Idées

Bourses : une bulle chasse l’autre

7 min

Premiers signes de reprise, publication de résultats positifs pour les entreprises, taux d'intérêt pratiquement nuls... et voilà que les marchés boursiers s'emballent. Pourtant, la croissance à venir devrait être très modérée. La demande sera durablement bridée, alors que les effets des politiques de soutien vont bientôt s'épuiser. La surévaluation du prix des actions risque de mener à une nouvelle bulle.

Trop haut, trop vite, trop tôt ! " Le diagnostic de l’économiste Nouriel Roubini est sans appel : l’envolée des Bourses mondiales est trop déconnectée des données économiques fondamentales pour être durable. Depuis le 9 mars 2009, l’indice S&P 500* a progressé de près de 60 % aux Etats-Unis. En France, le CAC 40 a gagné plus de 50 %. Par rapport à leur point bas fin 2008, les Bourses des marchés émergents ont pratiquement doublé de valeur en dollars, et ce malgré la forte correction enregistrée sur la Bourse de Shanghai au mois d’août. En sept mois, la progression est plus importante que celle des trois hausse historiques de juillet 1932, décembre 1974 et août 1982 (voir graphique).

Signaux positifs

Traditionnellement, en période de récession, les Bourses anticipent la reprise de l’activité de six mois. L’envolée des marchés d’actions traduit ainsi la confiance des investisseurs dans la réalité de la reprise économique, dont les premiers signes sont perceptibles depuis le début de l’année en Chine et depuis le printemps de part et d’autre de l’Atlantique. Après les chiffres positifs de croissance du produit intérieur brut (PIB) enregistrés au deuxième trimestre 2009 au Japon (+ 0,9 %), en France (+ 0,3 %) et en Allemagne (+ 0,3 %), l’économie américaine devrait à son tour sortir de la récession au troisième trimestre, avec une croissance attendue de 0,7 %. En Australie et au Canada, pays exportateurs de produits de base qui bénéficient du dynamisme de la demande asiatique, le taux de chômage a nettement diminué en septembre. Contre toute attente, la Banque d’Australie a même décidé d’augmenter le 6 octobre son taux d’intérêt d’un quart de point, à 3,25 %, validant ainsi la réalité de la reprise dans cette partie du monde.

Autre élément de soutien de la confiance des investisseurs, la publication en juillet-août de résultats positifs pour les entreprises au deuxième trimestre 2009 a donné un nouvel élan à la Bourse. Selon les prévisions des analystes boursiers, ce facteur devrait continuer à jouer au cours des trimestres à venir, les profits des sociétés qui composent l’indice S&P 500 aux Etats-Unis étant supposés poursuivre leur progression en 2010 avec une hausse annuelle de 25 %. Enfin, l’optimisme des Bourses est stimulé par ce qui semble être le début d’une nouvelle vague de fusions et acquisitions, qu’illustrent la tentative de rachat au début du mois de septembre du groupe agro-alimentaire britannique Cadbury par l’américain Kraft Foods pour 17 milliards de dollars, ou encore la fusion des activités de Deutsche Telekom et de France Télécom au Royaume-Uni.

Euphorie boursière

Positives, ces données ne suffisent cependant pas à justifier l’ampleur de la vague qui soulève les Bourses mondiales. Lors des quinze précédentes récessions enregistrées aux Etats-Unis, la progression de l’indice S&P 500 entre son point bas et le début de la reprise de l’activité a été de 20 % en moyenne. En supposant que l’économie américaine soit sortie de récession à la fin de l’été, la remontée actuelle des cours boursiers est deux à trois fois plus importante que la normale. Cette sur-réaction à la hausse est tout d’abord le pendant logique du mouvement de panique qui a suivi le séisme boursier de l’automne 2008 et l’effondrement des cours qui l’a accompagné. Le sauvetage de Citigroup et de Bank of America, les deux plus grandes banques américaines, et l’annonce du plan Geithner 1 au mois de mars confortaient les marchés dans l’idée que le pire avait été évité. Un choc comparable à celui de la faillite de Lehman Brothers n’étant plus à craindre, la sous-évaluation du prix de nombreuses entreprises devenait évidente, provoquant une ruée sur les titres les plus dépréciés, notamment ceux des banques. Début avril, le succès de la conférence du G20 à Londres envoyait un signal décisif aux marchés en affirmant la volonté de coopération des Etats dans la résolution de la crise.

L’euphorie boursière du printemps et de l’été a bénéficié par ailleurs des politiques de détente quantitative** mises en oeuvre par les banques centrales depuis l’automne 2008. En l’absence de reprise du crédit, une partie des liquidités considérables mises à la disposition du système bancaire a pris le chemin des marchés boursiers. L’aversion au risque cédant la place à la quête de rendements, les capitaux ont délaissé les placements monétaires, qui ne rapportent plus rien, et les titres de la dette publique, dont les rendements plafonnent entre 3 % et 4 %, pour s’investir sur les marchés d’actions.

Une reprise encore fragile

Cet appétit immodéré pour le risque contraste cependant nettement avec la fragilité de la reprise économique. Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), publiées début octobre 2009, la croissance du PIB ne dépasserait pas, en 2010, 1,5 % aux Etats-Unis et 0,3 % dans la zone euro. L’amélioration des indicateurs conjoncturels depuis le printemps 2009 témoigne essentiellement de la reconstitution des stocks des entreprises, après le déstockage massif de la fin 2008 et du début 2009, et des effets positifs des programmes de relance budgétaire. Certaines mesures ponctuelles de soutien de la demande, telles la prime à la casse ou la subvention des premiers achats d’appartements aux Etats-Unis, arrivent à leur terme, ce qui se traduit déjà par un recul des commandes de biens durables et de la confiance des entreprises.

La faiblesse de l’activité renvoie à son tour à celle de la demande intérieure. Des deux côtés de l’Atlantique, la consommation risque d’être durablement bridée par la poursuite de la dégradation de l’emploi, les efforts de désendettement des ménages et la remontée des taux d’épargne. L’absorption des pertes phénoménales sur les patrimoines immobiliers et l’épargne retraite devrait peser sur les budgets des ménages pendant plusieurs années. L’investissement est par ailleurs bloqué par l’ampleur des capacités de production excédentaires des firmes. L’excès d’offre de biens et la faiblesse de la consommation entretiennent les pressions déflationnistes latentes depuis la fin 2008. Depuis le milieu de 2009, les taux d’inflation mesurés par les prix à la consommation sont négatifs aux Etats-Unis et en Europe, tout comme en Chine et au Japon.

Le risque déflationniste est lui-même accentué par l’anémie du crédit, justifiant la poursuite des programmes de détente quantitative dans les principales économies industrialisées. Tenues d’améliorer leurs ratios de fonds propres, confrontées à des taux de défaillance croissants sur les crédits immobiliers et les crédits à la consommation, les banques ont durci les conditions de crédit et réduit leurs encours de risques.

On voit mal, dans ces conditions, d’où pourrait venir la demande censée alimenter les perspectives de profits des entreprises qui fondent l’optimisme des marchés. Le redressement des profits enregistré au deuxième trimestre aux Etats-Unis résultait pour l’essentiel d’une compression sévère des effectifs et des heures de travail. Au-delà, la croissance des profits ne peut reposer que sur une demande agrégée plus soutenue. Au vu des relations passées entre les profits des entreprises et l’activité, les résultats anticipés par les marchés pour 2010 supposent pour se concrétiser une croissance du PIB de 4 %. Compte tenu des perspectives de demande intérieure, cela supposerait une croissance explosive des exportations. Le salut par la Chine donc, ou à défaut par la dépréciation du dollar, ce que ne semblent pas exclure les dirigeants américains. Un tel scénario serait toutefois tellement déstabilisant pour le financement extérieur des Etats-Unis qu’il saperait très certainement la confiance des investisseurs dans la Bourse.

D’ores et déjà, les estimations disponibles montrent que le prix des actions est surévalué. Aux Etats-Unis, la valeur du S&P 500 fin septembre 2009 était égale à vingt fois la valeur des profits annuels des entreprises le constituant, soit le plus haut niveau observé depuis 2004. Un simple retour à la moyenne historique de ce ratio (de 15) supposerait une correction boursière de l’ordre de 25 %. En d’autres termes, un nouveau krach boursier.

  • 1. Voir " Le qui perd gagne du plan Geithner ", Alternatives Economiques n° 280, mai 2009, disponible dans nos archives en ligne.
* S&P 500

Pour Standard and Poor's 500. Indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les Bourses américaines.

** Politique de détente quantitative

Consiste pour la banque centrale à créer de la monnaie ex nihilo (en pratique, elle émet de la monnaie pour racheter des titres de dettes des Etats, des entreprises, etc.) dans l'espoir de stimuler l'activité. Ce procédé non conventionnel est utilisé quand la banque centrale ne peut plus baisser le taux d'intérêt, déjà proche de zéro.

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