Société

Mieux inciter au don

9 min

Les donateurs imposables bénéficient de réductions d'impôts conséquentes, mais cette politique fiscale n'est ni équitable ni suffisamment incitatrice.

Votre boîte aux lettres devrait bientôt frôler l’indigestion. La fin de l’année est traditionnellement la période durant laquelle associations et fondations* font appel à la générosité des donateurs et multiplient les courriers de sollicitation. Et ce d’autant plus que les particuliers doivent mettre la main au portefeuille avant le 31 décembre pour pouvoir bénéficier, l’année suivante, des réductions d’impôt auxquelles leurs dons ouvrent droit. Ces avantages fiscaux atteignent aujourd’hui un niveau record, après avoir été progressivement renforcés depuis la fin des années 80.

Pour les dons aux organismes d’aide aux personnes en difficulté (Restos du coeur, Médecins du monde, etc.), les contribuables peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 75 % des sommes versées, jusqu’à 488 euros. Pour les autres, c’est-à-dire, essentiellement les associations et les fondations d’intérêt général ou reconnues d’utilité publique (protection de l’environnement, recherche médicale...), la réduction est égale à 66 % des sommes versées, dans la limite annuelle de 20 % du revenu imposable 1. Autrement dit, un don de 100 euros ne coûte en réalité que 25 ou 34 euros à un foyer imposable, le reste étant à la charge de l’Etat. Selon Recherches et solidarités, les Français ont donné en 2007 environ 3 milliards d’euros, mais cette politique fiscale est loin d’être aussi incitatrice qu’espérée. Elle pêche également par manque d’équité : les ménages non imposables en sont exclus. S’il est légitime que l’Etat encourage cette forme de solidarité librement consentie, une réforme du dispositif existant s’impose.

Crise de l’Etat-providence

Alors que les dons des particuliers et des entreprises représentent autour de 0,3 % du produit intérieur brut (PIB) en France, ce pourcentage atteint 1,8 % aux Etats-Unis, 0,8 % au Royaume-Uni, 0,5 % aux Pays-Bas, 0,4 % en Suède, etc. 2. "Ce retard, qui est moins important qu’il y a vingt ans, est un héritage de l’histoire, rappelle Antoine Vaccaro, le président du Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie. Depuis la Révolution française, le citoyen a délégué à l’Etat la défense de l’intérêt général. Dès lors, toute tentative de prise en charge de l’intérêt général par le privé a été considérée comme suspecte, et cette tradition s’est perpétuée jusqu’à un passé récent." Considérée comme une survivance archaïque de l’Ancien Régime, la philanthropie a donc été fortement découragée par l’Etat républicain laïc tout au long du XIXe siècle, et le mouvement associatif a été maintenu sous l’éteignoir jusqu’à ce que la loi de 1901 ne permette son lent développement.

Il faudra attendre - et ce n’est pas un hasard - le début de la crise de l’Etat-providence pour que les pouvoirs publics commencent à mettre en place une réelle politique d’incitation au don, en 1987. Depuis, les dispositions fiscales n’ont cessé de devenir plus incitatrices. Trois textes de loi successifs (1996, 2003 et 2006) ont ainsi progressivement porté la réduction d’impôt pour les dons aux associations d’intérêt général de 40 % à 66 %, tout en relevant la limite supérieure de déductibilité des dons à 20 % du revenu imposable 3. Une étude comparative de la Fondation de France, menée début 2007, sur les avantages fiscaux en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni et en France a d’ailleurs montré que l’Hexagone arrivait "largement en tête", les économies réalisées par ses donateurs étant jusqu’à dix fois plus élevées 4. Dernière innovation en date (août 2007), les contribuables assujettis à l’impôt sur la fortune peuvent déduire de la somme qu’ils doivent verser au fisc 75 % du montant de leurs dons à certains organismes (recherche, enseignement supérieur, insertion par l’activité économique, etc.), dans la limite annuelle de 50 000 euros.

Techniques marketing pointues

Le montant total des dons des particuliers a donc plus que doublé depuis 1995. Mais si les Français font preuve de davantage de générosité, c’est aussi qu’ils sont toujours plus sollicités. Une récente étude 5 de l’économiste Viviane Tchernonog, du laboratoire Matisse, montre que le volume des financements publics a suivi la progression du PIB : 1,6 % par an en moyenne de 1999 à 2005, le retrait de l’Etat (- 5 %) étant compensé par l’implication plus grande des collectivités locales.

Evolutions des dons déclarés au fisc et de la part ouvrant droit à des réductions d’impôt, en millions d’euros

En revanche, le nombre d’associations et leurs besoins financiers ont augmenté encore plus vite : leur budget cumulé a crû sur la même période de 2,5 %. Elles sont donc de plus en plus nombreuses à faire appel à la générosité publique, laquelle constitue, pour certaines d’entre elles, une part très importante de leurs ressources : 53 % pour Médecins du Monde, par exemple, et même 89 % pour l’Association européenne contre les leucodystrophies, parrainée par Zinedine Zidane. Elles doivent en plus affronter la concurrence de nouveaux venus, comme les universités, par exemple, autorisées depuis 2007, à créer une fondation pour recueillir des dons ouvrant droit à des déductions fiscales. Pour tirer leur épingle d’un marché certes extensible, mais de plus en plus convoité, toutes ces structures ont donc recours à des techniques marketing très professionnelles qui leur permettent d’augmenter le montant du don moyen.

Et les déductions fiscales ? Ont-elles joué un rôle dans l’augmentation du volume des dons ? "Les données dont nous disposons sont insuffisantes pour nous permettre de tirer des conclusions, explique Odile de Laurens, la responsable de l’observatoire de la Fondation de France. Surtout que l’afflux des dons, consécutifs au tsunami de décembre 2004, rend difficile l’appréciation des effets de la réforme de 2003, qui a augmenté les taux de réductions d’impôts de 6 à 10 points." Ce qui est certain, en revanche, c’est que le montant des dons déclarés à l’administration fiscale restant à la charge des particuliers n’a augmenté que de 5 % entre 1991 et 2006 en euros constants, alors que la partie de ces dons financée par l’Etat, via les réductions d’impôt, a, elle, plus que triplé en tenant compte de l’inflation (voir graphique).

Zoom Les chiffres clés du don

Les Français ont donné 3 milliards d’euros en 2007, selon l’évaluation de Recherches et solidarités, dont 1,65 milliard environ ont été déclarés à l’administration fiscale. Il faudrait y ajouter 500 millions d’euros en legs* et donations**.

35 % des dons des particuliers ont bénéficié aux associations intervenant dans le domaine social en France en 2005, 30 % à la recherche/santé, 20 % à l’aide internationale et 15 % à l’environnement, aux animaux, etc., selon le Cerphi.

Une centaine de gros collecteurs se répartissent l’essentiel de cette manne, en tête desquels l’Association française contre les myopathies (autour de 100 millions d’euros).

39 % des Français déclarent donner de l’argent à une ou plusieurs associations, selon la Fondation de France, pour un montant moyen de 75 euros.

2 % des foyers les plus modestes, contre 18 % des plus aisés ont fait, en 2005, un don à un organisme d’aide aux personnes en difficulté, selon l’Insee 1. Mais les dons des premiers sont plus élevés si l’on tient compte de la réduction d’impôt dont bénéficient les ménages imposables (plus de 34 euros, contre moins de 27 euros, pour plus de la moitié de ces deux catégories). Et la part du revenu disponible qu’ils y consacrent est quatre fois plus élevée (0,25 %, contre 0,06 %).

  • 1. Voir "Donner aux organismes caritatifs, est-ce seulement une question de niveau de vie ?", Insee Première, mai 2008.

Autrement dit, même en admettant que les incitations fiscales aient poussé les Français à donner plus, au final, c’est l’Etat qui a quasiment supporté seul le poids de cette augmentation. "L’objectif consistait à ce que les donateurs réalisent un effort comparable à celui de l’Etat, et il a été totalement manqué, analyse Jacques Malet, le président de Recherches et solidarités. Il est donc clair que telle qu’elle est présentée - ou plutôt telle qu’elle est peu ou mal expliquée aux Français -, la réglementation fiscale est inefficace et n’est pas incitatrice comme le législateur le souhaitait."

Coûteux dons

L’Etat finançant indirectement une grosse partie de la générosité privée, ne serait-il finalement pas plus rationnel qu’il verse directement une subvention aux associations ? Car la collecte des dons coûte cher. De plus en plus cher, même, avec l’accroissement de la concurrence. Souvent entre 20 % et 30 % de l’argent collecté, legs et donations compris, alors que le coût de prélèvement de l’impôt est négligeable. Ainsi, sur un don de 100 euros reçu par un organisme d’aide aux personnes en difficulté, seuls 75 euros servent, en moyenne, à financer leur objet social, soit l’équivalent du coût fiscal pour l’Etat de ce même don... Autant dire qu’en accordant une subvention directe, la collectivité économiserait beaucoup de papier et de frais postaux ! Ce calcul reste évidemment très théorique car certaines associations affichent des coûts de collecte inférieurs et d’autres des coûts mois bons...

Question d’efficacité, mais pas seulement. Car toutes les associations n’ont pas la chance d’avoir, comme les Restos du coeur, par exemple, un fondateur mythique et une escouade de stars mobilisées. Et puis, toutes les causes ne sont pas aussi porteuses : on peut douter qu’un organisme d’aide à la réinsertion d’ex-détenus, par exemple, puisse jamais afficher d’aussi bons taux de retour à ses mailings qu’une ONG venant en aide aux enfants malades. Ce qui plaiderait d’ailleurs aussi pour une intervention directe de l’Etat - via l’attribution de subventions - plutôt qu’indirecte - à travers les réductions d’impôt. Sous réserve bien évidemment que les pouvoirs publics rendent des arbitrages plus justes que les citoyens. Ce qui n’est pas garanti.

"L’Association française contre les myopathies a organisé son Téléthon parce que l’Etat ne se préoccupait pas suffisamment des maladies rares, précise Antoine Vaccaro. Et la création des Restos du coeur a permis d’attirer l’attention sur le problème de la pauvreté en France. Les associations ont un rôle d’aiguillon à jouer. Elles répondent à des besoins émergents, auxquels l’Etat n’a pas encore apporté de réponse."

L’argent privé garantit également l’indépendance des ONG vis-à-vis des bailleurs publics. "Nous sommes libres d’intervenir dans des pays ou sur des problèmes qui ne font pas partie de leurs priorités, explique François Dupré, directeur général gestion de Médecins du monde. Et nous pouvons être beaucoup plus réactifs que si nous devions attendre le déblocage des crédits d’Etat." "Laisser au citoyen la possibilité d’affecter directement une partie de ses impôts [2,6 % de l’impôt sur le revenu et 0,6 % de l’ensemble des dépenses fiscales nettes] aux causes qui lui semblent prioritaires lui permet de s’impliquer directement dans la vie de la cité", complète Antoine Vaccaro.

Simplifier le dispositif

D’accord, mais la moindre des choses serait alors de permettre à tout le monde de jouer ce rôle. Et donc aussi aux quelque 47 % de foyers français qui ne sont pas imposables. L’exigence démocratique voudrait alors que le don n’ouvre pas droit à une simple réduction d’impôt (une somme soustraite de l’impôt à payer), mais à un crédit d’impôt (les 66 % ou 75 % du montant du don seraient reversés au donateur non assujetti à l’impôt sur le revenu). Ce système serait d’autant plus légitime que les foyers les plus modestes sont les plus généreux, proportionnellement à leur revenu (voir encadré ci-contre).

D’autres réformes sont également nécessaires. A commencer par la simplification du dispositif, qui pourrait notamment passer par l’unification des taux de réduction. Car rien ne justifie que les associations distribuant des repas ou assurant des soins aux plus démunis bénéficient d’un coup de pouce plus important que celles qui luttent contre la maltraitance des personnes âgées ou soutiennent les étrangers en situation irrégulière, par exemple. Pour Jacques Malet, ce taux devrait être le plus élevé possible et en aucun cas inférieur à 60 %, afin que l’effort de l’Etat reste supérieur à celui du donateur.

Il est aussi urgent que les associations et les services publics changent de discours, comme le reconnaît le président de France Générosités, l’association qui regroupe les organismes faisant appel à la générosité. "Jusqu’à présent, nous martelons à nos donateurs que s’ils veulent donner 30 euros, il ne leur en coûtera que 10 ou 7,50, alors que nous devrions leur dire : "si vous voulez donner 30 euros, vous pouvez donner 90 euros ou 120 euros grâce aux déductions fiscales", explique André Hochberg, Il s’agit d’un défaut de communication grave et généralisé qu’il est urgent de corriger." A charge également pour les associations de veiller à ce que l’augmentation attendue des dons ne donne à l’Etat un prétexte pour limiter encore plus ses dotations au secteur associatif : l’objectif d’une politique fiscale d’incitation doit être de collecter plus d’argent pour assurer une meilleure couverture des besoins. Pas de transférer des charges...

Zoom Mécénat intéressé

Les entreprises aussi sont appelées à jouer les bienfaitrices. Selon les estimations de l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical), elles devraient consacrer cette année 2,5 milliards d’euros, en espèces ou en nature, aux actions culturelles (44 %), de solidarité (33 %), environnementales (10 %), de recherche (10 %) et sportives (2 %). Admical estime que le mécénat des entreprises de plus de 200 salariés - les seules auprès desquelles elle enquêtait jusqu’alors - ont augmenté de près de 60 % depuis 2006.

"La loi de 2003 a eu un effet de levier incontestable, explique Isabelle Zigliara, sa responsable juridique. Non seulement parce qu’elle a quasiment doublé les avantages fiscaux [réduction d’impôt de 60 % du montant du don, dans la limite de 0,5 % chiffre d’affaires hors taxes], mais aussi parce qu’elle a créé un buzz médiatique sans précédent autour du mécénat." Il n’existe toutefois pas de travaux permettant de savoir si le montant restant à leur charge, une fois déduite la réduction d’impôt, a réellement augmenté ou si, comme pour les particuliers, c’est finalement l’Etat qui a quasiment supporté seul le poids de cette augmentation. Ce qui est sûr, c’est que certains ont profité d’un effet d’aubaine. Comme ces enseignes de la grande distribution qui déclarent à l’administration fiscale la valeur d’achat des produits donnés aux associations. Le coût de ces aliments ou produits de bazar, qui allaient être bientôt périmés, leur est donc remboursé à 60 % par Bercy !

"Les avantages fiscaux ne sont pas les seuls moteurs du don, tempère Isabelle Zigliara. Nos enquêtes montrent que seuls 54 % des donateurs en bénéficient." Le mécénat permet également de valoriser l’image de l’entreprise ; il montre qu’elle n’a pas seulement un rôle marchand à jouer. Un outil utile alors que la responsabilité sociale des entreprises est un thème porteur, dans les médias et l’opinion. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le nombre de fondations (*) d’entreprise est en forte augmentation : il est passé de 120 en 2003 à plus de 300 aujourd’hui. Avoir sa propre fondation, à son nom (Carrefour, Yves Rocher, etc.), permet de mieux contrôler sa politique de mécénat tout en lui garantissant une meilleure visibilité. En interne aussi, car le mécénat peut être un motif de fierté pour les salariés. Plus encore lorsqu’ils y sont associés (missions d’expertise, parrainage de projet, etc.). De l’art d’agir en le faisant savoir... Il permet aussi aux entreprises de l’économie sociale de pratiquer les valeurs de solidarité dont elles se réclament, sachant qu’il est parfois difficile d’y parvenir dans l’exercice même de leur métier, concurrence oblige.

  • 1. Lorsque le montant dépasse cette limite, l’excédent peut être reporté sur les cinq années suivantes.
  • 2. The Economist, février 2006.
  • 3. Lorsque le montant dépasse cette limite, l’excédent peut être reporté sur les cinq années suivantes.
  • 4. "Dons et fiscalités", Fondation de France, avril 2007.
  • 5. "Les associations en France, poids, profils et évolutions", XXIe colloque de l’Addes, novembre 2007.
* La fondation

A fondation est un outil pour gérer un patrimoine dédié à la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et à but non lucratif, alors que l'association est avant tout un regroupement de personnes physiques ou morales pour conduire un projet commun.

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