Illusion ?

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Depuis six mois au moins, les "experts" nous annoncent que la crise des subprime, c’est fini. Que le nettoyage des bilans est terminé. Que l’on a purgé tous les titres douteux de ces fameuses créances qui désormais, dans leur majorité, ne valent plus grand-chose, les ménages américains qui s’étaient endettés pour acheter leur logement ne pouvant plus rembourser leurs emprunts. Que dans les institutions financières règne désormais la transparence et que tout le reste est maintenant du passé. Et de toute façon, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, puisque les institutions financières françaises n’avaient quasiment pas mangé de ce pain-là.

Pourtant, Crédit agricole SA a déjà dû provisionner 5,5 milliards d’euros de créances douteuses - vraisemblablement irrécupérables - sur les titres dont la valeur est partiellement indexée sur les prêts subprime, la Société générale 4,9 milliards, Natixis (filiale commune des Banques populaires et des Caisses d’épargne) 3,9 milliards, BNP Paribas 2,9 milliards. Natixis est d’ailleurs en position délicate, et cherche à boucler une augmentation de capital de 3,7 milliards d’euros pour boucher un trou qui risque encore de s’agrandir. Malheureusement, les actionnaires prêts à injecter de l’argent dans le capital des banques commencent à se faire rares. Si bien que Natixis va devoir se retourner vers ses deux maisons mères : elles se sont engagées à acheter les actions qui ne pourraient être placées sur le marché financier. Du coup, le groupe Caisse d’épargne - qui est une coopérative... - fait désormais partie des banques mal notées, car cette souscription va pomper une part non négligeable de ses réserves.

J’aimerais bien, d’ailleurs, que les banques coopératives - Crédit agricole, Caisses d’épargne ou Banques populaires -, qui n’hésitent pas à mettre en avant dans leur communication leur appartenance à l’économie sociale, m’expliquent ce qu’elles allaient faire dans cette galère. Parce que, avant de devenir galère, cela rapportait très gros ? Mais alors, où était passée l’éthique coopérative ?

Mais, là, je m’égare. On me fera valoir que ces pertes colossales - l’équivalent de quinze ans de financement du revenu de solidarité active (RSA) - ne sont rien au regard des 25 milliards perdus par l’Union des banques suisses ou des centaines de milliards engloutis par les banques ou les organismes de crédit immobilier aux Etats-Unis. Ou encore que, confrontée à de telles pertes, l’économie ne s’est pas effondrée parce que les banques centrales ont su mettre la main à la poche pour éviter les paniques. Y compris en nationalisant les banques les plus menacées, comme Northern Rocks au Royaume-Uni. Bref, que le système financier a su faire face.

Tout cela est vrai. Mais on ne saurait occulter le fait que les banques sont devenues beaucoup plus fragiles parce que la soif des profits faciles a incité une partie notable d’entre elles à prendre des risques inconsidérés. Plus fragiles, donc plus frileuses, ce qui va freiner durablement l’innovation et les investissements socialement utiles. Et ceci alors qu’il n’y a jamais eu autant d’économistes, de mathématiciens, de "petits génies de la finance", voire de "prix Nobel" d’économie pour scruter, analyser, disséquer et... complexifier les marchés financiers. Et on espère encore nous convaincre que les hommes qui sont aux manettes sont rationnels, calculateurs et informés, que les marchés sont efficients et répartissent de façon optimale les fonds prêtables disponibles ? Que le libre marché fait coïncider intérêts particuliers et intérêt général ? Les 3 millions de ménages américains qui ont perdu ou sont en train de perdre leur maison apprécieront.

Je ne voudrais pas, en écrivant cela, laisser croire que le marché serait en lui-même pervers et le capitalisme condamnable : ils valent évidemment mieux que l’économie administrée, la forme d’organisation concurrente qui, sous prétexte de faire le bonheur de tous, a fini par faire le malheur de beaucoup. Mais, s’il n’a pas tous les vices, le marché n’a pas davantage toutes les vertus. Comme toutes les constructions humaines, il demeure faillible. C’est pourquoi il doit impérativement être encadré par des règles. Il paraît pourtant, selon un rapport publié en juin dernier par l’Académie des sciences morales et politiques, que contester, dans le cadre d’un cours de sciences économiques et sociales ou dans un manuel scolaire, "que des marchés financiers complets peuvent réaliser une allocation efficace des risques entre les agents" 1, ce serait verser dans l’idéologie. Bigre : la crise des subprime serait-elle une invention idéologique ?

  • 1. Dixit Pierre-André Chiappori, dans sa contribution au Rapport sur l’enseignement de l’économie dans les lycées, publié par l’Académie des sciences morales et politiques en juin 2008.
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