Entretien

Le Moyen-Orient est le principal champ de bataille entre l’euro et le dollar

3 min
Benjamin J. Cohen professeur d'économie politique internationale à l'université de Californie, Santa Barbara

Les handicaps de l’euro face au dollar sont-ils d’abord d’ordre économique ou politique ?

L’inertie des acteurs économiques habitués à utiliser le dollar et qui n’ont pas de relations fortes avec l’Europe, comme l’Amérique latine et l’Asie, joue un rôle majeur. Le dollar est également favorisé par le fait qu’il est la monnaie dans laquelle s’exprime le prix des matières premières. Pour les banques centrales, en particulier pour leur politique de placement de réserves, je suis persuadé que les facteurs politiques jouent un rôle plus grand : les relations politiques qu’entretient par exemple l’Asie avec les Etats-Unis y rendent la progression de l’utilisation de l’euro difficile. Les banques centrales sont également sensibles au fait que l’euro n’est pas la monnaie d’un Etat, mais qu’il s’inscrit politiquement dans "un marchandage de souveraineté". L’Europe n’est aujourd’hui qu’une puissance économique et des pays, au Moyen-Orient ou en Asie, qui se situent dans une relation économique, financière, politique et de sécurité avec les Etats-Unis hésiteront longtemps avant de passer à l’euro.

L’histoire montre que les monnaies dominantes peuvent perdre leur place. Qu’est-ce qui a fait perdre sa couronne à la livre sterling ?

Le tournant s’est produit au moment de la Première Guerre mondiale, lorsque les Etats-Unis sont devenus d’importants exportateurs de capitaux, notamment par les prêts qu’ils ont octroyés à la Grande-Bretagne, à la France et à leurs alliés. Pendant ce temps, les Britanniques devaient vendre leurs actifs pour financer la guerre. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont endettés et importent des capitaux. Mais l’histoire montre que pour imposer sa monnaie au niveau international, un pays doit commencer par être un fournisseur de crédits du reste du monde. La livre s’est imposée au XIXe siècle quand Londres est devenu le premier fournisseur de capitaux, et le dollar s’est imposé dans les années 20 lorsque New York a joué ce rôle.

Qu’est-ce qui pourrait se passer dans le monde qui contribuerait à renforcer la place de l’euro ?

Je pense que le changement le plus important serait la décision des pays du Golfe de facturer le prix de l’énergie en euro, de placer leurs réserves en euro et de s’ancrer sur la monnaie européenne. Le Moyen-Orient est le principal champ de bataille entre l’euro et le dollar. Le marché de l’énergie est l’un des premiers mondiaux et des évolutions de ce type auraient un effet d’entraînement sur les acteurs privés et de nombreuses banques centrales. Je ne crois pas plausible un scénario selon lequel la Chine choisirait d’abandonner le dollar au profit de l’euro. Alors que l’on peut imaginer l’arrivée de dirigeants politiques au Moyen-Orient tentés par une position de confrontation avec les Etats-Unis.

Et si l’euro arrivait alors à remplacer le dollar ?

Pour l’Europe, la définition de la politique monétaire deviendrait plus difficile car une monnaie dominante connaît des entrées et des sorties de capitaux qui rendent la gestion de la monnaie plus problématique. De plus, cela forcerait l’Europe à prendre plus de responsabilité dans la gestion du système économique international et de ne pas l’abandonner aux Etats-Unis comme elle le fait maintenant. Si l’Europe, du fait de sa fragmentation politique, ne pouvait assurer ce rôle, le monde risquerait alors d’être confronté à un manque de leadership. Enfin, la Banque centrale européenne, qui ne semble préoccupée que par l’inflation, imposerait au monde une politique prenant insuffisamment en compte le niveau de l’activité, contrairement à ce que fait la banque centrale américaine. Ce qui ne serait pas bon pour la croissance mondiale.

Propos recueillis par Christian Chavagneux
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