à un début de rattrapage dans un pays qui a bâti sa croissance des dernières années sur le dumping social.

L’accroissement des prix de l’énergie, de l’alimentation et du logement a mangé une partie du pouvoir d’achat des Européens, en particulier pour les bas revenus, mais cela ne s’est pas traduit pour le moment par des revendications salariales fortes. Les délocalisations ou les menaces de délocalisations ont notamment exercé une pression sur les salariés et favorisé un partage de la valeur ajouté favorable aux profits, ce qui dispense les entreprises de chercher à augmenter leurs prix.

Enfin, les banques centrales sont là pour veiller au grain : leur objectif est de s’assurer que ni les salariés ni les entreprises ne parient sur un retour durable de l’inflation. Sinon, les investisseurs réclameront des taux d’intérêt à long terme plus élevés pour protéger la valeur de leurs actifs, ce qui rendra le crédit plus cher et sera défavorable à la croissance et à l’emploi. Peut-on faire confiance aux banquiers centraux pour maîtriser l’inflation ? Ils ont tendance à croire que leur croisade anti-inflationniste, démarrée par la Réserve fédérale américaine à la fin des années 70, est pour beaucoup dans la modération des prix qui a suivi. Mais, comme le fait remarquer William White, de la Banque des règlements internationaux (BRI), le club des banquiers centraux, l’inflation a baissé pratiquement partout dans le monde, quelle que soit la politique monétaire suivie, que la banque centrale soit indépendante ou pas. Elle est ensuite restée sous contrôle alors que le monde croulait sous le crédit.

En fait, d’autres forces que les banques centrales sont à l’oeuvre qui jouent dans le sens d’une maîtrise de l’inflation. Une inflation qui ne fait pas que des perdants, au Nord comme au Sud (voir pp.32-35), mais qui, une fois partie, peut devenir immaîtrisable pour de longues années. Finalement, l’éventualité qui semble la plus probable, face à ce champ de forces contradictoires, c’est que l’évolution des prix sera à l’avenir de plus en plus volatile.

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