Loi Tepa : premier bilan

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En vidant de sa substance l'ISF et en réduisant les droits de succession des plus riches, la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat rétablit un capitalisme héréditaire.

La loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite "loi Tepa", votée à l’été 2007 aussitôt Nicolas Sarkozy élu, était destinée à mettre en musique le programme présidentiel et notamment le fameux "travailler plus pour gagner plus". L’Etat allait arrêter de confisquer le fruit du travail des Françaises et des Français afin de les encourager à créer plus de richesses et, au final, plus d’emplois pour tous. Même s’il faudra attendre début 2009 pour commencer à évaluer réellement les effets de la loi Tepa, il apparaît d’ores et déjà qu’elle profite plus aux rentiers qu’aux travailleurs : elle s’attaque en effet aux deux impôts progressifs qui frappent le patrimoine, l’ISF et les droits de succession. Au final, l’inéquité du système de prélèvements français s’en trouve encore accrue. Une oeuvre en trois actes.

Acte 1 : la mise à mort de l’ISF

Faute d’oser supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour des raisons politiques, Nicolas Sarkozy a choisi de le vider de toute substance. Le gouvernement Villepin avait déjà bien amorcé le processus en mettant en place le système du bouclier fiscal à 60 %. Rappel des faits : lorsque le montant cumulé de l’ISF, de l’impôt sur le revenu (IR), de la taxe d’habitation et de la taxe foncière pour la résidence principale était supérieur à 60 % des revenus du contribuable, la différence pouvait lui être remboursée. Cette mesure avait été vendue aux Français en mettant en avant le cas de "la veuve de l’île de Ré", n’ayant qu’une modeste pension mais vivant dans une petite maison dont la valeur avait démesurément augmenté suite à la croissance exponentielle des prix de l’immobilier. Allait-on la chasser de sa maison ? Séquence émotion ! A ceci près qu’à en croire le ministère des Finances, les "riches pauvres" représentent à peine 6 % de l’impact budgétaire total de la mesure, soit 191 millions d’euros pour l’année 2007 1. Dit autrement, les vrais bénéficiaires du bouclier fiscal disposent de grosses fortunes et de revenus conséquents.

Une nouvelle étape a été franchie avec la loi Tepa, qui a abaissé le seuil du bouclier à 50 %, qui plus est en intégrant dans le calcul la CSG et la CRDS. De quoi étendre le nombre de bénéficiaires et provoqué un impact budgétaire estimé à 810 millions d’euros. Cette estimation pourrait être dépassée à terme, car la situation des contribuables évolue et, surtout, parce que tous les bénéficiaires potentiels ne sont pas venus pour l’instant réclamer leur dû. Sans doute par peur d’un contrôle un peu trop approfondi de leur situation fiscale.

L’autre coup porté à l’ISF, outre l’augmentation de l’abattement sur la résidence principale, a été la possibilité ouverte de déduire les dons aux oeuvres et, surtout, les sommes investies au capital des PME - en direct ou via des fonds proposés par les banques - dans la limite de 50 000 euros d’impôt. Les recettes de l’ISF ont de ce fait été amputées de 650 millions d’euros (50 % de plus que prévu), soit environ 15 % des recettes rapportées par cet impôt en 2007.

Acte 2 : hériter plus pour travailler moins

"Vous vous êtes donné la peine de naître, et puis c’est tout", dit Figaro au comte Almaviva dans la célèbre pièce de Beaumarchais. Deux siècles ont passé et l’apostrophe retrouve toute son actualité. La réduction des droits de succession des plus riches, assortie à la dégressivité de l’impôt sur le revenu, rétablit un capitalisme héréditaire. Pas de quoi encourager le travail ! Au moment où des milliardaires comme Warren Buffet ou Bill Gates donnent l’essentiel de leur fortune à des oeuvres de bienfaisance, Nicolas Sarkozy favorise la richesse transmise et non la richesse acquise : on peut désormais transmettre 150 000 euros à chaque enfant tous les six ans sans payer aucun impôt (contre 50 000 euros antérieurement). Pour un couple avec deux enfants, cela représente 600 000 euros tous les six ans, ou encore 3 millions d’euros sur trente ans. Une mesure qui profitera à une toute petite minorité, puisque seuls 1,5 % des ménages ont un patrimoine supérieur à 700 000 euros.

En pratique, l’immense majorité des successions, y compris au sein des "vraies" classes moyennes, étaient déjà très faiblement voire pas du tout taxées, du fait des abattements existants et des privilèges liés à l’assurance-vie. Cette nouvelle disposition ne constitue donc pas un "cadeau au couple d’ouvriers qui doit pouvoir transmettre son petit pavillon à ses enfants"2, mais à une petite minorité aisée. La Cour des comptes a évalué les conséquences de cette disposition sur les seuls quatre derniers mois de l’année 2007 à 233 millions d’euros pour les droits de donation et à 24 millions d’euros pour les droits de succession, un coût qui pourrait atteindre 1,65 milliard d’euros en 2008. Tout cela vient s’ajouter au "pacte Dutreil" adopté en août 2005, qui réduit de 75 % l’imposition sur les titres d’une entreprise quand les héritiers ou les bénéficiaires d’une donation s’engagent à conserver ceux-ci pendant seulement quatre ans.

Acte 3 : mesures sociales ?

Bien entendu, la loi Tepa a aussi son volet social : la fameuse mesure heures supplémentaires. Les salariés à qui leur employeur propose de faire des heures supplémentaires bénéficient désormais d’une exemption fiscale et sociale sur les sommes gagnées. De quoi effectivement gagner plus en travaillant plus. Mais une mesure sans grand effet sur le volume des heures sup, qui ne dépend pas de la volonté des salariés, mais du carnet de commandes des entreprises, et donc de la conjoncture. A terme, cette mesure pourrait nuire à la création d’emplois ainsi qu’à la réduction des temps partiels subis. En mai 2008, le dispositif avait déjà coûté 1, 55 milliard d’euros en exonérations de cotisations sociales, selon l’Acoss.

  • 1. "Applications des mesures fiscales contenues dans les lois de Finances et dans la loi Tepa", rapport d’information n° 1012 de la commission des Finances de l’Assemblée nationale rédigé par Gilles Carrez, disponible sur www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1012.asp
  • 2. Dans le même temps, le gouvernement envisage d’imposer une récupération sur succession des aides sociales liées à la dépendance. Une mesure qui contraindra les enfants des personnes âgées dépendantes à faible revenu de vendre le "petit pavillon" après le décès de leurs parents pour rembourser les aides sociales perçues.

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