Histoire

Et le mur chuta, faute de combattants

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En novembre 1989, le mur de Berlin n'est plus qu'un empilement de parpaings et de béton, dernier vestige d'un bloc communiste moribond.

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Tout commence quelques heures auparavant, à 18 h 57 exactement, quand le porte-parole du gouvernement de la République démocratique allemande (RDA) annonce en conférence de presse une liberté nouvelle, inespérée et tant désirée en Allemagne de l’Est : celle de voyager à l’étranger (sous-entendu, à l’Ouest), et ceci " dès maintenant ". La nouvelle fait l’effet d’une bombe. Passé l’instant de stupeur et d’incrédulité, tant l’existence du mur fait partie du quotidien des Berlinois, des petits groupes d’habitants de l’Est se rassemblent entre 21 h et 24 h aux points de passage du mur ; les gardes-frontières confirment alors l’ouverture des grilles pour minuit. A l’heure dite, c’est la ruée.

A l’Ouest, une immense fête de rue accueille les milliers d’Allemands de l’Est, dont beaucoup de jeunes, qui franchissent le mur pour quelques heures. Elle sera bientôt partagée par des millions de téléspectateurs des deux Etats allemands et, aussitôt après, du monde. Un monde qui assiste, stupéfait, à la fin d’une époque, à travers des images chocs de cette nuit et des jours suivants : la destruction du mur à coups de pioches, Mstislav Rostropovich partageant ce moment de forte émotion en interprétant une suite de Bach pour violoncelle devant un pan du mur couvert de graffitis.

Un obstacle devenu inefficace

Une révolution pacifique se joue sur la scène du monde. Soudaine. Et pourtant, consciemment ou inconsciemment, l’événement est attendu : car en ces jours de novembre 1989, le mur est un obstacle qui a perdu sa charge symbolique. L’obstacle physique n’a en effet plus lieu d’être.

Surgi dans la nuit du 13 août 1961, le mur de Berlin s’est longtemps montré efficace. Erigé sur décision des dirigeants est-allemands et soviétiques pour boucher le seul trou dans le rideau de fer électrifié qui coupe l’Europe en deux et stopper l’hémorragie qui a vu 2 millions d’Allemands - la plupart qualifiés - quitter la RDA pour l’Ouest depuis 1949, il a bien rempli son rôle. Les centaines d’Allemands de l’Est qui ont tenté de le franchir y ont laissé souvent la vie, abattus par les policiers est-allemands, les Vopos. Mais, dès lors que d’autres passages sont ouverts, le mur a perdu toute efficacité. Or, le 2 mai 1989, la Hongrie a décidé d’ouvrir sa frontière avec l’Autriche. Le pays est en effet dirigé depuis le début 1988 par des réformistes décidés à s’engager dans la voie du multipartisme. Ceux-ci espèrent placer leur pays de manière favorable en s’inscrivant résolument dans une Europe d’après-guerre froide. Si le lac Balaton a vu de longue date se rencontrer chaque été Allemands de l’Ouest et Allemands de l’Est, venus qui en Volkswagen, Audi ou Mercedes, qui en Trabant, c’est toute la Hongrie qui assiste à l’afflux de ressortissants de la RDA désireux de passer à l’Ouest. Pendant l’été 1989, se jouant du mur et du rideau de fer, des dizaines de milliers d’Est-Allemands entrent ainsi en Autriche via la Hongrie.

" Wir sind das Volk "

A quoi sert alors le mur ? Représente-t-il encore symboliquement quelque chose ? Les dirigeants est-allemands veulent le croire, eux qui s’accrochent au modèle stalinien de parti unique et d’économie étatisée et centralisée, associée à une privation de toutes les libertés. Mais ils ne peuvent maintenir le " socialisme " stalinien dans un seul pays, alors qu’un vent de réformes libérales souffle depuis dix ans en Pologne, depuis trois ans en URSS, depuis deux ans en Hongrie. Ils savent qu’en cas de révolte populaire, ils ne peuvent plus compter, comme en 1953, sur les chars soviétiques pour assurer l’ordre. Or, les Allemands de l’Est ne se contentent pas de protester avec leurs pieds en fuyant vers l’Ouest, via la Hongrie. Chose incroyable, ils manifestent durant tout l’été 1989 à Dresde, Leipzig, Magdebourg et Berlin contre le régime : " Wir sind das Volk " (" Nous sommes le peuple "), clament les manifestants, niant la légitimité du Parti communiste qui depuis quarante ans prétend exercer sa dictature au nom du prolétariat.

Ironie de l’histoire : l’isolement du régime d’Erich Honecker éclate au grand jour lors de la célébration du 40e anniversaire de la RDA, le 6 octobre de la même année. Aux cris de " Gorbi ! Gorbi ! ", la foule acclame Gorbatchev avec une spontanéité qui tranche avec les acclamations policées des manifestations organisées par le régime. Et ce qu’acclame la foule, ce n’est pas le dirigeant du grand frère soviétique, mais l’homme qui défend la nécessité de réformes et a officiellement déclaré que l’URSS laisserait les " démocraties populaires " décider librement de leur destin.

Isolé, Honecker est débarqué par ses pairs le 18 octobre. La nouvelle équipe veut tenter des réformes, mais c’est trop tard. La libéralisation survient au moment où, en RDA comme dans les autres démocraties populaires, une part croissante de la population ne songe plus seulement à libéraliser le régime, mais à le renverser. Politiquement, le régime de parti unique n’est plus tenable, alors que les Polonais, après avoir réuni autour d’une " table ronde " gouvernement communiste et responsables de l’opposition, viennent d’élire démocratiquement, en juin 1989, un nouveau Parlement et d’installer un nouveau gouvernement issu du syndicat Solidarnosc. Et en octobre, le Parti communiste hongrois a abandonné son étiquette communiste pour tenter sa métamorphose en parti social-démocrate à l’occidental.

Sur le plan économique, le système d’économie étatisée et centralisée a failli. Il est loin le temps du début des années 1960 où les succès spatiaux soviétiques pouvaient laisser croire à une réélle compétition économique. Depuis longtemps, les populations d’Europe de l’Est et plus encore les Berlinois ont pu constater le fossé qui existait entre les niveaux de vie à l’Est et à l’Ouest.

Effet dominos

Le régime de Honecker ne tenait plus qu’à un fil, celui qui le reliait à Moscou. Abandonné par l’URSS de Gorbatchev, le régime est-allemand se délite alors en quelques semaines. Le 4 novembre, un million de personnes manifestent contre le régime à Berlin-Est sans que la police ne bouge. Sans moyen de répression et sans la crainte qu’il inspire, le régime ne peut plus tenir. Et il entraîne avec lui le mur, qui s’écroule faute de combattants pour le défendre : l’Est a perdu la guerre froide.

La chute du mur, ce symbole de la séparation Est-Ouest, provoque à son tour l’accélération de l’histoire dans les démocraties populaires encore tenues par l’ancien régime communiste. En Tchécoslovaquie, elle donne des ailes à l’opposition démocratique : Vaclav Havel, figure historique de la dissidence, est élu président de la République le 29 décembre. En Bulgarie, Todor Jivkov, à la tête du Parti et du pays depuis trente-cinq ans, démissionne le 10 novembre, laissant la place à des communistes contraints l’année suivante d’admettre le principe du multipartisme et d’élections libres. Et en cette fin décembre, le conducator roumain Ceaucescu est renversé et exécuté. Dans ces deux derniers pays, qui non pas connu de tradition démocratique et où la répression à été particulièrement violente, il faudra du temps pour que la démocratie gagne réellement du terrain...

Et en Allemagne ? La chute du mur, c’est aussi la preuve de l’absence d’identité nationale en Allemagne de l’Est. Le mur ne séparait pas deux nations, deux peuples. Quarante ans d’existence n’avaient pas permis au régime est-allemand de fabriquer un sentiment national ; les Allemands de l’Est n’ont pas cessé de regarder vers l’Ouest, surtout depuis que l’ancien maire de Berlin devenu chancelier, Willy Brandt, a favorisé les relations humaines et économiques est-ouest par son Ost Politik dans les années 1970.

Le mur tombé, la question de la réunification de la nation allemande s’est immédiatement posée. Une réunification qui a pris la forme d’une intégration immédiate, dès 1990, à la République fédérale (et de ce fait à l’Union européenne) des länder de l’Est. Une réunification parfois douloureuse compte tenu des écarts de revenus et des différences qui s’étaient creusés au fil du temps, mais qui marque aussi la fin d’une séparation imposée par la violence de l’Histoire à un peuple, mais aussi aux familles et aux individus qui, durant plusieurs décennies, se sont vus coupés de leurs proches et de leurs amis.

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