Pourquoi l’emploi recule-t-il alors que l’activité repart ?

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La France est sortie de la récession. Pas de quoi pavoiser pour autant : la hausse modeste (+ 0,3 %) du PIB ne s'est pas traduite par une amélioration du marché du travail. Ce décalage entre l'évolution du chômage et la conjoncture était d'autant plus prévisible que l'impact de la récession sur l'emploi avait été relativement faible, grâce aux 35 heures et au chômage partiel. Entraînant un recul de la productivité d'une ampleur exceptionnelle. On assiste désormais à un rattrapage et il est probable que les effectifs continueront de s'ajuster à la baisse pendant plusieurs mois encore. Même si le pire n'est jamais sûr.

La récession a eu un effet limité

Même si l’horizon économique se dégage quelque peu, la crise continue d’ébranler le marché du travail. L’emploi est toujours en chute libre : près de 107 000 postes ont été détruits au deuxième trimestre 2009, après 178 700 au premier, selon les statistiques de la Dares. L’industrie paie le plus lourd tribut, avec 52 200 emplois perdus. La baisse des effectifs s’y accentue même par rapport au début de l’année. Dans la construction, l’emploi salarié recule toujours (- 11 300 postes), mais plus lentement. Le tertiaire résiste un peu mieux, non pas que les destructions d’emplois y soient négligeables (- 50 200), mais elles sont sensiblement moins importantes que pendant le premier trimestre (- 124 000). C’est surtout la stabilisation de l’emploi intérimaire qui explique cette moins mauvaise performance (+ 2 500). Elle intervient toutefois après un effondrement spectaculaire : - 234 000 emplois entre les premiers trimestres 2008 et 2009.

Sans surprise, cette nouvelle dégradation du marché du travail s’est répercutée sur le taux de chômage, toujours à la hausse. Au deuxième trimestre, il atteignait 9,5 % en France et 9,1 % pour la seule France métropolitaine, soit près de 2,6 millions de personnes, selon l’enquête emploi. Un pic inégalé depuis début 2006.

Malgré une conjoncture meilleure que prévu, les nuages continuent donc de s’amonceler sur le front du chômage. Ce n’est pas étonnant : il existe en effet toujours un délai d’ajustement entre les évolutions de l’emploi et celles de la production. D’autant plus que quand la conjoncture s’est retournée fin 2008, les entreprises ont relativement peu ajusté leurs effectifs à la baisse. Lors des crises précédentes, en 1993 et 1974, le choc s’était plus rapidement répercuté sur l’emploi.

Ce paradoxe n’est pas propre à la France. Hormis les Etats-Unis et l’Espagne, où la hausse du chômage a été rapide, d’autres pays comme le Japon, l’Italie ou le Royaume-Uni ont connu une évolution de l’emploi similaire au cas français. L’Allemagne ou les Pays-Bas, quant à eux, ont encore mieux résisté. Outre-Rhin, les effectifs n’ont diminué que de 0,1 % entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009, alors que le produit intérieur brut (PIB) allemand chutait de 5,9 points sur la même période !

Comment ? Principalement en jouant sur la durée du temps de travail. Plus des deux tiers des pays de l’OCDE déclarent en effet avoir mis en place de nouvelles mesures de réduction du temps de travail, ou renforcé des mesures existantes. En France, l’annualisation permise grâce aux 35 heures a donné la possibilité d’amortir le choc. Safran, Michelin ou Renault ont ainsi poussé leurs salariés à poser leurs jours de RTT au creux de la vague. Signe de ce regain d’intérêt - pragmatique - pour la réduction du temps de travail, les heures supplémentaires ont connu un coup de frein (- 10 % sur un an), malgré les exonérations très importantes dont elles bénéficient.

Les entreprises ont également eu massivement recours au chômage partiel. Entre avril et juin, 319 000 personnes ont connu du chômage partiel, soit 1,2 % de la population en emploi. Une proportion qui a doublé par rapport au premier trimestre. Le dispositif a d’ailleurs une nouvelle fois été assoupli par le gouvernement : les entreprises peuvent désormais aller jusqu’à 1 000 heures de chômage partiel pour chaque salarié sur l’année, alors que jusqu’ici seule l’industrie automobile bénéficiait d’un plafond si haut. L’Allemagne est allée encore plus loin : la durée d’indemnisation y est désormais de vingt-quatre mois et 1,4 million de personnes étaient concernées par le chômage partiel en juin.

Ce dispositif permet de conserver le plus longtemps possible un personnel formé afin de pouvoir reprendre pleinement son activité au moment de la reprise. Le problème, c’est que tous ces mécanismes n’ont qu’un effet temporaire...

Le rattrapage de la productivité

L’impact relativement faible de la crise sur l’emploi au coeur de la récession s’est traduit par un important recul de la productivité, c’est-à-dire de la quantité de richesses produite par chacun de ceux qui ont un emploi : - 2,2 % sur un an au premier trimestre 2009, alors que celle-ci progresse en moyenne de 1 % par an depuis le début des années 2000. Cette baisse est d’une ampleur sans précédent depuis 1949, selon les données de l’Insee.

Cette situation peut difficilement perdurer, car la productivité est le moteur à la fois du pouvoir d’achat des salaires, mais aussi des profits des entreprises : ces dernières continuent en effet à payer les salaires, même si des mécanismes comme le chômage partiel permettent d’en limiter l’impact, alors que le chiffre d’affaires n’est plus là. D’où une perte de rentabilité qui risque de pénaliser les investissements et freiner la reprise. Dès lors, dès que les mécanismes de chômage partiel arrivent en bout de course, l’emploi en pâtit.

Et le premier souci des entreprises quand l’activité repart est de rattraper le retard pris en matière de productivité au plus profond de la crise. D’où les nouvelles suppressions d’emplois constatées à des niveaux importants (- 0,6 %) au second trimestre 2009, malgré la hausse du PIB (+ 0,3 %). Et en effet, la productivité a bondi de 0,9 % au cours de ce trimestre. Un niveau lui aussi exceptionnellement élevé puisque la productivité ne progressait en moyenne que de 0,2 % par trimestre depuis le début des années 2000.

Evolution de l’emploi salarié* (en millions) et du PIB (en milliards d’euros) en 2008 et 2009
Gains (+) ou pertes (-) de productivité trimestrielle, en % (2000-2009)

De plus, les entreprises ne recommencent jamais immédiatement à embaucher en cas de reprise. Car un recrutement peut se révéler coûteux si les évolutions anticipées de leur carnet de commandes ne se confirmaient pas.

Et maintenant ?

Le rattrapage de la productivité engagé au second trimestre 2009 est loin d’être arrivé à son terme : il reste encore plus d’un point à remonter pour effacer les effets de la crise. Même si la reprise s’accentue sur la seconde moitié de 2009, les suppressions d’emplois devraient donc se poursuivre à un niveau élevé. A cela s’ajoutera l’effet de l’arrivée sur le marché du travail des dizaines de milliers de jeunes diplômés qui ont terminé leurs études en juin dernier.

Si cette tendance se confirme, la hausse du chômage qui en résultera risque de pénaliser la consommation, qui avait bien tenu jusque-là, et donc le redémarrage de l’économie. D’autant plus que, parallèlement, la hausse des prix du pétrole risque d’amputer de nouveau le pouvoir d’achat des salariés. Pour l’économiste Patrick Artus, " il faut attendre la correction du déficit de productivité pour obtenir une vraie reprise "1.

Mais à l’inverse, les moindres destructions d’emplois que l’on a connues jusqu’ici peuvent aussi faciliter une reprise plus rapide : les salariés sont souvent toujours en poste et il n’y a pas besoin d’en embaucher de nouveaux, avec tous les aléas liés à ce processus, pour faire face au redémarrage de l’activité. Tandis que l’amélioration des perspectives économiques globales peut conforter la propension des personnes qui sont toujours en emploi, plus nombreuses que normalement attendu, à consommer davantage, accélérant la sortie du tunnel. D’où l’intérêt de ne pas lever le pied sur l’indemnisation du chômage partiel ou les emplois aidés, même si la croissance repart.

Les prochains mois trancheront entre les effets négatifs du rattrapage de productivité encore à réaliser et les effets positifs des relativement faibles suppressions d’emplois qui ont eu lieu au coeur de la crise...

  • 1. " Les inquiétudes liées au déficit de la productivité du travail ", par Patrick Artus, Eco Hebdo n° 33, Natixis.

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