Comment payer moins d’impôts...

8 min

Les mesures adoptées depuis trois ans ont fortement réduit la progressivité du système fiscal français. Au point de susciter la gêne, y compris au sein de la majorité.

Il y eut tout d’abord la réforme fiscale votée en 2006 sous le gouvernement Villepin, qui diminuait les taux d’imposition sur le revenu et instituait un premier bouclier fiscal. Puis est venue la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite "loi Tepa", votée l’été dernier ; elle a réduit les droits de succession, modifié les règles de l’impôt sur la fortune (ISF) et diminué fortement le niveau à partir duquel s’applique le bouclier fiscal. Ces réformes ont toutes remis en cause la progressivité des prélèvements obligatoires, au nom de la juste récompense du travail. Au point qu’une partie de la majorité s’en inquiète. Pour des raisons d’équité, mais aussi d’équilibre des comptes publics.

La réforme Villepin avait pour objectif déclaré de diminuer le taux d’imposition marginal sans pour autant réduire fortement les recettes tirées de l’impôt sur le revenu (IR). Il avait donc été décidé de supprimer des tranches d’imposition*- passées de 7 à 5 - et de ramener le taux de la dernière tranche à 40 %, contre 48 % auparavant. Dans le même temps, l’abattement** de 20 % effectué sur le revenu déclaré avant calcul de l’impôt était supprimé. Dit autrement, on appliquait un taux réduit à un revenu imposable devenu plus important. La réforme profitait cependant bien davantage aux plus hauts revenus, dans la mesure où l’abattement de 20 % était plafonné à 117 900 euros de revenus. Au-delà, le taux marginal*** de 48 % s’appliquait sur l’ensemble des sommes gagnées. Autant dire que pour les contribuables les plus riches, la baisse de 48 % à 40 % jouait à plein, sans contrepartie.

Le projet Villepin introduisait cependant un plafonnement des réductions d’impôts obtenues liées aux nombreuses "niches fiscales" prévues par la législation française. Il prévoyait également de réduire leur nombre afin d’accroître la neutralité**** de l’impôt. Le Parlement était revenu en partie sur ces dispositions, mais c’est le Conseil constitutionnel qui leur assena un coup fatal en jugeant la mesure de plafonnement "inintelligible", "incompréhensible" et trop complexe par rapport au faible apport budgétaire qu’elle amènerait. La loi de finances pour 2006 a donc, au final, diminué l’imposition des plus aisés sans contrepartie, un déséquilibre que la loi TEPA puis la loi de finances pour 2007 ont encore aggravé.

Vers une "régressivité" de l’impôt

Les niches fiscales désignent l’ensemble des dispositifs permettant soit de réduire son revenu imposable, soit de diminuer directement l’impôt dû : défiscalisation de l’assurance-vie, dons aux oeuvres, emplois familiaux, loi Robien, investissement dans les DOM-TOM... Au total, l’Etat renonce ainsi à prélever 40 % des recettes théoriques de l’impôt sur le revenu. Ainsi, en 2008, sur les 99,9 milliards d’euros attendus, 39,4 milliards d’euros ont pu être déduits, soit 60,5 milliards d’euros de recettes fiscales réelles 1. Sachant que d’autres déductions sont appliquées à d’autres impôts - comme la TVA réduite appliquée aux travaux d’entretien et d’amélioration du logement -, on estime que l’Etat a renoncé cette année à 73 milliards d’euros de recettes, soit 27 % des recettes fiscales nettes.

Certaines réductions ont pour objectif d’accroître le revenu des moins aisés (abattement en faveur des personnes âgées ou invalides), mais la plupart ont pour justification la volonté d’inciter les contribuables à adopter tel ou tel comportement jugé souhaitable, d’où le terme générique de "dépense fiscale" appliquée à ces multiples déductions. Au nom de l’emploi et de la réduction du travail au noir, il est ainsi possible de largement déduire les sommes consacrées à la rémunération d’une nounou, d’une femme de ménage ou d’un répétiteur privé (coût : 2,3 milliards d’euros). Au nom de la crise du logement, on peut déduire de son revenu les sommes investies dans l’immobilier locatif (495 millions d’euros). Au nom des difficultés des départements d’outre-mer, on permet de déduire les investissements qui y sont réalisés (960 millions d’euros). Au nom du financement des entreprises, on applique un abattement de 40 % sur les dividendes (coût : 1,8 milliard d’euros). Et même l’environnement est de la partie, puisqu’on peut déduire les sommes investies pour isoler son logement ou acheter une chaudière à haut rendement (2,4 milliards d’euros), etc. Au total, on dénombre 189 dispositifs fiscaux visant à réduire le seul IR, dont 37 avaient un coût supérieur à 250 millions d’euros.

Le hic, c’est que derrière des intentions parfois louables, on a laissé se multiplier des dispositifs qui permettent surtout aux contribuables les plus aisés et les mieux informés de réduire fortement leur imposition. En théorie, à l’intérieur de chaque tranche du barème, tous les individus devraient contribuer dans la même proportion de leur revenu à l’impôt. Ainsi, les sommes gagnées au-delà de 67 546 euros par un contribuable célibataire devraient être taxées à hauteur de 40 % au titre de l’impôt sur le revenu (certaines catégories de revenus, telles que les plus-values, faisant l’objet d’un taux spécifique). Et puisque cet impôt est censé être progressif, plus un contribuable bénéficie d’un revenu élevé et plus son taux moyen d’imposition devrait croître. Or, en pratique, on constate aujourd’hui l’inverse : sa contribution est moins importante en terme relatif. Ainsi, au sein des 5 000 contribuables déclarant les revenus les plus importants, le taux d’imposition moyen décroît avec le revenu : alors qu’il s’élève pour la totalité d’entre eux à 36 %, il n’est plus que de 35,2 % pour les 1 000 plus riches d’entre eux, de 32,5 % pour les 100 plus riches et même de 24,2 % pour les 10 restants !

Le facteur clé pour comprendre cette "régressivité de l’impôt", pour reprendre les termes de Didier Migaud et de Gilles Carrez (1), sont ces fameuses déductions fiscales dont profitent davantage les plus riches contribuables. Moins de 10 % des 100 000 plus gros contribuables parviennent à réduire leur impôt de plus de 25 %, alors que c’est le cas du quart des 1 000 contribuables les plus importants et de la moitié des 10 plus fortunés.

Ces moyennes cachent une grande diversité de situations. Ainsi, au sein des 1 000 revenus les plus importants pour 2006, 116 ont pu réduire leur impôt effectif de 93 % ou plus par rapport au montant théorique donné par le barème de l’impôt à leur revenu ! La perversité du système atteint son apogée dans le fait que certains, parmi les plus gros contribuables, ne paient aucun impôt, voire obtiennent même une restitution par le Trésor public. Ainsi, quelques-uns des 100 plus gros déclarants ont obtenu un chèque de l’Etat au titre de l’impôt 2006, alors même que leur revenu fiscal de référence dépassait les 10 millions d’euros.

Plafonnement des niches ou impôt plancher ?

Cette situation a fini par susciter une certaine gêne, y compris au sein de la majorité actuelle, dont quelques membres, à commencer par Pierre Méhaignerie ou Gilles Carrez, estiment qu’elle donne raison à ceux qui dénoncent l’inéquité croissante du système de prélèvements. Mais comment faire ? Supprimer ces dispositifs n’est pas politiquement aisé car, comme le rappelle Gilles Carrez, "dans chaque niche, il y a un chien qui mord". Le plus probable, comme l’a laissé entendre Christine Lagarde, la ministre de l’Economie, est que la loi de Finances pour 2009 plafonnera les quelques niches fiscales qui ne le sont pas encore, notamment les déductions en faveur de l’investissement dans les DOM-TOM, et peut-être celles qui encouragent les loueurs en meublé professionnels ou encore les dépenses architecturales et paysagères dans les secteurs sauvegardés...

Cela n’empêchera pas les plus grosses fortunes de continuer à cumuler les réductions. D’où l’idée de revenir, comme en 2006, à un plafonnement global des niches, c’est-à-dire de fixer un montant en valeur absolue de déductions fiscales qui ne pourrait être dépassé, tout en excluant du calcul, pour des raisons sociales, les niches correspondant à la situation personnelle des contribuables (handicap, retraités...). Problème : c’est précisément ce type de dispositif qui a été censuré par le Conseil constitutionnel.

Une solution serait d’introduire une imposition minimale, comme aux Etats-Unis et au Canada. Ce système n’est pas sans mérite, pour autant qu’on l’applique sérieusement. L’Alternative Minimum Tax (AMT) américaine avait ainsi pour objectif initial de limiter le montant des réductions fiscales accordées aux familles les plus aisées afin d’éviter qu’elles annulent tout impôt fédéral sur le revenu. L’AMT consiste à recalculer le revenu imposable hors effets des déductions fiscales, de déduire un abattement forfaitaire, puis d’appliquer à la somme restante un taux de 26 % ou de 28 % (au-delà de 175 000 dollars de revenus, soit 116 000 euros). On obtient alors le montant de l’"impôt minimum théorique" : il est dû au fisc s’il se révèle plus élevé que l’impôt fédéral calculé en prenant en compte l’ensemble des déductions dont le contribuable a bénéficié. Le montant limité de l’abattement (45 000 dollars, soit 30 000 euros) détourne cependant aujourd’hui le système de son objectif initial. L’AMT frappe désormais un nombre croissant de ménages des classes moyennes. C’est ainsi que 28 millions d’Américains devraient lui être soumis en 2008. Prévu initialement pour rétablir un minimum de progressivité de l’impôt, il aboutit paradoxalement à imposer à un taux voisin les classes moyennes et les plus aisées, compte tenu de la faiblesse du taux marginal appliqué aux tranches les plus élevées (35 %).

Au Canada, un dispositif voisin a été institué, l’"impôt minimum de remplacement", afin que les plus aisés n’échappent pas totalement à l’impôt. Un tel mécanisme, assorti d’un abattement forfaitaire suffisant, et associé à un plafonnement de toutes les niches fiscales, permettrait de rétablir un minimum de progressivité à l’IR français. Mais Nicolas Sarkozy a jugé bon de l’écarter, afin de ne pas être accusé d’introduire un nouveau prélèvement, après avoir tant fait campagne sur le thème du "moins d’impôt".

Loi Tepa : premier bilan

  • 1. Voir Maîtriser la dépense fiscale pour un impôt plus juste et plus efficace", par Didier Migaud et Gilles Carrez (dir.), rapport d’information n° 946 de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, juin 2008. Les chiffres donnés dans l’article, sauf autre référence, sont issus de ce rapport.
* Tranche d'imposition

L'impôt sur le revenu est calculé en découpant le revenu des ménages en tranches. La progression du taux d'imposition se fait tranche par tranche. Ainsi, pour une même somme gagnée, un contribuable aisé ne paye pas plus qu'un contribuable plus pauvre

** Abattement

Somme proportionnelle ou forfaitaire non imposée. Seuls les abattements forfaitaires assurent une progressivité du prélèvement

*** Taux marginal

Taux qui s'applique à la part du revenu du contribuable située dans la tranche supérieure à laquelle il accède

**** Neutralité fiscale

Se dit d'une imposition qui n'influe pas sur le fonctionnement du système économique

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet
Foo Elue par les abonnés
La question

Aide alimentaire : Bernard Arnault est-il vraiment généreux ?

Juliette Le Chevallier
Foo Dossier 6/6
Entretien

Gabriel Zucman : « On a besoin d’un impôt sur la fortune européen »

Christian Chavagneux