Collectivités, la réforme délicate

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Le projet de réforme de l'organisation territoriale omet d'aborder la question des finances locales et reste flou sur la répartition des compétences entre collectivités.

La réforme des collectivités territoriales aura-t-elle lieu ? Devant le mécontentement d’un certain nombre d’élus locaux, l’examen de l’avant-projet de loi sur la question, présenté en juillet dernier, a plusieurs fois été reporté. De ce fait, l’adoption du texte risque de ne pas aboutir avant les élections régio-nales de mars 2010, comme cela avait été souhaité au départ. Il n’empêche : le chef de l’Etat a fait de cette réforme l’une des priorités de son mandat et il compte bien qu’elle aboutisse. Mais quels en sont les enjeux, quelles mesures sont envisagées et sont-elles satisfaisantes ?

Réduire les dépenses

La réforme de l’organisation territoriale n’est pas une nouveauté en France. Le mouvement de décentralisation entamé en 1982 a été poursuivi jusqu’en 2004 et la loi Raffarin 1. Il obéit à l’idée selon laquelle il est souhaitable de déléguer aux collectivités (régions, départements et communes) de plus en plus de compétences jusque-là assumées par l’Etat. L’objectif étant de rapprocher la décision politique de la réalité du terrain et de la rendre plus lisible, plus transparente et plus pertinente.

Dans cette logique, les 26 régions françaises (incluant les départements d’outre-mer qui ont aussi des compétences de région), créées en 1972, ont progressivement acquis des compétences en matière de développement économique de leur territoire, de formation professionnelle, d’organisation des transports régionaux ou encore de construction et de gestion des lycées. Les 100 départements français sont devenus chefs de file en ce qui concerne l’action et l’aide sociales, et s’occupent notamment de la construction et du fonctionnement des collèges. Les communes et les intercommunalités, elles, gèrent la construction et le fonctionnement des écoles, l’organisation des transports urbains de personnes, les programmes locaux d’habitat, les services communaux d’hygiène et de santé, les activités culturelles et sportives, etc.

La décentralisation n’a pas modifié la physionomie du pays, qui demeure marqué par le poids de la région capitale. Mais elle a assurément fait progresser l’idée que le développement économique, social et culturel des territoires dépend d’abord de la mobilisation de leurs propres forces et pas seulement des décisions prises à Paris.

Potentiel fiscal des départements en 2009, par habitant, en euros

Lecture : le potentiel fiscal est obtenu en appliquant aux bases d’imposition des quatre taxes directes locales (professionnelle, d’habitation, foncière sur le bâti et sur le non-bâti) les taux moyens d’imposition constatés au niveau national pour chacune de ces taxes.

Potentiel fiscal des départements en 2009, par habitant, en euros

Lecture : le potentiel fiscal est obtenu en appliquant aux bases d’imposition des quatre taxes directes locales (professionnelle, d’habitation, foncière sur le bâti et sur le non-bâti) les taux moyens d’imposition constatés au niveau national pour chacune de ces taxes.

La décentralisation chez nos voisins

Le faible poids des dépenses des collectivités françaises s’explique notamment par le fait que les très gros bataillons d’agents publics (les enseignants, par exemple) demeurent des fonctionnaires d’Etat.

La décentralisation chez nos voisins

Le faible poids des dépenses des collectivités françaises s’explique notamment par le fait que les très gros bataillons d’agents publics (les enseignants, par exemple) demeurent des fonctionnaires d’Etat.

Reste qu’en pratique, les choses sont plus complexes. L’Etat a en effet constamment eu un comportement schizophrène, transférant certaines compétences tout en conservant un vrai pouvoir de contrôle. Soit parce qu’il tient les cordons de la bourse, soit parce qu’il continue de définir les règles qui doivent s’appliquer en tout point du pays. Dans ce contexte, la réforme annoncée a un objectif limité : rendre plus lisible l’architecture institutionnelle des collectivités territoriales afin d’améliorer leur efficacité, et donc restreindre leurs dépenses. Un objectif en phase avec le souci présidentiel de réduire les prélèvements obliga-toires, dans un contexte où les effectifs de la fonction publique territoriale se sont régulièrement accrus ces dernières années.

A cette fin, Nicolas Sarkozy avait confié une mission sur ce sujet à un comité présidé par l’ancien Premier ministre Edouard Balladur, composé d’experts et d’élus de tous bords. Rendu en mars dernier, le rapport de ce comité Balladur prônait plusieurs évolutions. La plupart d’entre elles ont été fortement contestées par des élus locaux, sans doute en partie soucieux de préserver leur pré carré, parfois menacé. Malgré tout, l’avant-projet de loi présenté par Nicolas Sarkozy s’inspire assez largement de ces propositions.

Conseillers territoriaux et métropoles

Quelles sont les grandes orientations envisagées ? Tout d’abord, il n’est plus question de supprimer l’échelon départemental, comme cela était souvent suggéré depuis plusieurs années. En effet, l’existence d’un conseil général, proche du terrain et capable de gérer les politiques de proximité comme l’action sociale, semble gagner de plus en plus en légitimité. Et s’affirme face à un échelon régional qui couvre un large territoire et a une vision globale justifiant qu’il gère, par exemple, la politique de développement économique, mais qui reste assez éloigné des préoccupations quotidiennes de ses citoyens. La plupart des pays européens comptent d’ailleurs, comme la France, trois niveaux de collectivités, chaque niveau ayant des fonctions propres.

Malgré tout, nombre d’élus voient dans les mesures proposées la disparition annoncée du conseil général. C’est notamment le cas avec la nouvelle fonction que le gouvernement souhaite créer : celle de conseiller territorial. Ces élus, qui remplaceraient les conseillers régionaux et départementaux dès 2014, siègeraient donc à la fois au conseil général et au conseil régional. On attend de cette réforme une meilleure cohérence entre les niveaux et une réduction du nombre d’élus régionaux et départementaux, qui passerait de 6 000 à 3 000. Ce qui réduirait le coût de la démocratie locale... Toutefois, on peut aussi craindre que cette mesure aboutisse à " noyer " les élus sous les réunions de travail et à les éloigner définitivement du terrain.

En outre, si le nombre d’élus locaux en France est très élevé, c’est bien plus du fait du nombre des élus municipaux que des élus régionaux et départementaux : l’Hexagone compte encore plus de 36 000 communes, soit la moitié de la totalité des communes de l’Union européenne à quinze... Un nombre qui n’a diminué que de 5 % entre 1950 et 2007, en dépit de l’exode rural, contre - 79 % au Royaume-Uni, - 75 % en Belgique et - 41 % en Allemagne sur la même période.

Conséquence, la grande majorité des communes françaises sont toutes petites : 94,5 % d’entre elles ont moins de 5 000 habitants ; 55 % en comptent même moins de 500. La population moyenne des communes françaises est de 1 720 habitants, contre 5 410 pour l’ensemble de l’Union européenne. Ce qui ne contribue pas à rationaliser la gouvernance des territoires.

Conscient des problèmes posés par cet éclatement communal, l’Etat a depuis longtemps cherché à favoriser le regroupement de communes, à travers la création d’intercommunalités dont l’essor s’est accéléré avec la loi Chevènement de 1999. Résultat : au 1er janvier 2009, les regroupements intercommunaux recouvraient 93 % des communes françaises et 87 % de la population.

Cependant, si une part croissante des dossiers est gérée au niveau des intercommunalités, celles-ci ne sont pas des collectivités reconnues par la Constitution. Leurs instances dirigeantes ne sont pas élues au suffrage universel, mais nommées parmi les élus communaux. D’où le souhait de Nicolas Sarkozy de généraliser l’intercommunalité sur l’ensemble du territoire, mais aussi d’inciter à la fusion volontaire des communes. De même, serait favorisé le regroupement volontaire de départements ou régions, afin d’en faire des territoires plus puissants, capables de rivaliser avec les territoires européens les plus riches et mieux à même d’investir dans des équipements coûteux, tels que des grands centres universitaires.

Parallèlement, des métropoles devraient être créées, nouvelles collectivités territoriales correspondant à des agglomérations d’au moins 500 000 habitants. Ces métropoles se substitueraient, sur leur territoire, au conseil général, en récupérant ses compétences, et pourraient reprendre celles d’une commune ou de la région si les collectivités concernées le souhaitent. Plusieurs agglomérations pourraient devenir de telles " métropoles " : Marseille, Lyon, Lille, Bordeaux, Nantes, Lille, Strasbourg, Toulouse, notamment. Le cas de Paris et de l’Ile-de-France, quant à lui, devant faire l’objet d’une loi spécifique sur le " Grand Paris ".

Des points oubliés

Mais là où les projets du gouvernement sont les plus critiqués, c’est sur les points qu’ils omettent d’aborder. D’abord, aucune modification n’est envisagée en ce qui concerne la répartition des compétences entre les différentes collectivités. Plusieurs pistes ont pourtant été suggérées pour rationaliser cette répartition, en supprimant les doublons notamment, dans le cas de compétences éclatées entre plusieurs acteurs : c’est par exemple le cas de la formation professionnelle, aujourd’hui gérée en partie par l’Etat et en partie par le conseil régional.

L’autre question épineuse est celle des finances locales. Depuis mars 2003, l’autonomie financière des collectivités territoriales est un principe constitutionnel. Pourtant, celles-ci ne maîtrisent qu’une faible partie de leurs ressources. La plus grosse part de leur budget consiste en dotations versées par l’Etat, qui représentent jusqu’à 80 % du budget des régions. Or, rien n’est prévu pour changer cet état de fait. Pire, la taxe professionnelle, impôt local acquitté par les entreprises, doit être supprimée le 1er janvier 2010 (voir encadré). Cela pourrait encore aggraver la situation, puisque cette taxe représente aujourd’hui 45 % des recettes fiscales propres aux collectivités territoriales.

Zoom Faut-il supprimer la taxe professionnelle ?

Qualifiée jadis d’impôt " imbécile " par François Mitterrand, la taxe professionnelle a longtemps été accusée de nuire à l’emploi, dans la mesure où elle était en partie liée à la masse salariale. Elle est désormais accusée de dissuader l’investissement et d’inciter à la délocalisation des industries, car elle est essentiellement assise sur les immobilisations corporelles des entreprises (bâtiments, matériel, outillage).

Supprimée le 1er janvier prochain, elle serait remplacée par une " cotisation économique territoriale ", assise à la fois sur la valeur ajoutée des entreprises et sur la valeur locative de leurs bâtiments. Cette nouvelle cotisation représenterait un manque à gagner d’environ 7 milliards d’euros par rapport aux recettes de la taxe professionnelle. Selon certaines pistes envisagées par le gouvernement, elle pourrait être complétée par une taxe sur les antennes relais des réseaux de téléphonie mobile, et par une contribution supplémentaire imposée aux grandes entreprises qui gagnent le plus à la réforme de la taxe professionnelle, telles que la SNCF, EDF ou France télécom.

En outre, la majorité des élus réclament depuis longtemps le remplacement des impôts locaux existants par des impôts plus modernes, plus pérennes et mieux corrélés aux revenus des ménages. Un chantier que Nicolas Sarkozy, semble-t-il, se refuse à ouvrir. De quoi rester plus que jamais dans la contradiction de la décentralisation à la française, qui voit l’Etat transférer aux collectivités territoriales des attributions toujours plus nombreuses tout en ne leur accordant ni l’autonomie fiscale ni les transferts de ressources propres à les financer de manière correcte. Le rapport des collectivités à l’Etat devrait demeurer marqué par une réelle dépendance, ce dont s’accommodent fort bien certains élus locaux, qui justifient ainsi le cumul d’un mandat local et d’un mandat national par la nécessité de devoir défendre à Paris les intérêts de leur ville ou de leur département...

Cette dépendance à l’égard de l’Etat est d’autant plus forte que le dispositif de péréquation, qui vise à réduire les inégalités de ressources entre collectivités, demeure très insatisfaisant. Or, ces inégalités sont énormes : le potentiel fiscal par habitant varie du simple au double selon les régions, et du simple au quadruple selon les départements (voir carte page 38). Alors que certains de nos voisins européens, comme l’Allemagne, ont mis en place de solides dispositifs de péréquation, ils sont peu développés en France : s’il existe une certaine péréquation verticale (l’Etat attribue un peu plus de dotations aux collectivités les plus pauvres), la péréquation horizontale (selon laquelle une partie des ressources des collectivités les plus riches est reversée aux collectivités les plus pauvres), elle, est quasi inexistante, à part en Ile-de-France. En outre, elle repose sur des critères peu lisibles et souvent obsolètes. D’où de fortes inégalités de ressources d’un territoire à l’autre. Une situation à laquelle la réforme annoncée ne devrait rien changer.

  • 1. Voir le dossier " Le pari de la décentralisation ", Alternatives Economiques n° 223, mars 2004, accessible dans nos archives en ligne.

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