Entretien

" Le contexte est favorable à une réforme "

4 min
Daniel BENAMOUZIG sociologue au CNRS, Centre de sociologie des organisations (Sciences Po)

Dans quel contexte politique Barack Obama propose-t-il son plan de réforme ?

Barack Obama fait de la réforme du système de santé un axe majeur de son mandat, non sans introduire un coefficient personnel. D’emblée, il a adopté un positionnement centriste renvoyant dos à dos les partisans du statu quo et les partisans d’un système public, comme celui qu’a adopté le Canada. Il a mobilisé de forts arguments moraux et patriotiques, jusqu’à rappeler la situation dans laquelle sa propre mère, atteinte d’un cancer, s’est trouvée face aux assureurs. Surtout, il a privilégié une stratégie ouverte, se limitant aux grandes lignes et se voulant bipartisane et participative. Sur ce terrain, les résultats sont mitigés : dans l’arène politique, les républicains se sont montrés plus rétifs que constructifs, et dans les arènes participatives, le dernier mot est revenu à ceux qui hurlaient le plus fort, aux opposants les plus déterminés issus de la droite américaine, dont les arguments n’avaient souvent rien à voir avec le fond de la réforme.

Le système de santé américain est-il impos-sible à réformer ?

Le système de santé américain est l’objet de fortes tensions depuis très longtemps. Elles sont tout à la fois économiques, sanitaires, démographiques et politiques, voire morales puisqu’elles renvoient in fine à des trajectoires qui peuvent être dramatiques. Pourtant, à chaque grand rendez-vous, à chaque tentative de réforme, les batailles partisanes tournent à l’avantage des adversaires de la réforme en raison des intérêts en jeu. Les assurances privées et les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas seuls en cause : les associations médicales se sont aussi souvent opposées aux réformes, et celle-ci ne fait pas exception. Surtout, nombre d’Américains se jugeant bien couverts ne souhaitent pas voir la fiscalité augmenter.

Ces arguments récurrents ont souvent été fatals. Hillary Clinton en a été la dernière victime, non seulement en 1994, lorsque son plan de réforme a été retoqué, mais aussi plus récemment, lors des primaires perdues contre un certain Barack Obama : elle proposait une assurance publique, tandis que son challenger s’en tenait au projet de compléter le système concurrentiel entre assurances privées plutôt que d’en bouleverser les fondements.

Cependant, la crise est passée par-là. Comment modifie-t-elle la donne ?

Aux dysfonctionnements traditionnels, s’en sont ajoutés de nouveaux. En premier lieu, la crise touche le marché du travail, notamment dans les régions industrielles. Or, l’assurance maladie est liée à l’emploi et à la capacité des employeurs - et des syndicats - à proposer aux salariés des polices d’assurance santé. Si bien que les personnes qui perdent leur emploi se retrouvent aussi sans assurance maladie. En outre, avec la crise, de nombreuses entreprises ont du mal à proposer des assurances décentes à leurs salariés. Enfin, de manière plus insidieuse, la mobilité des salariés sur le marché du travail est pénalisée par la crainte de renoncer au bénéfice d’une assurance maladie. En un mot, la mauvaise conjoncture sur le marché du travail pose avec plus d’acuité que d’habitude la question traditionnelle de l’assurance santé.

En second lieu, d’un point de vue macroéconomique, le nouveau contexte incite à réfléchir à l’évolution des déficits publics liés à la santé. On peut douter de l’argument selon lequel la réforme ne coûtera pas une " dime " au contribuable, comme le dit Obama. Mais il est certain que le système existant est non seulement inefficace en termes de santé publique et très injuste socialement, mais qu’il est aussi déséquilibré financièrement : à l’allure à laquelle va le financement des régimes publics et des subventions directes ou indirectes allouées aux acteurs privés, les déficits devraient croître dans des proportions peu soutenables. Avec la crise, la politique des déficits publics n’est certes pas terminée aux Etats-Unis, mais le contexte oblige à s’interroger sur leurs évolutions. Ces difficultés plaident en faveur de réformes structurelles du système de santé.

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