Droits et devoirs

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Les finances publiques françaises sont à bout de souffle : trop de dépenses, trop de déficit et, peut-être, trop de prélèvements. Trop de dépenses : la France est désormais (à égalité avec la Suède) le pays de l’Union européenne dont la dépense publique est la plus élevée : 52,6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2007. Elle dépasse désormais de 6 points la moyenne de l’Union européenne à 15. Ce qui serait acceptable si le taux de pauvreté, le taux d’échec scolaire ou le taux d’incarcération étaient les plus faibles de l’Union. Ce qui n’est pas le cas.

Trop de déficit : la France a réussi l’exploit de faire passer son déficit public de 2,4 % du PIB en 2006 à 2,7 % en 2007, alors qu’elle avait promis de le réduire à 2 %. Il est vrai que deux autres pays sont dans le même cas : la Grèce (où le déficit est passé de 2,6 % du PIB à 2,8 %) et le Royaume-Uni (qui est passé de 2,6 % à 2,9 %). En soi, un déficit n’est pas forcément un mauvais signe, comme le savent bien les ménages ou les entreprises qui s’endettent pour investir. Mais, au lieu d’être gage d’une amélioration à venir des conditions de vie, le déficit public sert aujourd’hui à boucler les fins de mois.

Trop de prélèvements, enfin. Là encore, il ne s’agit pas d’être fétichiste : des pays comme la Suède ou le Danemark prélèvent bien plus que nous. D’autres, comme la Belgique ou la Finlande, prélèvent autant ou à peu près et ce ne sont pas les pays qui se portent le moins bien dans l’Union européenne. Payer des impôts (ou des cotisations sociales) sur ce que l’on gagne ou sur son patrimoine, en payer proportionnellement plus lorsqu’on a des revenus ou un patrimoine élevés, n’est pas seulement légitime, mais équitable, comme le reconnaît le milliardaire américain Warren Buffet : " Je pense que la société est responsable d’un pourcentage significatif de ce que j’ai gagné. Plantez-moi au milieu du Bangladesh, du Pérou ou d’ailleurs, et vous verrez ce qu’est réellement capable de produire mon talent dès lors qu’il lui faut s’exercer sur le mauvais type de sol. Dans trente ans, je serais encore en train de lutter. "1.

Toute la question est de savoir si les citoyens en ont pour leur argent, s’ils sont correctement soignés, formés, logés, protégés contre les aléas. Or, à l’évidence, malgré ses 43,5 % de prélèvements obligatoires, la France, sur tous ces points, ne fait pas mieux que les Pays-Bas ou l’Autriche qui, pourtant, prélèvent environ 3 points de moins que nous. Et si nous devions relever les prélèvements de près de 3 points pour équilibrer nos comptes publics comme ces deux pays, la comparaison nous serait encore plus défavorable.

Aussi est-il plutôt bienvenu que l’Etat se pose la question de l’efficacité de ses dépenses et des économies possibles. Mais, franchement, supprimer les remboursements de Sécurité sociale sur les lunettes tout en subventionnant pour moitié les dépenses de professeur de piano à domicile, est-ce bien équitable ? Défiscaliser les heures supplémentaires de telle sorte qu’elles coûtent plus cher au contribuable qu’elles ne rapportent aux intéressés (voir page 61), est-ce bien rationnel ? Allonger d’un an la durée de cotisation pour la retraite sans rien tenter pour que les entreprises cessent de mettre les travailleurs âgés massivement à la porte, est-ce bien normal ? Entendre le ministre du Budget défendre la très forte baisse de l’impôt sur les successions en mettant en avant les petits héritages - qui en étaient déjà de fait exonérés - alors que ceux supérieurs à 500 000 euros vont en être les principaux bénéficiaires, est-ce bien honnête ? Que le même ministre déclare benoîtement, à propos du bouclier fiscal à 50 % (la somme de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune et de la taxe d’habitation ne devant pas dépasser la moitié des revenus perçus la même année), qu’il est bien normal de ne pas verser en impôts plus de la moitié de ce que l’on gagne, alors que c’est justement la réduction de l’impôt sur les revenus élevés qui explique l’explosion des inégalités 2 depuis vingt-cinq ans, est-ce bien juste ? Condamner le (futur) revenu de solidarité active (RSA) à la portion congrue parce qu’il n’est pas question de toucher aux 4,5 milliards d’euros de la prime pour l’emploi sur lesquels comptait Martin Hirsch bien qu’elle ne diminue quasiment pas la pauvreté laborieuse, est-ce bien sérieux ?

La réalité est que, dans toutes ces affaires et dans quelques autres, le nécessaire équilibre entre droits et devoirs propre à l’Etat social est bafoué : en simplifiant à peine, les droits l’emportent sur les devoirs quand il s’agit de ceux que le sort a gâtés, et les devoirs sur les droits quand il s’agit des autres. Est-ce bien moral ?

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