Paradis fiscaux : touchés mais pas coulés

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Rentrée morose pour les paradis fiscaux : après avoir vu leur secret bancaire malmené, ils se retrouvent maintenant sous haute surveillance du G20, prêt à sanctionner leur refus de coopérer. Un premier pas

Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. Trop de citoyens veulent la civilisation au rabais. " C’est en 1937, en remettant au président Roosevelt son rapport sur l’utilisation abusive des paradis fiscaux par les contribuables américains - déjà ! - qu’Henry Morgenthau, son secrétaire au Trésor, prononce ce constat désabusé. Plus de soixante-dix ans après, il est toujours d’actualité. Pire : la situation s’est nettement dégradée depuis.

De la fraude sur mesure réservée aux élites très fortunées, on est passé à la production de masse de produits d’évasion fiscale destinés à toute personne aux revenus élevés (cadres dirigeants de grandes entreprises, patrons de PME...). Alors qu’hier, seules quelques entreprises mafieuses et divers escrocs patentés utilisaient les paradis fiscaux, aujourd’hui, toutes les grandes multinationales, bancaires ou pas, y sont présentes. Au total, on estime que les grands Etats y perdent désormais en recettes fiscales l’équivalent d’au moins 2,5 % à 3 % de produit intérieur brut (PIB), ce qui est énorme.

La crise des subprime a révélé combien ces territoires nourrissent l’instabilité financière. Un rapport du Government Accountability Office (GAO), l’équivalent de la Cour des comptes aux Etats-Unis, a montré qu’une partie du système bancaire " fantôme ", construit par les banques américaines pour jouer avec les titres financiers complexes à l’origine de la crise, était établie aux îles Caïmans. La quasi-faillite de la banque britannique Northern Rock résulte d’un endettement excessif de court terme réalisé à partir de sa filiale Granite installée à Jersey, etc.

Confrontés à un niveau croissant de déficits budgétaires et de dettes publiques, désireux de mieux maîtriser la finance, les pays du G20 ont engagé la bataille contre les paradis fiscaux à leur réunion de Londres en avril dernier. Avec un certain succès : le secret bancaire à des fins d’évasion fiscale a été sérieusement érodé. Néanmoins, le G20 est encore loin de faire tout ce qu’il faut pour véritablement remettre en cause le rôle déstabilisateur des paradis fiscaux dans la mondialisation contemporaine.

Le secret bancaire mal en point

2009 restera comme l’année où le secret bancaire a en partie fondu. Jusqu’au G20 d’avril, les paradis fiscaux acceptaient, en principe, de lever ce secret pour donner des informations aux fiscs et aux juges étrangers uniquement en cas de preuve évidente de fraude fiscale (faux documents, etc.), de mouvements d’argent mafieux ou de délits d’initiés. Mais pas en cas d’évasion fiscale, quand les contribuables minimisent leurs impôts en tournant la loi. Depuis, le monde a changé.

Le 11 août dernier, le Royaume-Uni annonce avoir signé un accord avec le Liechtenstein qui fixe comme objectif qu’il n’y ait plus aucun fraudeur britannique dans la Principauté dans cinq ans. L’accord a un défaut important : il accorde une grande confiance à la volonté de coopération du Liechtenstein. Mais il supprime de fait le secret bancaire entre les deux pays, il définit un critère de performance clair et de niveau élevé (zéro fraudeur) et il réclame des résultats dans une limite de temps donnée (cinq ans).

Deuxième salve, le 19 août. L’accord mettant fin au conflit opposant les Etats-Unis à la banque suisse UBS stipule que la Confédération helvétique a un an pour donner 4 450 noms, dont 500 dans les trois mois. Les Etats-Unis partent ainsi à la pêche aux fraudeurs, alors qu’ils ne connaissent pas leurs noms, ce que ne permettent pas normalement les accords d’échange d’informations fiscales que le G20 impose aux paradis fiscaux de signer.

Ce type d’accord demande généralement aux grands Etats qui veulent obtenir des informations de la part des centres financiers offshore de faire une demande officielle avec un nom, une adresse, une période donnée et, surtout, le nom de la banque utilisée, un renseignement difficile à obtenir. Or, le 27 août, la France annonce la signature d’un accord avec la Suisse qui indique que le fisc français ne serait pas obligé de fournir ce renseignement. Une interprétation contestée par la Suisse le 14 septembre, ce qui a passablement énervé les hauts responsables du fisc français... Il faudra donc juger à la pratique mais, sur le principe, c’est un nouveau coup porté aux réseaux d’opacité de la finance helvétique.

Quelques jours plus tard, l’annonce par Eric Woerth, le ministre du Budget, qu’il dispose d’une liste de 3 000 fraudeurs fiscaux français ayant dissimulé 3 milliards d’euros en Suisse, leur enjoignant de se dénoncer d’ici au 31 décembre s’ils veulent éviter les poursuites pénales (mais pas les pénalités), est un joli coup. Mi-septembre, le ministre annonce qu’il voit arriver des personnes rendues nerveuses par les évolutions en cours, certaines de la liste, d’autres pas, même si on avoue du côté de Bercy qu’il ne s’agit encore que d’un frémissement et pas d’une explosion des régularisations. Les contrôleurs des impôts en profitent généralement pour se faire expliquer les mécanismes de fraudes utilisées, ce qui permet ensuite de cibler les banques, les avocats, les fiscalistes, etc., qui trempent dans ce genre de pratiques. A cet égard, Eric Woerth a annoncé le 8 septembre qu’il voulait modifier rapidement la loi pour forcer les banques à révéler, à la demande du fisc, l’identité de Français transférant de l’argent vers les paradis fiscaux 1. On s’approche d’une sorte de déclaration de soupçons d’évasion fiscale, à l’image de ce qui existe pour le blanchiment d’argent sale. Une évolution impensable il y a encore quelques mois et qui permettra au fisc de récupérer des noms afin de tester la véritable volonté des paradis fiscaux de coopérer en matière d’échange d’informations.

Une dynamique politique

Les accords bilatéraux signés dans tous les sens et aux contenus différents soulignent la nécessité d’encadrer le processus au niveau multilatéral. Ainsi, lors de la réunion du Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements des 1er et 2 septembre dernier, la création d’un " groupe des pairs ", dirigé par le Français François d’Aubert, a été décidée afin de surveiller que les paradis fiscaux vont bien tenir leurs promesses. Un rapport régulier sur la mise en oeuvre des accords sera rendu public, le premier étant prévu pour la fin 2009. Enfin, les ministres des Finances du G20 ont précisé le 5 septembre qu’ils étaient prêts à mettre en oeuvre des sanctions contre les territoires récalcitrants dès mars 2010.

Des mesures insuffisantes

En dépit de ces avancées, le G20 doit aller plus loin s’il souhaite véritablement remettre en cause les paradis fiscaux 2. D’abord, on doit passer de l’échange d’information effectuée à la demande des fiscs des Etats concernés à un échange automatique d’information : dès qu’un contribuable met le pied dans un paradis, ce dernier doit avertir les autorités fiscales du pays d’origine, qui pourront disposer à leur guise de l’information. Ensuite, il faut renforcer les administrations fiscales : c’est bien joli de récupérer de nombreuses informations sur les fraudeurs, mais encore faut-il pouvoir les traiter. Là où Obama recrute 800 agents supplémentaires, le nombre de contrôleurs du fisc a diminué en France de 12 % entre 2002 et 2008, et il en aura perdu 15 % de plus d’ici à 2011.

Enfin, le G20 doit aussi s’attaquer à la présence des multinationales dans les paradis fiscaux. Le ministère du Budget promet des propositions pour la prochaine loi de finance. Il faudrait que, pour chaque territoire où elles sont installées, les grandes entreprises fournissent leur chiffre d’affaires, le nombre de personnes employées, les profits réalisés et les impôts payés. Les pays utilisés pour minimiser les impôts apparaîtraient immédiatement. Une étude récente du Sénat américain montre que les Pays-Bas, la Suisse, les Bermudes et l’Irlande sont les principaux paradis concernés.

La remise en cause des paradis fiscaux est une politique de longue haleine. Les Etats du G20 ont commencé enfin à s’y attaquer sérieusement. Ils doivent maintenant mener le combat jusqu’au bout.

  • 1. L’identité des 3 000 Français aurait été fournie par trois filiales de banques suisses installées à Paris lors d’un contrôle fiscal qui les exposait à une amende d’un montant de 50 % des fonds dissimulés, soit 1,5 milliard d’euros.
  • 2. Voir " Pittsburg et après. Un plan d’action contre les paradis fiscaux en 10 propositions ", Fondation Terra Nova, 8 septembre 2009, http://www.tnova.fr/ Ainsi que " La lutte contre les paradis fiscaux : 30 propositions pour passer à l’acte ", par Didier Migaud et Gilles Carez, Assemblée nationale.

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