Entretien

Allemagne : retour aux sources

3 min
Arnaud Lechevalier Maître de conférence à l'université Paris 1

Comment a évolué ces dernières années le modèle social allemand ?

La République fédérale réactualise l’ordolibéralisme de ses origines 1 aux dépens de son modèle social. Le coeur du modèle industriel et sa stratégie de produits diversifiés à haute valeur ajoutée perdurent, de même que le système de relations sociales et de qualifications qui l’autorise. Mais les réformes introduites ces dernières années ont produit une remise en cause croissante des conventions collectives 2, une extension du secteur à bas salaire - désormais équivalent à ce qu’il est aux Etats-Unis - et un fort accroissement des inégalités. L’Allemagne peine en particulier toujours à promouvoir la condition des femmes au sein du monde du travail et à valoriser l’économie de certains services. Le pays a aussi réduit considérablement son solde migratoire après avoir été dans les années 1990 un grand pays d’immigration, une question clef pour son avenir compte tenu d’une évolution démographique très défavorable. Le thème de la soutenabilité (Nachhaltigkeit) d’un point de vue intergénérationnel est d’ailleurs omniprésent dans le débat allemand. Pour le meilleur et pour le pire : cela conduit l’Allemagne à être en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi à programmer l’appauvrissement de ses générations âgées en organisant son vieillissement démographique à prélèvements obligatoires constants...

On a également le sentiment que l’Allemagne se détourne de l’Europe...

Depuis une dizaine d’années déjà, l’Allemagne a renoué avec son histoire nationale au détriment de son engagement européen. C’est un des effets différés de la réunification. Cela se traduit par une stratégie macroéconomique non coopérative, notamment sous la forme d’une politique salariale très restrictive. Mais on l’observe également en matière de politique énergétique, où l’Allemagne joue sa propre carte dans les relations avec la Russie. On s’en est rendu compte aussi dans la gestion de la crise : le gouvernement allemand s’est montré hostile a priori à toute réponse européenne réellement coordonnée.

On vient également d’assister coup sur coup à deux événements inquiétants pour l’avenir. Le gouvernement a fait inscrire dans la Constitution allemande une interdiction de tout déficit public au-delà de 0,35 % du produit intérieur brut (PIB) à partir de 2016. Ce qui interdit de facto d’envisager une réelle coordination des politiques budgétaires en Europe. De son côté, la Cour constitutionnelle vient de rendre un arrêt important sur le traité de Lisbonne selon lequel il ne saurait y avoir de transferts de souveraineté supplémentaires à l’échelle européenne aussi longtemps qu’il n’y aura pas de peuple européen démocratiquement souverain... Cela conduit notamment la Cour à exclure toute intégration européenne dans les domaines des politiques fiscales ou sociales.

  • 1. Théorie économique développée en Allemagne dans les années 1930, notamment par Walter Eucken. Elle donne à l’Etat pour responsabilité de créer un cadre légal et institutionnel solide et de maintenir une concurrence " libre et non faussée ", sans intervention budgétaire massive ni participation publique active à la production. Cette théorie libérale a fortement influencé la reconstruction de l’Allemagne après guerre en réaction à l’étatisme nazi.
  • 2. Contrairement à ce qui se passe en France, les conventions collectives ne s’appliquent en Allemagne qu’aux entreprises qui adhèrent à un syndicat patronal. D’où de nombreux salariés non couverts, notamment dans le secteur des services, dans un pays qui n’a pas de salaire minimum légal.
Propos recueillis par Guillaume Duval

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